[1] |[1] Le livre intitulé l’art de bien mourir

[2a] |[2] S’ensuit une tres devote meditacion de l’ame qui pense a son departement du corps pour avoir lors secours.

|[3] Qui sera mon loyal amy, lon feable secours a mon derrain besoing a la destroitte heure de mon depatement de mon corps ? |[4] Qui m’aydera lors ? |[5] Qui parlera ou respondra pour moy ? |[6] qui me delivrera quant je seray appellee devant les tresespoventable jugement du souverain seigneur ? |[7] quant les ennemis me environneront de toutes pars et accuseront en maintes guises ? |[8] quant ilz s’efforceront me traire au feu d’enfer pardurable ? |[9] quant ma conscience proprement et mes euvres bailleront tesmoignage contre moy ? |[10] Sera ce lors le monde et mes amys charnelz qui me ayderont ? |[11] Nennyl voir, mais ilz me laisseront aller a la voye. |[12]  Sera ce le corps a qui je auray tant servy et auquel j’auray [2b] baillé toutes ces aises et tous ces plaisirs. |[13]  Certes encore me pourra moins aydier que le monde : |[14] car il gerra puant et pourry a terre et viande a vers. |[15] Sera ce queconque plaisance des choses exteriores come sont honneur, gloire, bruit, puissance, grans estatz, pompes et richesses et plusieurs et diverses manieres de jeux et esbatemens, pour certain, non. |[16] Ainçois quant je cuyderay retourner aux portes du corps pour trouver aucunes des plaisances acoustumees et querir les vaines consolacions et louenges du monde. |[17] Las, las et plus de cent fois helas, en ceste destroicte et espoventable heure de la mort. |[18] Je trouveray les yeulx, les oreilles, le goust de la langue et l’atouchement, et toutes les autres parties du corps par lesquelles joye me souloit venir. |[19] Je les trouveray desja cloz et serréz par la tresforte et horrible serreure de la mort.

|[20] Lors que feray je, lasse, chetive ? |[21] où me tourneray je ? |[22] qui appelleray je ? |[23] que demanderay je se a ceste heure je n’ay aucune ayde, aucun confort et consolation qui me puisse venir d’ailleurs que du corps ? |[24] C’est certain que se paravant ceste heure, je n’ay fait aucuns amys qui ayde et confort me apportent, [3a] je cherray en moy par desolacion et dessoubz moy par irrevocable dampnation.

|[25] Oroison.

|[26] Vierge glorieuse, certaine esperance, refuge singulier des pecheurs, et vous mon bon age, et vous mon seigneur saint Pierre apostre, et vous glorieulx dix maile martirs e grant merite qui souffrites autel martyre comme Jesucrist, nostre seigneur, par quoy estes glorieux en paradis, soyéz lors a mon ayde ! |[27] soyéz lors pour me reconforter ! |[28] Acompaignéz lors celle seulette desolee et la presentéz a destre devant la face du souverain juge soubz vostre protextion ! |[29] dechasséz les chiens d’enfer qui la quierent devorer et mener a perdicion ! |[30] faictes luy ouyr ceste sentence amyable ! |[31] Vien t’en, bieneureuse ! |[32] prens é reçoy le royaulme de mon pére qui est apareillé aux bons des le commencement du monde.

|[33] Division.

|[34] Loyaulment je fremis et tremble et ay horreur par tout moy, quant de l’autre sentence me souvient qui sera gettee sur les mauvais. |[35] Departéz vous de moy maulditz ! |[36] Alléz en dampnations et feu par[3b]durable ! |[37] Las, comme dure departie de souverain bien en souverain mal, de toute felicité en toute misere, de pardurable paix en eternellee et abhominable confusion ! |[38] O ire de dieu, o sentence importable, ne cheéz point sur moy : |[39] car en moy n’a point force qui me puist soustenir. |[40] Batéz moy et punisséz moy en ceste vie selon vostre misericorde, affin que ne me laisséz chair en ceste court de justice qui tant est horrible et cruelle pour les pecheurs qui la recepvront leur jugement. |[41] Esveille toy ! |[42] esveille toy, miserable creature ! |[43] escoute a oreilles tendues le tonnoire de ceste sentence ! |[44] Regarde a yeulx ouvers la façon de ce jugement ! |[45] trop yes endormie, trop sourde et aveuglee, se tu n’aperçois ou sens tel orage, telle misere,, et si aygre punition, et aussi se tu ne les ressongnes et fuys de toute ta puissance et que tu fremisses et trembles en ce pensant plus que la fueille du pouplier. |[46] N’est pas icy fable ne mocquerie. |[47] Se tu es crestienne et ouy se Dieu plaist, tu fuys toute douleur, toute durté et toute corporelle affliction. |[48] Et en toute maniére par fas et par nefas, a tort et a travers, quiers toutes tes aises et consolacions que [4a] peut pourchasser a ce meschant corps, et encor n’as tu point souffisance. |[49] Helas, et se tu ne peuz souvent reposer en ung mol lit et en chambre paree et fleurant, |[50] se tu peuz soustenir une petite heure un peu de fievre qui te fait tant matte et batue, tant languissant et impatiente, |[51] se tu ne peuz souffrir une parolle dicte de toy de travers ou contre toy, |[52] se tu ne peuz veoir autruy en plus grant honneur, bruit et avancement que toy, |[53] et a brief tout conclure si en ce monde tu ne veulx avoir si non toutes choses doulces, plaisantes et delectables, |[54] dy moy, je te pprie, quelle sera ta force pour soustenir les griefz tourmens d’enfer, pour veoir sans cesser les ennemis ? |[55] Comment pourras tu oyr leurs reproches et mocqueries, quant ilz te reprocheront le temps que tu as perdu qui t’estort ? |[56] Donne a faire penitence et acquerir le royaulme du ciel. |[57] Et pource que ne le as pas bien employé, seras chasee hors de la compagnee de ton dieu et reprouvee de luy et de tous les benoistz saincts. |[58] O comme est la penitence de ce monde legiere et le contennement des plai[4b]sirs et ayses du corps facile et aise en la comparation de telz tourmens, non pas telz, mais plus orribles qu’on ne pourroit reciter. |[59] Lesqulz touteffois il te conviendra soustenir, se a ton partement de ce monde tu es trouvé en pechié mortel. |[60] Si te prie, mon ame, que tu ayes pitié de toy mesmes : |[61] car vraie est la sentence de nostre sauveur Jesucrist en l’Evangeliste ou il dit : |[62] « Il est, dist il, plus legiere chose de passer ung chamel qui est une terrible et grant beste par le trou d’une eguille que le riche entrer en paradis ». |[63] Et pour ce, il mesme en l’evangile dit autre part en ceste maniere : |[64]  « Mauldictz soyéz vous, o vous riches du monde qui cy avéz voz consolations : |[65]  car aprés pardurablement vous ploureréz.

|[66] Division.

|[67] O mon ame, prens icy garde et ayes pitié de ta peau et ne soyes pas, je te prie, comme ceulx desquelz dit le proverbe commun : « Ung fol ne croit jusques il prent ». |[68] Telz furent les gendres de Loth, ausquelz Loth dist la nuyt du fondement des .v. citéz qu’ilz se partissent ou autrement ilz periroient. |[69] Rien ne firent : |[70] car ilz cuidoient [5a] que Loth se moquast. |[71] Si furent perduz avecques les autres. |[72] Ainsi fut de ceulz ausquelz Noe preschoit en faisant l’arche, voire mesmement ceulx l’aydoient fa faire : |[73] car tant differerent et delayerent eulx amender et convertir a Dieu que subitement l’ire de Dieu in et tous perirent. |[74] Ne attens, mon ame, a te pourveoir contre le peril de damnation jusques ad ce que tu y soyes embatue. |[75] Fais que tu soyes preste avant l’heure de ton departement : |[76]  car fol est qui avant l’heure ne se pourvoie. |[77] Tu as tant leu d’escriptures et plusieurs personnes a veu et de plusieurs as oy, de roys, de princes, seigneurs et d’ames jeunes comme tu es, riches, pompeux, sages, ayans bruit autant et par adventure plus que tu n’as. |[78] Lesquelz neantmoins la mort qui nul ne espargne a prins a l’heure que par adventure moins y pensoient. |[79] Soyes sage, mon ame, et avant l’heure te pourvoie. |[80] Oste tellement tout pechié mortel de ta compaignie tant comme tu le peux faire, que alors tu ne ayes mestier a le deschasser.

|[81] Delivre toy des mais des hommes hastivement, se point [5b] tu y es embatue par debtes, par rapines, par frauldes, par larrecins, ou tricheries, par envies, par orgueil, par haines, par rancunes, par malveillances ou autrement : |[82] car avec tel mauvais vice jamais ne pourroie estre reconsiliee avec dieu. |[83] Et pour ce, il te convient premierement laisser et renoncer a tout peche et tout laver par confession vraie, tellement que ta conscience ne te remorde, et puys te mettre en la misericorde de dieu tant que il est temps. |[84] Reçois le maintenant et faiz sa voulenté tandis qu’il vient a toy come pére, come bienfaicteur, prest de te donner pardon et grace. |[85] Et n’attens pas qu’il viengne a toy come juge rigoreux et dieu de vengeance : |[86] car lors n’y aura point de remede ne de respit. |[87] O mon ame, se tu te sens en tel estat ouquel tu n’oseroies mourir ne partir du corps, pour quoy ne te y metz tu avant huy que demain : |[88] car tu ne scez se tu auras point de demain. |[89] Et se au jourd’uy ceste chose t’est forte, encore te sera elle demain plus forte. |[90] Souvent advient que qui ne veult quant il peut quant il vouldroit ne peut. |[91] Dieu te donne espace de te amender, se tu en abuses et en faiz pis, quelle esperance [6a] ou quelle seurté que il te doyve donner ung autre repos pour te repentir. |[92] Se tu le oublye maintenant, garde que il ne te oublye a ton besoing, |[93] se tu te fyes en ta jeunesse disant que quant tu seras vieil, tu feras penitence. |[94] O folle esperance ! |[95] tant tu en as deceu et decepvras encores ! |[96] as tu lettre de vivre jusques en vieillesse ? |[97] Et certes, quant ainsi seroit, souvent advient que plus vit l’aignel et pis vault la pel. |[98] Regarde quantes personnes ont eu celle folle esperance qui sont mors jeunes sans avoir condigne penitence. |[99] Tu n’as doncques, o mon ame, autre remede fors que hastivement et sans delay tu faces ta paix en Dieu par vraye et entiere repentance, en toy punissant et faisant justice de toy mesme : |[100] car ce nous nous jugons nous mesmes Dieu ne nous jugera point. |[101] Se tu n’as honte de avoir forfait tant de fois contre ung tel pére et bienfacteur, ayes doubte et paour d’encourir sa puissance, sa justice, sa force et sa dominacion. |[102] Humilie toy tousjours devant sa presence et, a basse chiere et face esplouree, demande luy tousjours pardon. |[103] Regarde quelle paour les sains avoient [6b] des jugemens de Dieu tant secretz et merveilleux qui touteffois avoyent si purement et sainctement vescu. |[104] Et toy qui depuis que tu as aage de congnoissance, a grant peine as esté ung jour non demy sans peché, voyre, et quelz pechéz, et comme grans et abhominables ! |[105] Juge par ce, mon ame, quelle penitence tu dois faire : |[106] car ce est verité que au jour du jugement il te fauldra rendre compte de tes fais et tes dictz et mesmes de chascune parole oyseuse.

[7a] |[107] Combien que tousjour penser a la mort ne soit pas utille, comme dit le poete Chaton qui dit : |[108] Linque metum leti et cetera. |[109]  « Mon filz, dit Chaton, laisse et postpose la crainte de la mort : |[110] car qui a elle tousjours penseroit, jamais au monde bien n’auroit. |[111] Touteffois est il utille d’y penser et [7b] mesmes necessaire pour le salut de l’ame. |[112] Car au devant que nostre ame puisse estre beatifiee, fault il qu’elle soit separee du corps et que mort, qui a tous est commune, ayt fait son execucion sur l’homme ou sur la femme, |[113] par quoy plusieurs docteurs contemplatifz considerans le mistere des chrestiens, et ce que l’Eglise catholique chante le mescredy des cendres, la ou tous vrais catholiques doyvent aller a l’eglise pour recevoir les cendres, que le prestre baille et en les baillant dit : |[114] Memento homo qui cinis es, et in cinerem reverieris, |[115] « Remenbre toy, homme, que tu es faict de cendre et que tu retourneras en cendre. » |[116] Ont compillé plusieurs traitéz de contemplacion jouxte les consideracions de la mort, et specialement ung duquel je ignore le nom, mais au trouvé son livre intitulé Ars moriendy commençant.

|[117] Quamvis secundum philozophum tercio ethicorum et cetera. |[118] Omnium terribilium et cetera. |[119] Cestuy livre, j’ay regardé et, considerant que a toutes gens de bien, il est utile et convenabe, |[120] pour ce que tous ne entendent pas [8a] completement le latin, |[121] l’ay voulu translater de latin en françois au mieulx que j’ay peu, |[122] affin que tous bons chrestiens y puissent recreer leur entendement : |[123] car c’est une des choses du monde qui plus incite la creature au salut de son ame que la cogitacion de la mort. |[124] Et pour ceste cause que l’ennemy d’enfer sur tout nous le veult epescier par une folle esperance que nous avons de trop longuement vivre, |[125] sy supply, a tous les lecteurs de cestuy livre que ma presente exposition veullent supporter, corrigier et amender, se aucune falte y a, et exuser la petite capacité de moy, si les auctoritéz theologales, lesquelles ou livre je treuve, ne sont passi suffisantement exposees qu’il appartient.

|[126] Cy commence le livre intitulé L’art de bien mourir.

[8b] |[127] Quamvis secundum philozophum et cetera. |[128] Selon que dit le philozophe ou tiers livre de etiques, en parlant des choses terrestres et espoventables qui au monde peullent advenir : « Le plus terrible cas qui puisse advenir a l’homme est la mort ». |[129] Car la mort est abolicion de tous biens. |[130] Et pourtant dit il ou livre du desprisement du monde : Mors resecat et cetera. |[131] La mort trenche et abat grans, petis, jeunes, vielz, povres, riches, roys, ducs, contes, princes, barons, chevaliers, dames, damoiselles et generalement toutes choses que nature acres. |[132] Pourtant est elle bien terrible. |[133] Laquelle chose bien pouons clerement congnoistre si nous regardons aux fais de Alexandre le grant qui par armes et force corporelle fut dit avoir conquesté la monarchie du monde et sur tout dominer, si que jamais ennemy tant fort fust, ne trouva qui le peust supperer |[134] et touteffois mort sans fer ne armures le suppera et mist sy bas que toute la puissance que il avoit ne le peult preserver ne garde. |[135] Et pourtant bien vray dit le philzophe que de toutes les choses terri[9a]bes qui sont au monde, la mort est le plus par quoy elle est bien a doubter. |[136] Et n’est pas de merveilles sy les sages gens contemplatifz la doubtent : |[137] car c’est ung voyage oncongneu duquel l’ung amy ne peult venir dire ou mander nouvelles a l’autre.

|[138] Pourtant est ce que les grans et saiges gens la doubtent et different a le passer le plus qu’ilz peuent, |[139] si que quant ilz sentent l’ung des messagiers de celle, comme fievres, alteracions et autres maladies qui pourroyent estre inductives de mort, ilz vont soubdainement au remede pour avoir medicines respitantes pour prolongier leur vie, |[140] pourtant qu’ilz sçavient bien que la mort est la plus terrible chose et plus abhominable qui puisse advenir.

|[141] Et a ce, dit le philozophe en parlant de la mort naturelle qui est separacion du corps et de l’ame. |[142] Mais oultre ceste mort corporelle qui tant est cruelle et terrible, disent les docteurs contemplatifz de nostre foy qu’il est une autre mort nommee la mort de l’ame, qui sans comparaison est plus terrigle et plus abhominable que la mort corporelle, |[143] ce que appreuve monseigneur saint Augustin disant : Maius est dampnum in amissione unius anime quam mille corporum. |[144] Dit monsigneur saint Augustin : |[145] « Plus grant est le dommage d’une ame qui est perdue et morte par dampnacion qu’il n’est de la mort de mille corps mors de mort corporelle et par abolion. |[146] Ce dit aussi monseigneur saint Bernard : |[147] Totus iste mundus ad unius anime precium estimari non potest, |[148] c’est a dire que ‘tout ce monde tant plain de richesse qu’il soit n’est digne de estre estimé par aucune estimacion au pris d’une seule ame’, |[149] voulant dire que une seule ame cree a la semblance de Dieu est plus noble et plus digne que toute le monde. |[150] Par quoy la mort et perdicion d’icelle est plus terrible et plus merveilleuse que la perdicion de tout le monde. |[151] Et pour ceste cause, dit le docteur contemplatif qui ce present livre a compose : |[152] Cum ergo anima tante preciositatis exista, et ceterac, |[153] comme ainsi soit doncques que l’ame soit de si grande valleur et dignité que la perdicion d’elle est plus grande que la perdicion de tout le monde, la mort de elle est bien a doubter, [10a] |[154] laquelle a toute heure procure le faulx ennemy d’enfer voulant traire a damnation perpetuelle tous les humains avec luy, et specialement les plus grans infestations de temptation que il donne a la creature, c’est a l’heure de la mort corporelle. |[155] Et quant il voit que le pacient est debilité de maladi et que par la vehemence de la douleur que il sent son entendement se perturbe, esperant tousjours celluy faulx ennemy par sa maudicte admonition faire mourir l’ame aveques le corps. |[156] Par quoy il est bien de necessité que tout homme sage ayt en l’extrteme malladie et a l’heure qu’il fauldra que mort separe le corps et l’ame que il ayt l’art de bien mourir, duquel le present livre est fait. |[157] Car ainsi comme dit monseigneur sainct Gregoire : |[158] Valde se sollicitat in bono opere, qui semper cogitat de extremo fine, |[159] ‘Assez se sollicite et met son estudie en bonne operation, qui tousjours pense a la derreniere fin’. |[160] Pourtant que si bein y pensons et que nous prevoions en nostre pensee icelle fin, nous porterons plus facilement les douleurs qu’il y fault souffrir. |[161] Jouxte ce qui est escript : |[162]  fu[10b]tura si presciantur levius tollerantur, |[163] ‘si les choses advenir sont preveues et congneues, ilz en sont plus aysees a souffrir’.

|[164] Ted heu rarissime.

|[165] Mais dit l’acteur par contemplative admiration, considerant la preparacion que tous sages crestiens doivent faire a ceste extreme fin. |[166] Helas, aucuns sont qui moult a tart se disposent a ceste derreniere fin, |[167] cuidans et estimans par l’instinct du dyable d’enfer dont ilz sont aveugléz que jamais si tost ne doyvent mourir, si que plusieurs part telle vaine et indeue esperance sont mors meschantement et indisposéz de leur conscience. |[168] Et pourtant aux malades de quelque maladie doubteuse que ce soit on ne doit donner esperance de trop facilement retourner a santé. |[169] Mais plus tost luy fault donner advertissement de la mort afin qu’il dispose de l’ame, et qu’elle ne puisse pas mourir en pechié mortel. |[170] Car ainsi que dit le chancelier de Paris : |[171] Sepe per talem falsam consolationem et fictam falsam configentiam certam incurrit hom damnationem [11a], |[172] ‘souvent par la grande consolation que les medecins donnent au malade par une folle confidence qu’il a de recouvrer sa santé corporelle, il est ngligent de disposer de son ame et encourt damnation eternelle. |[173] Pourtant doyvent tous medecins sages et prudens devant toutes choses induyre leurs patiens a ce qui est necessaire pour le salut de l’ame.

|[174] Chapitre des advertissemens et congnoissances que on doit donner au malade pour bien mourir

|[175] Pour congnoistre evidentement si aucun mallade estant au lit de la mort peut bien mourir et aussi plur le induyre a ce faire.

|[176] Premierement on le doit advertir de croire generalement tout ce que ung bon crestien doit croire, et de vouloir vivre et mourir en la foy de Dieu, en l’unité et obedience de saincte Eglise.

|[177] Secondement on le doit admonnester de avoir griefvement offensé Dieu, pourtant que le plus [11b] juste du monde sept foiz le jour l’offense, et lui remonstre comme il doit avoir en son cueur grande desplaisance de tant avoir offense Dieu, son createur.

|[178] Tiercement on le doit admonnester de avoir ung ferme propos et bonne voulenté de retourner a penitence et se amender s’il plaist a Dieu luy prolongier les jours et luy renvoier sa santé, et de jamais a peché retourner.

|[179] Quartement on le doit admonnester de pardonner a tous ceulx qui lu ont offensé et luy remonstrer l’exemple de nostre sauveur et redempteur Jesucrit, qui en sa passion pria pour ceulx qui le crucifioient, |[180] oultre qu’il requiere pardon et mercy a tous ceulx qu’il aura offenséz.

|[181] Quintement on doit admonnester la labourant a la mort que s’il a aucune chose mal acquise et du bien d’autruy qu’il la rende : |[182] car jamais n’est remis le pechié tant que restitution soit faicte.

|[183] Sextement on le doit admonnester de croire et recongnoistre que nostre sauveur et redempteur jesucrist, vray filz de Dieu, homme né du ventre de la Vierge Marie, a souffert por nous mort et passion en ce val de misere por le [12a] salus des humains, |[184] et que sans le merite de la passion de jesucrist ne peut avoir aucun tant juste soit saluation dont en tant que celluy malade peult, il doit regracier Dieu qui tant s’est voulu humilier de vouloir souffrir mort pour luy donner saulvement.

|[185] Aprés ce que on a admonnesté le malade deuement des choses dessusdictes pour sçavoir s’il sera en estat de bien mourir, on le doit interroguer s’il croit fermenet les choses dessusdictes. |[186] Et s’il respond que ouy, on peult aparcevoir qu’il soit du nombre de ceulx qui bien meurent pourtant que les paroles sont voulentiers signifiance de ce qui gist au cueur de la personne.

|[187] Deinde studiose et cetera.

|[188] Aprés ce que le pacient a esté adverty et interrogué comme dist est, on luy doit presenter et le admonnester de recepvoir les sacremens de nostre mere saincte Eglise.

|[189] Premierement que l ayt en luy vraye contriction de cueur d’avoir tant offensé Dieu.

|[190] Secondement qu’il face entiere confession de bouche en tant qu’il luy sera possible, avecques voulenté de faire penitence s’il revient a santé, ou de prendre la [12b] mort a gre se il plaist a Dieu de luy envoyer, |[191] en esperant d’avoir le royaulme de paradis non pas par les merites de luy, pais par le merite de la passion de nostre saulveur Jesucrist.

|[192] Des aultres sacremens pareillement comme du saint sacrement de l’autel, qui est  le viatique des chrestiens, |[193] lequel tout bon chrestien qui faire le peult doit recevoir en la fin de ses jours, |[194] combien que aucuns de telle maladies soyent maldes que on ne leur ose donner de poaour qu’ilz ne le vomissent. |[195] Mais a tout le moins, on leur doit monster. |[196] Car ainsi comme dit monseigneur saint Bernard : |[197] Crede et maducabis, |[198] ‘Croy et tu le mengeras’, |[199] c’est a dire que quant le corps de nostre saulveur et redempteur Jesucrist est presenté devant le malade qui corporellement ne l’ose recevoir en croyant fermement le saint sacrement estre vray, il le reçoit spirituelement, |[200] et autant selon Dieu luy prouffite a l’ame comme se corporellement le recepvoit. |[201] Et ainsi des aultres sacremens de nostre mere saincte Eglise recepvoir doit estre adverty le pacient pour bien mourir. |[202] Quisquis vero.

[13a] |[203] Icy soult le docteur une question que l’en pourroit faire, |[204] c’est assavoir sy aucun malade estoit qui n’eust pas assistens en sa mort ou en son lict mortuaire qui le interrogassent ou sceussent interroguer et advenir des choses dessusdictes qu’il feroit. |[205] Respond le docteur que cellui qui en tel ca se treuve non ayant qui ad ce le induise doit en soy mesme se interroguer et cogiter en tant qu’il pourra les choses dessusdictes en considerant s’il est ainsi disposé que requis est. |[206] Et s’il treuve en sa conscience que ouy, il ne doit point avoir peur de mourir. |[207] Mais seurement se doit submettre a la voulenté de dieu et remembrer tousjours et ruminer en son cueur sa saincte et digne passion. |[208] Car par ceste cogitacion sont superees toutes les tentacions de l’ennemy principalement en la foy. |[209] Unde notandum est.

|[210] Icy dit l’acteur que nous devons noter que ceulx qui sont au lit de la mort ont de plus grandes et de plus merveilleuses tentacions qu’ilz ayent  eues devant. |[211] Et ce est pour tant que l’entendement et tous les esperité se debilitent comme dit est. |[212] Et sont cinq principales tentacions dont le dyable tente l’homme a l’article de la mort, ainsi [13b] qu’il appoistra par aprés. |[213] Contre lesquelles tentacions l’ange de Dieu qui a toute heure est auprés de nous pour nous garder et mener la bonne voye, se croire le voulons, nous donne et sugere cinq bonnes inspiracions.

|[214] Sed ut omnibus et cetera.

|[215] Icy dit l’acteur la maniére de proceder en son livre disant, mais affin que ceste matiere soit fructueuse et vaillable a tous, et que nulz ne soyent seclus de la speculacion d’icelle, mais en icelle aprennent toutes gens de quelque estat qu’ilz soyent a bien mourir. |[216] J’ay traicté et deduyt en deux façons, l’une a l’autre correspondentes. |[217] Premier en sermons, auctoritéz et paraboles, pour servir aux gens clercz et litteréz. |[218] Secondement en figures et ymages monstrant figurativement et devant les yeulx ce que speculativement par la lettre est denoté. |[219] Et ce ay fait pour servir aux layques et gens non litteréz. |[220] Les deux quelles choses sont comme ung mirouer ouquel toutes choses preterites, presentes et futures sont speculees. |[221] Qui doncques vouldra bien mourir considere les choses devant dictes avecques les ensuyvantes et les mette en son entendement.

 [14a] |[222] La premiere tentacion de quoy le dyable tente l’homme en l’article de la mort.

[14b] |[223] Jouxte ce que dit est que la premiere chose de quoy le malade doit estre adverty en [15a] l’article de la mort est la foy. |[224] Semblablement la premiere tentacion que le dyable luy donne est touchant la foy : |[225] car il scet bien que par sa cautelle il peult une foys faire tant que le pacient en la mort le doubte, vacile ou ne croie point fermement en la foy de Dieu et de l’Eglise qu’il est dampné : |[226] car impossible est que sans foy nous puyssons plaire a Dieu ; |[227] et par tant sans foy ne pouons avoir aucun salut. |[228] Tesmoing saint Augustin qui dit : |[229] Fides est bonorum omnium fundamentum et humane salutis initium, |[230] ‘Foy est le fondement de tous biens et commencement du salut aux humains. |[231] Saint Bernard aussi dit a ce propos : |[232] Fides est humane salutis initium. |[233] Sine hac nemo ad filiorum dei numerum potest pertinere. |[234] Sine hac omnis labor hominis est vacuus. |[235] Dit le glorieulx saint Bernard : ‘foy est le commencement de l’humain salut. |[236] Et sans elle ne peult aucun homme parvenir au nombre des filz de Dieu. |[237] Sans foy tout le labeur que l’home fait en ce monde est vain et ne lui peult aucunement prouffiter’. |[238] Par quoy puis que la foy est le commencement du salut aux humains, il est bien vraysemblable que l’en[15b]nemy a toute heure estant comme le lyon rongnant, querant sa proye pour devorer qui ne desire que a perdre les humains. |[239] Sur toutes choses tire a faire defaillir l’homme en la foy : |[240] car il scet bien que s’l le deçoit par faulte de foy qui est commencement de salut, impossible sera qu’il y puisse parvenir. |[241] Pourtant de toute sa puissance se efforce et applique le mauldit ennemy a faire devier le pacient de la foy en luy disant : |[242] « O meschant, et maleureux que tu es, cuides tu que il soit vray ce que on te presche et que toy qui est homme plain de peché soyes rachatable et digne d’avoir paradis, plus que les anges qui pour ung seul peche ont esté dampnéz ? |[243] Enfet est fait pour tous pecheurs universellement et quelque penitence que tu faces tu n’en peulx jamais eschaper. |[244] Considere a la penitence de Judas qui luy mesmes se pendit et toutes fois est il dampné. |[245] Oultre, regarde le roys payens qui si devotement adorent et servent a leurs ydoles et vrays dieux qu’ilz voyent devant eulx |[246]  et tu adores et croys ce que tu ne voys et adores une chose incongneue qui est a toy une grande folleur. |[247] Avecques ce de ta credence [16a] tu n’as aucun experiment : |[248] car celui n’y a de tous ceulx qui sont passéz qui en soit revenu dire la verité |[249] et dois croire le contraire de tout ce que on t’empesche mieulx que aultrement, |[250] par telles persuasions et folles admonitions tempte le diable et essaie a decevoir cellui qui est angoisse et presse des assaulx de la mort afin qu’il le face devier du chemin de verité et errer ou hesiter en la foy qui est commencement et fondation de tout salut : |[251] car l’ennemy scet bien que si le fondement d’aucun edifice est abatu que necessairement les supedifices qui dessus celui fondement sont assis chaient. |[252] Sciendum tum et ecetra. |[253] Icy met l’acteur un notable pour donner consolation aux simples et non lettréz qui pourroient trop desesperer de leur vertu et puissance de resister aux temptations de l’ennemy. |[254] Et dit ainsi : |[255] « Combien que l’ennemeny soit fort maliceux et deceptif et que ses temptations soient grandes, touteffoiz est il assavoir que le dyable ne peut home contraindre en aucune temptation ne le prevaler et vaincre en aucune maniere tant que celluy home aura l’usage de raison. |[256] Et si spontanement et sans contrainte il ne se consent aux temptations qui luy viennent |[257] laquelle chose sur tout est a eviter et doubter, |[258] et pour ce doit le bon crestien en son bon sens recongnoistre dieu [16b] et protester devant lui que quelque chose que le dyable lui face faire par la debilite de son sens en la doleur de la mort, |[259] il ne se consent ne veult consentir mais en apelle devant dieu protestant vivre et morir en la foy des apostres ainsi que un bon crestien. |[260] Et aussi disent les docteurs de saincte escripture qu’ilz ne treuvent point que dieu promette es vexations de la mort l’home estre superé de son ennemy qui auran en son plet ses fait celle protestation, |[261] disant saint po : |[262] Fidelis deus qui non patiet vos tetari super id quod vos potestis sed faciet cum tentatione preventum ut possit sustinere, |[263] ‘Dieu qui est tresbon et tresloial ne souffrera que vous soyéz temptéz oultre que vous n’auréz puissance de resister’, |[264] mais plus tost vous donnera certaine prevencion d’ayde et de confort |[265]  afin que celuy qui sera tempté puisse mieulx vaincre la temptation. |[266] Par quoy asséz appert que en l’article de la mort ou toute puissance default a tout home, Dieu luy aide et ne le permet pas tant estre enfesté de l’ennemy come en pleine memoire, |[267] pourveu que paravant le crestien ait deuement fait son devoir envers Dieu. |[268] Et pour ce est ce que contre les .v. temptations du dyable en l’article de la mort, Dieu donne a l’home v. bonnes inspirations envoiees par ses anges pour resister.

[17a] |[269] La bonne inspiration que donne l’ange au pacient en l’article de la mort contre la temptation du diable touchant la foy.

[17b] |[270] Nostre sauveur et redemteur Jesucrist pitoiable de l’humain lignaige non voulant souffrir qu’il voise a perdition a l’eure qu’il voit [18a] que lepovre crestien n’est aux tourmens de la mort |[271] et que le diable de toute sa puissance tire a le decevoir par faulte de foy, |[272] il luy envoie ses anges pour luy donner admonicions contaires a celles du diable. |[273] Et tout ainsi que lefaulx ennemy par persuasions faulses la adminnesté, aussi fait l’ange de Dieu par bonnes persuasions contraires. |[274] Et lui dit : |[275]  « O homme qui est formé de la terre et force est que tu retournes en terre, |[276] recongnois ton createur qui a creé ton ame et faicte a sa propre semblance, |[277] garde toy bien de croire aux pestiferés et mortelles sugestions du diable, |[278] pour ce que ce n’est q’un menteur. |[279] Et quelque blandissement qu’il te donne ou il y ait aucune apparence de verité, |[280] touteffoiz la fin de tout son fait n’est que deception |[281] et te souviengne que premierement il deceut Adam et Eve, noz premiers parens |[282]  Et les fist pecher par menterie quant par son faulx donner a entendre il leur fist gouster du fruit defendu en leur pormettant et disant que par ce ilz pourroient estre immortelz. |[283] Et pour ce dit l’ange au pacient : |[284] « Mon amy, garde toy bien que en aucune maniere tu ne doubtes de la foy », |[285] posé que ton entedement ne soit pas comprehenseigle de si grant chose que de la foy de dieu, |[286] avec ce qu’il t’est plus [18b] proffitable de ne le point congnoistre sensuellement : |[287] car se tu le congnoissoies et pouoies bien comprendre, il ne te seroit point meritoire, |[288] ainsi que dit saint Gregoire : |[289] Fides non habet meritum ubi ratio probet experimentum, |[290] ‘Foy n’a point de merite la ou la chose peu estre prouvve par raison ou par experience. |[291] Mais remembre toy de ce que ont escript noz saincts peres, premier de sainct  Paul en son xi. chapitre rescripvant aux hebreux la maniere come ilz pourroient plaire a dieu leur rescripvoit : |[292] Sine fice impossibilité est Deo placere, |[293] ‘Sans foy impossible est que on puisse plaire a Dieu’, |[294] voulant inferer que la chose qui plus plaist a Diest, c’est foy. |[295] Saint jehan aussi en son tiers it : |[296] Qui non credit jam judicat, |[297] ‘Celluy qui ne croit en la foy de dieu fermement est desja jugié’. |[298] Saint Bernard aussi dit : |[299] Fide est primogenita inter virtutes, |[300] ‘Foy entre les vertus qui mainnent l’homme a saluation est la premiere engendree’. |[301] Dit oultre saint Bernard : |[302] Beatior fuit maria precipiendo fidem cristi quam carnem Cristi, |[303] ‘Plus heureuse fut la glorieuse Vierge Marie pour la vraye foy qu’elle eu en Dieu, |[304] en croiant tresfermement aux parolles du sainct ange, combien que ce fust chose bien admira[19a]tive en nature qu’elle ne fut de concevoir la char de Jesucrist’, |[305] par quoi, mon amy, dist l’ange au malade : |[306] « Foy est la plus belle chose que tu puisses avoir. » |[307] Considere la foy d’aucuns payens comme de Job et de Raab, la folle femme, et de plusieurs qui si grande foy ont eue en Dieu, |[308] combien qu’ilz fussent encor ou vieil testament et et n’eussent point encore la nouvelle loy que l’escripture saincte les presche sauvéz pour la grande foy qu’ilz avoient en dieu le pére createur. |[309] Considere, dit l’ange, aussi mon amy, la grant foy des apostres qui toutes possessions, richesses, peres, peres, femmes, enfans et mesmes leurs propres voulentéz ont laisséé pour la foy de Jesucrist, |[310] croians fermement que sans ce faire ilz ne pouoient entrer ou royaulme des cieulx, la foy semblablement de victorieux champions de la foy, |[311] c’est assavoir les glorieux martirs qui comme vraiz chevaliers ont offert leurs corps a tormens innumerables pour la foy de dieu soustenir, |[312] voulans mourir en icelle comme vraiz chevaliers en la loy de leur prince. |[313] La foy aussi des confesseurs et glorieuse vierges qui pour le nom de Dieu ont vescu en [19b] terribles penitences renoncé au monde, gardé leur verginté et vescu de vie austere seulement pour plaire a Dieu en ayant vraie foy en eulx. |[314] Et generalement, on ne treuve point que jamais les antiques ne les modernes aient tant pleu ne plaisent a Dieu que par vraie foy, |[315]  pourtant que foy est la plus digne chose qui soit, |[316] aussi que par plusieurs exemples, nous le voyons. |[317] Premier par foy. |[318] Saint Pierre de son pié corporel chemina sur les eaues come sur ter. |[319] Par foy, saint Jehan l’apocalipse beut le venin qui lui fut aporté sans en avoir mal, |[320] par tant qu’il creut fermement qu’en faisant le signe de la croix sur le bruvage le saint esperit en ostoit le venin. |[321] Encore plus grande exemple as tu, dit l’ange au patient, de croire que Dieu t’aydera si tu as vraye foy en lui par ce qui est escript du roy alexandre, |[322] lequel estoit payen, |[323] touteffois par ce qu’il eut vraie foy en Dieu le pere, a la supplication de lui et par ceste foy, deux grandes montaignes fort distantes l’une de l’autre, furent assemblees, |[324] qui est chose impossible que par puissance divine. |[325] Par quoy c’est chose bien notoire que si Dieu pour la foy d’un payen fait aucune chose, voire si grande que encores plus tost le fera il pour la foy d’un crestien. [20a] |[326]  Par quoy il appert que la foy par une grant merite est benoiste de Dieu pour le grant merite qui est en elle. |[327] Pourtant, mon amy, dit l’ange au malade, tu dois bien virilement et de grant force resister au diable qui te tempte de devier en la foy, et fermement croire tout ce que saincte Eglise  croit. |[328] Car c’est celle qui ne peut errer pourtant qu’elle est regie, conduite et illuminee par le sainct esperit.

|[329] Nota quam cito.

|[330] Icy met l’acteur de ce present miroer ung notable disant. |[331] Tout aussi tost que le malade doubtant la mort se sent tempté de l’ennemy d’enfer contre la foy, il doit considerer en soy mesmes que foy sur toutes choses est necessaire et que sans elle impossible est de plaire a Dieu, ne que aucun soit sauvé. |[332] Secondement qu’elle est souverainement utille et meritoire pour grace acquerir soit en ce monde icy ou en l’autre, disant nostre seigneur dieu : |[333] Omnia sunt possibilia credenti, |[334] ‘Toutes choses sont possibles et facilles a faire a celluy qui bien et fermement croyt en dieu’. |[335] Et iterum et cetera. |[336] Et oultre dit nostre seigneur : |[337] « Toutes choses que par devote oroison [21b] et bonne voulenté, vous me demanderéz, croyéz le |[338]  car vous l’auréz. |[339] Et en ceste maniere par les desssudictes adminitions que l’ange fait a l’egrotant par la grace de Dieu, il peut facilement resister aux temptations du dyable, combien grandes qu’ilz soient.

|[340] Quare etiam bonum et cetera.

|[341] Icy donne l’acteur ung enseignement a ceulx qui seront au pres d’ung mallade labourant a la fin, disant que bonne chose, utile, convenable et tresnecessaire est que devant ung crestien angoissant et travaillant a la mort soit leu, exposé et declairé se possible est, |[342]  souventeffois et a haulte voix le symbole de la foy, c’est assavoir le credo, |[343] afin que par ce oyr souvent repeter, le malade y puisse tousjours incliner son oreille et avoir plus grande constance de courage a mourir en la foy de Dieu, |[344] avecques ce que les parolles du symbole sont si dignes et pleines de grant efficacité que les dyables s’en recuellent et ont paour de les oyr prononcer.

|[345] Ensuyt la seconde temptation.

[22a] |[346] La seconde temptation de quoy le dyable d’enfer tempte l’homme en l’article de la mort.

[22b] |[347] La seconde temptation selon nostre present acteur de quoy le dyable temptera l’homm ou la femme et es[23a]sayera a decevoir le mallade en l’article de la mort, est de desperation contre la grant esperance et confidence que tout crestien doit avoir an la misericorde de Dieu.

|[348] Et ce fait ceste temptation en deux manieres.

|[349] Premier par ostension des pechiéz commis par le patient.

|[350] Secondement par paroles persuasives induisantes a desesperacion.

|[351] Premier doncques le dyable voiant povre crestien crucié, tourmenté, batu, flagellé et affligé des douleurs de la mort, |[352] voulant adjouster douleur avec douleur et invoquer abisme avecques abisme, |[353] prent ung grant livre en sa main ou sont escriptz tous les maulx que la povre creature a commis au monde et specialement ceulx dont confession n’a point esté faicte, qui sont tant desplaisans au crestien de bonne foy que aucune chose plus ne peut estre. |[354] Et luy dist : « Toy meschant qui as foy en Dieu, lequel t’a fait tant de biens et tu l’as offensé si grandement, |[355] comment crois tu que il ayt misericorde de toy, |[356] quant mesmes les pechiéz que tu as commis envers luy as delaisséz a confesser et ne les as pas vouluz recongnoistre ? |[357] Les voicy. |[358] Je les ay tous mis en es[23b]pére jamais que tu soyes a autre que a moy, ou autrement Dieu ne seroit pas vray juge. |[359] Tu as esté a luy par grace, |[360] mais tu es a moy par peché. |[361] Tu deveroies naturellement estre a luy, |[362] mais par ta miserable voulenté, tu as perdu ton droit heritage, |[363] et est a moy comme prisonnier perpetuel, asquis de bonne guerre. |[364] Dieu te avoit achaté par le merite de sa passion, |[365] et je te ay emblé et furtivement acquis par ma temptation. |[366] Tu estoies filz de Dieu par obedience, si tu eusses gardé ses commandemens, |[367] mais tu es filz du dyable par consentement, en tant que tu les as transgresséz. |[368] Tu as laissé l’abit de immortalité que Dieu par grace te avoyt donné, |[369] et as prins l’abit de damnation et de toute peine par les grans pechiéz enormes dont tu te es vestu et envelopé, |[370] ainsi que il apert en ce present livre ou tous tes pechiéz, et especialement ceulx dont tu ne fis jamais aucune penitence sont escriptz et a memoire redigéz. |[371] Par quoy tu peux bien dire ainsi comme di Cayn qui tua son propre frere Abel : |[372] Maior est me a iniquitas quam unt veniam merear. [23a] |[373] Plus grande est mon iniquité que toute la grace que je scauroie desservir ne meriter envers Dieu. » |[374] Aprés ce monstre et dit le diable au malade prest de mourir : |[375] « Voicy comme tu as offensé Dieu. |[376] Premier en tant que sur toutes choses tu ne l’as pas aymé, |[377] tu l’as juré et parjuré en vain, |[378] et autrement tu n’as point gardé ne solemnisé ses festes, |[379] tu n’as point honnoré pere et mere, mais courroucéz, |[380] tu as esté meurdruer au moins de voulenté si tu ne l’as esté de faict : |[381] car tu as par avarice ou fureur de vengance souventeffoiz desire la mort d’autruy. |[382] Et voulentiers l’eusses pourchassee, n’eust esté la crainte du monde plus que de Dieu, |[383] tu as acquis les biens d’autruy par furt, par force, par cautelle, par deception, et en mille autres manieres, |[384] dont jamais ne fis restitution. |[385] Tu as rompu le mariage de ton voisin, vilé sa fille, porté faulx tesmoingnage sur luy, et fait cent mille autres desraisons et pechiéz contre les commandemens de Dieu, |[386] sans lesquelz garder aucun ne peut estre sauvé. |[387] Ainsi que met nostre seigneur qui luy mesme di : |[388] Si vis ad vitam ingredi, serva mandata dei, |[389] ‘Si tu [23b] veulx entrer ou lieu de vie perpetuelle, garde et observe les commandemens de Dieu’. |[390] Lesquelz, dit le diable au malade, tu n’as point gardés |[391]  mais as vescu orgueilleusement, avaricieusement, paresceusement, envieusement, despiteusement gloutonnement et luxurieusement, |[392] qui sont les sept pechiéz mortelz dont tu es plein |[393] et jamais n’en fis confession ainsi qu’il appert. |[394] Par quoy vaine et folle chose est a toy de esperer que Dieu soit si misericordieux de te pardonner, |[395] veu ce que souvent tu as oy prescher que pour mourir en ung seul pechié mortel, on est damné. |[396] Oultre plus, tu ne as acomply aucune des sept euvres de misericorde, |[397] desquelles principalement Dieu tiendra son jugement |[398] et ce de quoy il loera ou blasmera ceulx et celles qui assisteront devant luy. |[399] Ainsi qu’il met aux livres fais de la sentence de son jugement ou il dit que a ceulx qui au jour du jugement seront a sa senestre, c’est assavoir au mauvais, |[400]  il dira par reproche : |[401] Ite in ignem eternum. Nam esuriui et non dedisti michi manducare. Sitiui et non dedisti michi bibere et cetera. |[402] Dira dieu aux mauvais au jour du juge[24a]ment : |[403] « Alléz, mauvais, hors de ma compaigniee. |[404] Je vous condamne perpetuellement a mourir en ung feu eternel. |[405] Pourtant que vous estans au monde m’avéz desprisé, j’ay eu fain, vous ne m’avéz donné que menger. |[406] J’ay eu soif et vous ne m’avéz donné que boire. » |[407] Et pourtant dira le diable au mallade : |[408] « Tu qui es icy encore viant et jamais ne acomplis, ne peuz acomplir les euvres de charité, |[409] peuz bien dire et jugier que tu es frustré de la  misericorde de dieu, |[410]  et est a toy grant folie d’y esperer, veu que sans misericorde tu as vescu et que saint Jacques dit : |[411] Judicum sine misericordia fiet illi qui sine misericordia fuit super terram, ‘Jugement sans misericorde sera fait a celluy qui sans misericorde a esté sur la terre’. |[412] Oultre plus, tu vois plusieurs qui de nuyt et de jour sont labourans en la loy de Dieu, |[413] et touteffoiz en aucune maniere que ce soit, ilz n’osent presumer de la misericorde de Dieu, |[414] pourtant que aucun ne scet s’il est digne de hayne ou d’amour. |[415] Et pourtant est ce grant fatuité a un pecheur qui tant de maulx a commis de esperer grace en la misericorde de Dieu, laquelle ne peut avoir. |[416] Par [24b] telles admonitions et semblables induyt le dyable le pacient a desesperance, laquelle sur tous maulx est a eviter. |[417] Comme ainsi soyt qu’elle offense la misericorde de Dieu, par laquelle seullement nous pouons estre sauvéz. |[418] Tesmong le prophete qui dit : |[419] Misericordie domini quia non consumpti sumus. |[420] C’est, dist le prophete, de la grant misericorde de nostre seigneur que nous ne sommes tous consomméz et perduz et adnichiléz, veu les grans maulx dont nous sommes pleins. |[421] Oultre dit monseigneur saint Augustin, enseignant fuyr desesperance : |[422] Unusquiquis positus in peccato si de venia vera deseperauerit misericordaim funditus perdit, |[423] ‘Toute personne qui est en pechié, s’il desespere que Dieu ne luy puisse ou vueille faire grace pourveu qu’il retourne devotement et par contriction de cueur envers luy. |[424] Il pert totalement sa misericorde : |[425] car il n’est riens qui tant offense Dieu que desperation.

|[426] La seconde inspiration que l’ange donne au malade contre desesperance.

[25a] |[427] Contre la seconde temptacion que le dyable donne au mallade ou lit de la mort pour le vouloir induire et me[25b]ner a desesperance donne icy l’ange de Dieu ung tresbon reconfort et une bonne et salutaire inspiration, disant : |[428] « O [26a] homme, pour quoy as tu deffidence de la misericorde de Dieu, doubtant qu’il ne te vueille ou puisse faire grace, |[429] si de cueur devot et contrict tu luy demandes, posé le cas que tu ayes ou eusses commis autant de larrecins et de meurdres que il y a de goutes d’eaue en la mer, ou de gravelle ? |[430] Mesmes si tu seul avoies commis et peretré tous les maulx é pechéz quelz qu’ilz soient, qui ont esté, sont et seront faizjamais en toute le monde contre la bonté de Dieu, |[431] posé le cas que aussi jamais tu ne les eusses confesséz, ne d’iceulx fait aucune penitence, ne que mesmes pour le present tu n’eusses pas puissance des les confesser ne de en faire penitence : |[432] car en tel cas suffist une seul contriction de cueur. |[433] Tesmoing le Psalmist qui dit : |[434] Cor contritum et humiliatum deus non despicies. |[435] O Dieu, dit le Psalmiste, je congnois ta bonté si grande avecques ce que tu l’as dit que jamais tu ne despriseras le cueur qui par contrition et humilité retournera envers toy. |[436] Ainsi que le prophete Ezechiel parlant en la personne de Dieu l’a dit : |[437] Quacunquis hora peccator ingemuerit saluus erit. |[438] En quelconque heure que ce soit que le pecheur aura contrition et desplaisance de son pechié, il sera sauvé. |[439] Sainct Bernard aussi dit : |[440] Maior est dei pietas quam que vis iniquitas. |[441] Plus grande est la pitié et misericorde de Dieu que quelconque iniquité que l’omme puisse au monde commettre. |[442] Sainct Augustin pareillement dit : |[443] Plus potest deus misereri quam homo peccare. |[444] Plus, dit saint Augustin peut Dieu pardonner que l’home ne sçauroit pecher. |[445] Par quoy l’ange di au malade : |[446] Mon ami, quelque mal que tu aies commis, tu n’as cause de te desesperer. |[447] In casu etias quo et cetera. |[448] Icy corrobore l’ange son adminition pour garder le patient de desperance, et luy dit : |[449] Mon amy, ne te desepere point : |[450] car mesmes ou cas que tu congnoistroies que tu fusses du nombres des damnéz, |[451] si deveroies tu desesperer de la misericorde de Dieu, non pas qu’il te sauvast totalement, |[452] pourtant qu’en enfer n’a nulle redemption, mais afin qu’il ne te donnast pas si cruel tourment : |[453] car quant Dieu voit la deseseperance d’aucun damné, il s’en courrouce plus fort, |[454] et par tant luy augmente infiniement ses tourmens. |[455] Oultre nostre sauveur et redemp[27a]teur Jesucrist n’est point venu au monde souffrir mort et passion en une croix pour les justes racheter, mais les pecheurs, ainsi que luy mesme le tesmoigne. |[456] Non voca re iustos sed peccatores. |[457] Dit Dieu : |[458] Je ne suis point venu appeler les justes, mais les pecheurs.

|[459] Textus.

|[460] Exemplum habeas in petro et cetera. |[461] Icy prouve l’ange au malade par exemple qu’il ne se doit point desesperer, disent : |[462] Mon amy, ne te desespere point pour quelconque pechié que tu ayes fait. |[463] Pren l’exemple de sainct Pierre qui troi dois Dieu renya. |[464] De saint Paul qui tant les crestiens persecuta. |[465] De sainct Mathieu et de Sachee qui furent publiques usuriers. |[466] De Marie Magdalene qui pleine fut de tous pechiéz. |[467] De la femme qui fut comprinse et trouvee en adultere. |[468] De Marie Egyptiaque qui fut commune pecheresse. |[469] Du larron pendant en la croix a l’heure de la passion. |[470] Tous ceulx cy pecherent grandement. |[471] Touteffois ne se desespererent ilz point, |[472] et aussi Dieu leur pardonna. |[473] Nota quam cito et cetera. |[474] Icy enseigne l’actuer ce que le patient doit faire quant il se sent tempté de desesperance, disant : |[475] Tout aussi tost [27b] que le patient se sent tempté de desespoir, il doit penser en luy mesme jouxte les admonitions de l’ange que desesperance est pire et plus damnable que tous les pechéz |[476] et que pour quelconque pechié que l’homme ait commis tant vil et enorme soit il ne doit entrer en desesperance : |[477] car ainsi que dit monseigneur sainct augusti : |[478] Plus peccauit Iudas desesperando quam Judei crucifigendo Cristum. |[479] Plus pecha Judas en se desesperant que les Juifz ne firent en crucifiant Jesucrist.

|[480] Secondement le patient en ce cas doit penser combien utile et necessaire est esperance selon crisistome qui la diffinit et dit : |[481] Spes est salutis nostre anchora, vite nostre fundamentum, dux intineris quo itur ad celum. |[482] Esperance, dit crisistome est l’anchre de nostre salut, le fundement de nostre vie, la conduyte et adresse du chemin par lequel on va au ciel. |[483] Et pourtant esperance pour quelconque pechié ne doit estre laissee.

|[484] La tierce temptation de quoy le diable tempte en la mort est d’avarice.

[28a] |[485] Tiercement quant l’ennemy d’enfer voit qu’il ne peut faire tant que le patient en l’article de mort puisse de[28b]vier de la foy de Dieu et de l’eglise qu’il ne la croie fermement et vueille mourir comme vray catholique. |[486] Que aussi il ne le [29a] peut faire tourner a desesperance comme dit est, il essaye a le decevoir par une autre maniere.

|[487] Et afin de le subvertir et faire oster sa cogitation des choses salutaires pour son ame, luy vient presenter devant luy et reduyre a memoire toutes les negces et occupations temporelles que le patient a eu au monde, sepcialement celles que plus il a aimees et ou il a eu plus d’affection, |[488] afin que par le regret que le patient peut avoir de laisser icelles temporalitéz ou il a eu tant de felicité, il puisse troubler son entendement et laisser a penser au salut de son ame. |[489] Et c’est bien a noter que ceste temptation principalement vient a ceulx qui ont eu grandes richesses et pocessions, qui ont eu belles femmes, belle lignee, et tous biens mondains en quoy durant leur santé ilz ont plus eu de plaisance et plus d’occupation et de solicitude que au service de Dieu ne que au salut de leur ame. |[490] Et pourtant a l’heure de la mort que tout ce doyvent oublier et laisser, le dyable d’enfer leur vient ramentevoir et leur dit : |[491] O meschant homme que tu es a ceste heure, peuz tu congnoi[29b]stre que en toy est grande meschanceté et maleureté quant si soudainement te fault laisser tout et de si grans biens mondains que tu as eu tant de peine a acquerir, |[492] et maintenant a l’heure que tu en deusses joyr et vivre a ton ayse, tu le pers. |[493] Ta femme aussi, tes beaulx enfans que tu as tant ayméz, que tu laisses impourveuz, et ne sçauront aprés toy ce qu’ilz deveront faire. |[494] Tes beaulx manoirs, tes belles maisons, tes beaulx edifices, qui les maintiendra aprés toy ? |[495] Tes grandes marchandises tant en mer comme en terre, qui les conduira ? |[496] Tu laisses tout a l’heure que tu en deusses joyr, avoir de l’onneur et en faire du bien. |[497] Voicy ta femme, tes petiz enfans que tu laisses desoléz, et telz leur potent honneur qui les defouleront. |[498] Tu meurs trop tost, et te fust ung grant proffit se tu eusses encore peu vivre. |[499] En telle maniere et par telles persuasions tempte le dyable decevoir l’homme afin de avoir regret au monde et delaisser le pensement de son ame pour penser a ses vanitéz. |[500] Unde singulariter notandum est et cetera.

[30a] |[501] Icy enseigne l’acteur ce que on doit faire au tour d’ung mallade touchant ceste temptation d’avarice. |[502] Et dit : il est a noter singulierement et a garder principalement que devant ung mallade estant ou lit de la mort, on ne parle d’aucunes temporalitéz. |[503] Ne que on ne luy ramentoyve sa femme, ses enfans, ne ses amis se n’est en tant que touche le salut de son ame, pour faire son testament et mourir comme vray catholique en la foy de Dieu. |[504] Pourtant est ce que les saincts et sages hommes sentans les assaulx de la mort se font couchier en ung lit de cendre comme monseigneur saint Martin, ou de feurre, comme disans que desja ilz on oublié la richesse et vanité du monde et ne pensent plus que au salut de leur ame. [30b]|[505]  La bonne inspiration que l’ange donne au patient en l’article de la monrt contre avarice.

[31a] |[506] Contre la temptation d’avarice que le dyable d’enfer donne a l’egrotant en l’article de la mort, l’ange de dieu de [31b] l’autre part donne une bonne inspiration et vraie medecine pour bien resister et dit : |[507] O homme, retourne tes oreilles [31a] des mortiferes et dangereuses suggestions du dyable qui totalement se efforce a te subvertir de la cogitation que tu dois avoir au salut de ton ame. |[508] Laisse et postpose la cogitation des temporalitéz. |[509] Et te remembre que toy mesme ne es que cendre ; que de cendre venu, |[510] et que tu retourneras en cendre. |[511] Oultre, te remebre que quant tu vins au monde, tu n’avoies rien, mais nasquis tout nud et que aussi te fault reourner. |[512] Avecques ce, pour le salut de ton ame, est necessaire que voluntairement, tu renonces a toute temporalité, |[513] ainsi que nostre seigneur l’a dit a ceulx qui adherent et prennent leur felicité aux mondaines possessions. |[514] Nisi quis renunciauerit omnibus que possidet non potest meus esse discipulus. |[515] Si ung homme n’a renoncé premierement a toutes ses pocessions, il ne peut estre mon disciple. |[516] Dit oultre nostre seigneur. |[517] Si quis venit ad me et non odit patrem et matrem et uxorem et filios et fratres et sorores, adhuc et animas suam non potest meus esse discipulus. |[518] Se aucun vient a moy dist nostre seigneur et n’a point mis en oubliance ainsi que par haine son [32b] pere, sa mere, sa femme, ses enfans, freres et seurs, mesme sa propre ame, c’est a dire sa propre voulenté sensuelle, il ne peut estre mon disciple. |[519] Et puis aprés dit nostre seinguer : |[520] Et omnis qui reliquerit domum vel fratres, vel sorores, aut patrem, aut matrem, aut uxorem, aut filios, aut agros propter nom meum centuplum accipiet et vitam eternam possidebit. |[521] Et tout homme qui aura laissé sa maison, ses freres, se seurs, ou son pere, ou sa mere, sa femme ou ses enfans, ou ses champs pour mon nom, dit nostre seigneur, il en recouvrera cent fois le double et possedera la vie eternelle. |[522] Et ainsi admonneste l’ange le pacient de prendre povreté voluntaire et hair toutes mondainetéz, |[523] non pas qu’il enseigne a hair son pere, sa mere ou ses enfans de hayne mauvaise procedante de fureur de cueur ou de envie, mais de haine relinquente, |[524] c’est assavoir que on les doit delaisser et mettre en oubly tout ainsi que une chose qu’on hait. |[525] Dit aprés l’acteur : |[526] Memento etiam et cetera. |[527] Icy enseigne l’ange le patient par similitude et luy dit : |[528] Mon amy, remembre toy de la povreté voluntaire que eu nostre seigneur pour [33a] toy en la croix qui voluntairement laissa sa tresaimee mare et ses disciples que tant il aymoit. |[529] Considere pareillement que tant de sages et de saincts hommes en cste contention de temporalitéz ont ensuyvi nostre seigneur voulans oy celle belle parolle ou il dit. |[530] Venite bnedicti patris mei possidete regnum paratum vobis ab origine mundi. |[531] Venez mes amis bneys de mon pere posseder le royaulme qui vous est preparé des le commencement du monde. |[532] Pourtant dit l’ange au patient : |[533] Mon amy, imprime ce que je te dy dedens ta pensee et reppelle et degette toutes choses transitoires de toy, tout ainsi que venin et te converty entierement a povreté volunaire : |[534] car ainsi pourras tu posseder le royaulme qui t’est deu par la promesse de Dieu qui a dit : |[535] Beati pauperes spiritum quoniam ipsorum est regnum celorum. |[536] Benoistz sont les povres de esperit qui ont povreté voluntaire : |[537] car le royaulme des cieulx est a eulx. |[538] Et ainsi di l’ange : |[539] Mon amy, commetz toy du tout a la voulenté en bonne foy et esperance, |[540] lequel te donnera les richesses sempiternelles.

|[541] Nota quando infirmus et cetera.

[33b]|[542] Icy enseigne l’acteur de ce livre le patient doubtant la mort et dit : |[543] Quant le mallade se sent estre tempté par avarice ou amour des choses terriennes, il doit considerer premierement que celle amour est ce qui separe et qui seclud l’amour de Dieu. |[544] Tesmoing sainct Gregoire qui dit : |[545] Tanto quis a superno amore disiungitur quanto hic inferius increaturis delectatur. |[546] De tant plus que aucun icy bas se delecte es creatures, plus est il disjoinct et separé de l’amour souveraine de Dieu. |[547] Secondement il doit considerer combien povreté voluntaire est proffitable, qui beatifie et maine l’homme au ciel, comme dit est par la parole de nostre seigneur. |[548] Beati pauperes spiritumet cetera.

[34a] |[549] La quarte tentacion dont le dyable tempte l’homme en l’article de la mort est impacience.

[34b] |[550] Quartement tempte le diable l’homme estant en l’article de la mort de impaciance pour [35a] le faire murmurer contre Dieu.

|[551] Et dit specialement a l’heure que le malade sent de plus grandes douleurs en luy disant : |[552] O, meschant, comment peux tu souffrir une si griefve douleur, qui est intolerable, qui ne l’as pas desservi et si te est otalement inutille et sans prouffit ? |[553] Bien apparest que Dieu t’a relenqui quant en si grande douleur et affliction il te laisse sans reconfort. |[554] Et qui plus grevable est, il n’y a aucun qui soit compacient de ta douleur ne qui ayt pitié de toy qui est contre toute raison. |[555] Tu dois bien avoir grant despit en ton cuer quant mesme ta femme, tes enfans et prochains sucesseurs sont ceulx qui en leur pensee desirent et festineroyent voulentiers ta mort, principalement pour avoir tout ta sucession, |[556] combien que de bouche et des yeulx plourans, ils monstrent estre marris, ce qu’ilz ne sont pas. |[557] Et n’y a celluy tant beau signe d’amour, qu’il te monstre qui aprés la separacion de ton ame voulsist pour toute ta substance que tu leur delaisse logier et garder ton corps mort suelement par l’espasse d’un jour, |[558] dont tu dois estre moult couroussé et murmurer en ton cueur qu’il fail[35b]le que si grandre douleur te tiengne sans aucun reconfort. |[559] Par telle maniere ou semblables tempte le diable decepvoir le malade par impacience, qui est contre charité, |[560] par laquelle nous sommes tenus aymer Dieu sur toutes choses et pour l’amour de luy pacientement souffrir et endurer toutes adversitéz.

|[561] Nota quam morituris et cetera.

|[562] Icy mect l’acteur de ce livre un notable pour nous enseigner de nous disposer a la mort que par impacience et murmure contre Dieu « Soyons deceuz », |[563] disant que impacience ne advient point si souvent a ceulx qui meurent par longintude de jours et viellese, qui est mort naturelle, |[564] comme a ceulx qui meurent par mort accidentelle, comme de fievres apostumes, epydimie ou autre maladie perilleuse, qui souventeffois attrape et prent les plus fors |[565] qui de tant qu’ilz ont grant force sont plus agravés en leurs maladies. |[566] Et par tant aucuneffois par la vehemence du mal insanient forcenent et deviennent demoniaclas, impaciens, |[567] et murmurans contre Dieu qui aucuneffois [36a] n’est pas bon signe : |[568] car ce peult advenir par faulte de disposicion de conscience et par tentacion de dyable, |[569] dont dit saint Hierosme : |[570] Si quis cum dolore egritudinem vel mortem patitur seu accipit signum est quam sufficienter deum non dirigit. |[571] Se aucun, dit saint Hierosme, seuffre en douleur et impacientement sa maladie ou reçoit mort en desplaisance et murmure. |[572] C’est signe qu’il ne aime point asséz suffisantement Dieu. |[573] Et par tant ne meurt point en vraye charité : |[574] car comme dit saint Paul : |[575] Caritas paciens est, benigna est. |[576] Charité est paciente et benigne. |[577] Et par ce exorte l’acteur de ce livre a ce disposer en planiere santé, |[578] protestant que quelque fantasie qu’on ayt par vehemente maladie, on vueille recepvoir la mort a bon gre et pacientement pour l’amour de Dieu.

[36b] |[579] Inspiracion et bon advertissement que l’ange donne contre impacience.

[37a] |[580] Au contraire de ce que le dyable d’enfer  persuadé et dit au malade pour le faire [37b] cheoir impacience et ystre hors de l’amour de Dieu par faulte de charité. |[581] Et finablement perdre tous les biens que jamais peult avoir [38a] fais l’ange luy donne enseignement au contraire et luy dit : |[582] O, homme, oste ton courage de impacience, par laquelle le dyable avecques toutes ses mortiferes et damnables instigacions ne quiert autre chose que le detriment et perdicion de ton ame : |[583] car par impacience et murmure l’ame est perdue ainsi comme par pacience elle est possedee. |[584] Tesmoing saint Gregoire qui dit : |[585] Regnum celorum nullus murmurans accipit. |[586] Jamais, dit saint Gregoire, celluy qui murmurera contre Dieu ne perviendra au royaulme du ciel. |[587] Et pourtan dit l’ange : |[588] Mon amy, ne te ennuye pas la grandeur ou prolicité de ta maladie, |[589] laquelle se bien tu la consideres, tu trouveras petite et legiere au regart de tes mafaictz. |[590] Oultre celle maladie que Dieu te envoye devant ta mort te peult estre ung purgatoire, mais que tu la seuffres pacientement, |[591] et en dois bien remercier Dieu : |[592] car nous ne le devons pas seulement remercier des choses qu’il nous donne a nostre consolacion, mais pareillement de ce que il nous donne a nostre affection : |[593] car ainsi que dit saint Gregoie : |[594] Misericorditer deus temporalem ad[38b]hibet seueritatem ne eternam n ferat ulcionem. |[595] Dieu par misericorde nous envoie des severitéz et afflictions temporelles affin que pour noz demerites il ne vueille sur nous enferer vengence eternelle. |[596] Saint Augustin aussi dit : |[597] Domine hic  ure, his seca, ut ineternum mihi parcas. |[598] Sire Dieu, dit mon seigneur saint Augustin, brule moy en ce monde icy, trenche moy et decoppe a ta voulenté affin que eternellement tu me pardonnes. |[599] Et pour tant tribulacions en ce monde ne sont pas a refuser. |[600] Car ainsi que dit saint Augustin : |[601] Mala que nos hic pugniunt ad deum nos ire compellunt. |[602] Les maulx et afflictions qui nous pugnissent en ce monde nous compellent et contraingnent retourner envers Dieu. |[603] Oultre dit l’ange : |[604] le salut de l’ame n’est point approuvé a la possession des volentéz de la char, mais plus tost eternelle damnacion ainsi que dit saint Augustin. |[605] Signum manifeste dannacions est beneplacita assequi et a mundo diligi. |[606] Signe de manifeste damnacion, c’est acomplir toutes ses voulentéz et estre aimé du monde. |[607] Dit encor saint Augustin : Mir est qua morbus ineternum dannandis omnes lapides non surgunt in solacium. |[608] Sum magis [39a] mirum est quam omnibus ineternum salvandis omnes lapides non surgunt in periculum. |[609] C’est, dit saint Augustin, merveille que toutes les pierres du monde ne ce lievent contre ceulx qui doyvent estre dampnés eternellement pour leur donner soulas. |[610] Mais encore est ce plus grant merveille qu’ilz ne se lievent contre ceulx qui doivent estre eternellement saulvéz pour leur donner tourment. |[611] Pourtant, dit l’ange au pacient, mon amy, rappelle et regrette de toy impacience comme peste venimeuse |[612] et prens pacience qui est le ferme escu par qui sont debelléz et superéz touts les ennemis de l’ame |[613] en regardant jesucrist et tous les sains qui ont esté paciens jusques a la mort.

|[614] Nota cum informus sentit, et cetera.

|[615] Icy donne l’acteur une senginement au pacient tenté de inpacience, |[616] disant que touteffois que le malade se sent tenté, en ce cas il doit considerer combien impacience est nuysible, qui inquiete l’homme et le subvertir de l’amour de Dieu, si que l’esperit de Dieu ne peut sur luy reposer comme il est escript. |[617] Super quem requiescet spiritus meus [39b] nisi super quietem et humilen corde. |[618] Sur qui, dit nostre seigneur, reposera mon esperit, si n’est sur le pacient paisible et humble de cueur. |[619] Secondement il doit considerer que pacience est souverainement necessaire, ainsi que par plusieurs auctoritéz est prouvé, premier par saint Pol disant : |[620] Paciencia vobis necessaria. Pacience vousest necessaire. |[621] Nostre seigneur aussy l’apreuve qui dit : |[622] Nonne portuit christum pati, et ita intrare in gloriam. |[623] Ne a il pas convenu, demande Dieu le pere, Jesuchrist souffrir pacientement [40a] la mort et en ceste maniere entrer en sa gloire. |[624] Saint Gregoire aussi dit : |[625] Nunquam seruaru concordia nisi pacienciam ualeat. |[626] Concorde et paix ne peult jamais estre gardee que par pacience. |[627] Secondement pacience est utille pour la conservacion de l’ame, dont dit nostre seigneur : |[628] In paciencia vestra possidebitis animas vestras. |[629] En vostre pacience vous possederéz voz ames. |[630] Saint Gregoire aussi dit : |[631] Maioris meriti est adversa tollerare quam bonis operibus insudare. |[632] Chose de plus grant merite est souffrir et porter pacientement ses adversitéz que traveillier son corps jusques a la sueur en faisant autres bonnes euvres. |[633] Dit oultre saint Gregoire : |[634] Sine ferro martires esse possumus, si pacientiam in animo veraciter seruamus. |[635] Sans fers et sans tourmens corporelz exteriores, dit saint Gregoire, nous pouons estre martirs sy veritablement nous gardons pacience en noz cueurs. |[636] Salomon aussy dut : |[637] Melior est paciens viro forti et qui dominatur animi suo expugnatore urbium. |[638] Meilleur est ung homme pacient que ung homme fort de vertu corporelle, et celluy a qui puissance de dominer sur son courage qu’il ne soit ireux plus que cellui qui est expugnateur de citéz.

|[639] La cinquiesme tentacion que le dyable donne au malade en l’article de la mort est de vaine gloire.

[41a] |[640] Quant finablement le dyable voit qu’il n’a peu faire devier l’homme de la foy ou [41b] induire en desplaisance avarice ou impacience, adonc vient il a lui par une decepcion adulative pour le faire entrer en vaine gloi[42a]re et presumption de soy mesmes par complacence de ses faictz en luy disant : |[641] O vaillant crestien que tu es, considere combien tu as esté constant et ferme en la foy, fort en esperance, envers Dieu charitable et pacient en tous tes fais. |[642] Et combien de euvres meritoire et digne de loenge tu as faictes. |[643] Biens dois avoir en toy une grande joye et te glorifier : |[644] car tu n’es pas comme les autres hommes qui ont pereptré et fait maulx infinis, touteffois pour ung seul gemissement et regard qu’ilz ont eu envers Dieu, ilz ont eu salvacion, lequel t’est bien mieulx deu que a eulx |[645] car tu as tousjours desvu vertueusement et en bonnes euvres, resisté aux vices et temptacions, ainsi que ung vaillant chevalier. |[646] Par quoy tu te dois bien priser et demande a Dieu, siege de gloire, excellent devant tous autres : |[647] car de droit il ne te peult estre nyé par tant que tu as tousjours virillement et legitimement bataillé pour la foy de Dieu. |[648] En ceste maniere instantement essaye le faulx ennemy a decepvoir l’homme par orgueil spirituel et par arrogance de soy mesmes [42b] et en se glorifiant en ses propres faictz.

|[649] Pro quo notandum est, et cetera.

|[650] Icy donne l’acteur ung notable et dit que pour plusieurs causes suerbité et vaine gloire est a eviter. |[651] Premier pour tant que par ce l’homme est fait semblable au dyable : |[652] car par orgueil tant seulement fut d’ung ange fait ung dyable. |[653] Secondement par tant que vaine gloire est une maniere de blapheme, pour ce que l’homme attribue a soy l’honneur qu’il doit attribuer a Dieu. Tiercement pourtant qu’elle fait l’homme dampner. |[654]  Comme dit saint Gregoire : |[655] Reminiscendo quis boni quod gessit dum se apud se erigit apud auctorem humilitatis cadit. |[656] Quant aucun en sa personne se glorifie et eslieve pour aucun bien qu’il a fait, il chiet et est deprimé envers Dieu qui est aucteur de humilité. |[657] Saint Augustin aussi : |[658] Homo si se iujstificauerit et de iusticia sua presumpserit cadit. |[659] Si l’homme se dit juste et presume de sa justificacion, il chiet en dampnacion.

[43a] |[660] Remede et inspiration de l’ange contre la precedente temptacion.

[43b] |[661] Pour et affin que le malade labourant a l’article de la mort puisse resister a celle derreniere temptacion, [44a] qui est de vaine gloire, l’ange qui de luy a la commission luy donne ung bon enseignement et certaine inspiracion pour resister en disant. |[662] O povre pecheur pour quoy t’en orgueillis tu en attribuant a toy la constance que tu as eue en foy, esperance, pacience et resistence contre avarice, dont la gloire seulement en appartient a Dieu ? |[663] Comme ainsi soit que de toy tu n’ayes aucune chose de bien ne digne de merite, si cimme dit nostre seigneur : |[664] Sine me nichil potestis facere. |[665] Sans moy vous ne pouéz riens faire. |[666] Oultre il est escript ailleurs : |[667] Non tibi arroges. |[668] Ne te donne point de arrogance. |[669] Non te jactes. |[670]  Ne te vante point. |[671] Non te insollenter extollas. |[672] Ne te eslieve point insolentement par orgueil. |[673] Nichil de te presumas. |[674] Ne presumes riens de toy. |[675] Nichil bon tibi tribuas. |[676] Ne attribue a toy aucune chose de toy. |[677] Car, it l’ange, mon amy, tu n’as cause de te exalter, mais plus tost de te humilier affin que tu soyes exalté, par ce que dit nostre seigneur : |[678] Qui se exaltat humliabitur. |[679] Qui se exalte sera humilié. |[680] Et de rechief : |[681] Nisi efficiamini sicut parvulus iste non in[44b]trabitis in regnum celorum. |[682] Dist nostre seigneur a ses disciples monstrant ung enfant innocent : |[683] Se vous n’estes fais aussi humbles que ce petit enfant innocent, nous n’entreréz point ou royaume des cieulx. |[684] Et pourtant, nous devons nous bien humilier pource que Dieu a dit : |[685] Qui se humiliat exaltabitur. |[686] Qui se humilie sera axaulce. |[687] Et saint Augustin dit : |[688] Si te humilias Deus descendet ad te. |[689] Si te exaltas Deus recedet at te. |[690] Si tu te humilies, Dieu descendra en toy. |[691] Mais si tu te exaltes par vaine gloire, Dieu se depart de toy. |[692] Et pourtant, dit l’ange au malade, mon amy, oste ta pensee de ce mauldit orgueil qui fist Lucifer le plus beau des anges estre le plus lait et le plus villain de tous les dyables, le getta du hault du ciel, jusques au profond d’enfer, et qui est cause de tous maulx. |[693] Comme dit saint Bernard : |[694] Initium omnis peccati et cause tocius perdicionis est superbia. |[695] Le commencement de tout peché et cause de totale perdicion est orgueil. |[696] Pourtant, dit l’ange au malade, osté ce pechié d’orgueil principalement et sans labeur ou travail, tu vaincras [45a] et corrumpras tous autres.

|[697] Unde singulariter notandum est.

|[698] Icy mect l’acteur de ce present livre son derrenier notable touchant ceste derreniere inspiracion, disant qu’il est singulierement a noter que, |[699] quant le malade labourant a la mort se sent estre tempté de vaine gloire et orgueil, il doit premier cogiter en soy mesme que orgueil tant desplaist a Dieu que par l’occasion de ce ; |[700] seulement il envoya et relega en dampnacion eternelle la plus noble des creatures, ce fut Lucifer, avecques tous ses complices et coadherens |[701] pour quoy toute creature qui ne sçaut se elle est digne de la hayne ou de l’amour de Dieu se doit bien humilier. |[702] En prenant l’exemple de monseigneur saint Anthoine, auquel le dyable disoit : |[703] O Anthoni, tu me vicisti, cum enim uolo te exaltare, tu deprime, cun te uolo deprimere, tu erigis. |[704] O Anthoine, tu m’as vaincu quant je te vueil exalter et eslever par vaine gloire ; |[705] tu te abaisses et humilies quant je te vueil abaisser et mettre le cueur hors de contemplacion ; |[706] tu te dresses et lieves plus que devant. |[707] Secondement, le malade doit cogi[45b]ter que humilité tant pleut a Dieu que principalement pour l’occasion d’elle la glorieuse vierge Marie le conceut et en est exaltee sur toutes les compaignies des anges en la gloire de paradis.

|[708] La tresutille conclusion que fait l’acteur en la fin de son livre, et commence ou latin. |[709]  Si moriturus et cetera.

[46a] |[710] Pour faire la conclusion de ceste bonne et salutaire doctrine, l’acteur de ce livre dit que si aux assaulx de [46b] la mort le pacient peut encore parler et avoir usance de raiqon, il doit faire de cueur et de bouche ses oroisons a Dieu le pere [47a] createur, en priant sa tresaincte misericorde et par la vertu de la tresfructueuse passion de son benoist filz jesucrist, il le vueille recevoir en sa grace. |[711] Aprés ce, doit invoquer et appeler la benoiste Vierge Marie pour son advocate envers Dieu. |[712] Pareillement aussi son bon ange qui la garde é generallement tous les saincts et sainctes de paradis |[713] qu’ilz vueillent prier Dieu pour luy, en aiant tousjours la croix et remembrance de la passion devant soy, |[714] laquelle baiser on lui fera en default s’il peut parler ce vers ou il est escript. |[715] Disrupisti domine uincula me a tibi sacrificabo hostiam laudis. |[716] Qui est a dire en françois : |[[717] Sire, tu as desrompu mes lyens, je te sacrifieray l’ostie de loenge, et le doit dire par trois foiz. |[718] Car selon Cassidore, le vers est de telle vertu que par le dire devotement et en bonne contriction, en la fin les pechéz de la personne sont pardonnéz. |[719] Item on luy doit faire dire se on peut les motz ensuyvans que on attribue a sainct Augustin, |[720] c’est assavoir la paix de nostre seigneur Jesucrist, la vertu de sa benoiste passion, le signe de sa saincte croix, la trsentieres et pure integrité de la Vierge Marie, [47b] la benediction de tous les sainctes et sainctes, la garde des anges. |[721] Et toutes les intercessions et suffrages des esleuz de Dieu soient ente moy et mes ennemis visibles et invisibles en ceste heure de ma mort. |[722] Amen. |[723] Et les doit dire le languissant trois foiz s’il peut ou aucune bonne personne pour luy. |[724] Oultre plus dit l’acteur et enseigne a toute sage personne d’acquerir en sa vie aucun feal amy et bon compaignon a qui il ait ferme confidence, |[725] lequel luy assiste en l’article de la mort pour lui donner bonne et ferme constance de vouloir au plaisir prendre la mort a bon gre : |[726] car ung tel amy peut moult valoir et prouffiter. |[727] Et si en cest estat la creature meurt et qu’on voye qu’il ait eu les conditions dessus mises en sa mort avec les prieres que aucuns siens amys font et font faire pour luy, on peut croire que Dieu luy ayt fait grace et voulu recevoir en sa gloire de paradis, |[728] a laquelle nous conduye le pere, le filz et le benoist sainct esperit. |[729] Amen.

|[730] Cy fine le livre intitulé l’art de bien mourir.


[57] de devant ton dieu répété

[125] anctoritéz

[135] au monde de la mort

[147] ad unins

[189] de cuenr

[190] vonlenté

[232] homins

[341] agoissant

[487] mechance

[586] royulme

[691] per

[717] biens biffé, lyens suscrit