Manuscrit K

[144 r]

|1 Ce petit livre est intitulé L’art de bien mourir, et cetera.

|2 Comme le passaige de la misere de l’exil de ce present siecle a la mort soit difficile et moult estrange et horrible, |3 non seullement aux hommes laiz mais aussi aux religieux, |4 pour doncques estre instruit de la maniere de bien mourir, j’ay escrit, touchant ceste matere, aucunnes enhortacions, |5 les quelles Dieu devant, pourront estre prouffitables non seullement a ceulx qui labeurent au derrain de leur jours |6 mais aussi a tous autres cincq centz de plaine vie a la congnoissance de quelz elle parvendront, |7 car cest art et science de bien mourir est generallement bien necessaire a tous bons catholicques pour le prouffit de leur salut. |8 Et dure ce petit traittié plusieurs chapiltres.

|23 Le premier chapiltre qui est de la louenge de la mort et de la maniere de bien morir.

[145v] |24 Si comme dit le Philosophe en ses Ethiques, |25 Quamvis secondum Philosophum, tercio Ethicorum, omnium terribilium mors corporis sit terribilissima, morti anime nullatenus est comparanda. |26 La mort est chose terrible et la derniere de toutes les autres terribles, |27 mais toutesfois la mort de l’ame est de tant plus horrible et plus espouentable et detestable que n’est celle du corps, |28 de tant que l’ame est plus noble et plus precieuse que le corps. |29 Dont dit monseigneur saint Augustin : |30 Majus dampnum est in amiscione unius anime quam mille corporum |31 « Plus grant dommaige et plus grant perte est d’une ame morte et perdue que ce n’est de mille corps ».

[Cincq temptacions]

[151v] |153 Il n’est pas a doubter que ceulx qui labeurent a l’article de la mort n’ayent pluseurs grandes temptacions et les [152r] nonpareillez qu’ilz ayent oncques eu par avant en plaine vie, |154 entre les quelles j’en trouve cincq principallez.

|155 La premiere est de foy, |156 pour ce que aussi que foy est le fondement de nostre salut.

|157 Tesmoing l’Apostre qui dit, parlant du salut : |158 « Nul ne peut mettre autre fondement en nostre salut que foy. » |159 Et saint Aujustin dit : |160 Fides est bonorum omnium fundamentum et humane salutis inicium |161 « Foy est le fondement de tous biens et le commencement de humain salut ». |162 Et, pour ce, dit de rechief l’Apostre, Ad Hebreos, .xio. capitulo : |163 Sine fide impossible est placere Deo |164 « Il est impossible que sans foy nul puisse a Dié plaire ». |165 Et saint Jehan dit : |166 « Celuy qui ne croit est desja jugé ».

|213 De la .iie. temptacion qui se nomme desesperation.

|214 La seconde temptacion est desesperation, |215 qui est contre esperance que l’omme doit avoir a Dieu, |216 car, quant le [155v] dyable voit que le pacient labeure et est constitué en plus grant angoisse, |217 adont plus tost il vient pour luy mectre douleur sur douleur |218 et si luy met au devant ses pechiéz, |219 non pas a maniere qu’il en doive prendre contriction et repentence en esperant d’avoir d’iceulx indulgence et pardon |220 mais affin qu’il le puisse faire cheoir en desesperacion en aprés |221 pour ce que, selon ce que dit Innocencius ou livre De la Vilité de humaine condicion : |222 « Tout homme chrestien, tant bon que mauvais, voit Nostre benoist Sauveur Jhesucrist en la croix ainçois que l’ame luy departe du corps |223 et le veoient les bons en toute consolacion de leur salut et les mauvais en toute confusion de leur dampnacion |224 et affin qu’ilz se enhontissent de ce qu’ilz ont perdu le fruit de leur redempcion ».

|290 Ensuit la .iiie. temptacion.

|291 Cy commence la tierce temptacion, qui se nomme impacience.

[159r] |292 La tierce temptacion est impacience, qui est contre charité, |293 par la quelle nous sommez tenuz de [159v] aymer Dieu sur toute chose et nostre proesme comme nous mesmes, |294 car, ainsi, quant vient a l’article de la mort, les malades seuffrent moult grant douleur de cœur |295 et mesmement ceulx qui ne mourent pas de mort naturelle |296 mais par accidens si comme par fievres, pestilence ou autres excés |297 par les quelz les pluseurs morent a grant douleur et a plus de traveil que ne font ceulx qui meurent de mort naturelle, c’est a dire de vieillesse, si comme nous le veons chascun jour.

|391 La quarte temptacion est le plaisir que l’en a a soy [164v] meisme,

|392 le quel plaisir est aucun orgueil espirituel par le quel le dyable est communement envieux a tous, |393 mais il est tousjours plus fort a ceulx qui sont les plus parfaitz et les plus justes.

|394 Si est ainsi que, quant il voit qu’il ne peut induyre l’omme a devoyer de la foy ne a desperacion ne a impacience, adonc i l’assault par complasance de soy mesme |395 et si le commence agguillonner |396 et luy mectre au devant les cogitacions qui s’ensuivent : |397 « Tu dois bien estre joyeux et lyéz, |398 car tu as esté tousjours fermes en la foy |399 et bien fort en esperance |400 et bien constant en pacience, |401 puis encore de ce que tu as fait pluseurs biens en ta vie : |402 tu as donné beaucoup pour Dieu et fait grans abstinences », |403 et autres pluseurs telles ventences pour le decevoir.

[167v] |465 La cinqiesme temptacion est la trop grant affliction que l’en a es choses temporelles.

|466 Et ceste temptacion [168r] touche plus aux seculiers que aux religieux, car l’amour qu’ilz y ont eu par avant les remort, |467 et le dyable d’autre part vient qui leur met devant les biens temporelz, en disant : |468 « Le cœur te doit bien faire mal quant il fault que si tost tu habandonnes ta femme, tes enffans, tes amys, tes richesses et tes honneurs mondains ». |469 Et ainsi le va temptant pour le faire desvoyer de toutes bonnes cogitacions qu’il doit avoir envers Nostre Seigneur pour son salut.

[172r] |533 Nous avons dessus veu des temptacions et remedes d’icelles.

|534 Maintenant, des interrogacions [172r] des quelles l’en doit user envers les malades.

|535 Quant doncques ceulx qui sont entour les malades voyent qu’il sont en l’article de la mort, il les doivent reconforter et, en les reconfortant, les doivent doulcement interroguer en charité |536 comme veult Ancelme, en leur disant en ceste maniere : |537 « Mon frere, n’as tu pas leesse en toy de ce que tu meurs en la foy de Nostre benoist Sauveur Jhesucrist ? » |538 Le quel doit respondre : |539 « Oïl, se Dieu plaist. » |540 – « Ne confesse tu pas que tu n’as pas si bien veesquu en elle comme tu deusses ? » |541 – « Oïl. » |542 – « Ne te repens tu pas de ce ? » |543 – « Oïl. » |544 – « N’as tu pas bonne voulenté de toy amender se Dieu te donne espasse de vie ? » |545 – « Oïl. » |546 – « Crois tu que tu ne peus avoir salvacion si non moyennant la benoiste mort et passion de Nostre Sauveur Jhesucrist ? » |547 – « Oïl. »

|618 Le chapiltre des intructions que l’en leur doit faire, et cetera.

|619 Dit avons dessus des interrogations. |620 Maintenant dirons des instructions que l’en doit faire a ceulx qui labeurent en l’article de la mort.

|621 Saint Gregoire dit : |622 « Toute action de Jhesucrist, c’est a dire toute œuvre qu’i fist, luy estant en ce monde, est nostre instruction. » |623 Et, pour ce, chascun bon catholicque le doit ensieuvir es choes qu’il fist mourant en la croix. |624 Il fist cincq choses entre les autres.

|625 La premiere : il fist a Dieu oroyson. [176v] |626 Et, selon ce que aucuns dient, il dist ces pseaulmes ensuivans, assavoir : |627 Deus meus, respice in me, |628 jusques a ce vers qui est au huityesme pseaulme continuellement ensuivant, |629 In manus tuas, Domine, commendo spiritum meum.

|630 La seconde : il fist une exclamacion a Dieu.

|631 La tierce : il pleura.

|632 La quarte : il recommanda son ame a Dieu.

|633 La .vme. : il la luy remist, si comme les saintz Euvangilles le tesmoignent.

|694 Des enhortacions que l’en leur doit faire.

|695 En ce chapitre est a veoir comme les malades sont a enhorter, car pou se trouvent |696 – pas ne diray seullement entre les seculiers mais aussi entre les religieux et autres personnes devotes – qui gaires se disposent a la mort si comme devroient et leur seroit necessaire, |697 car il n’y a celuy qui ne pense tousjours qu’il doit vivre plus longuement. |698 Et ce vient par induction du dyable, qui tousjours les entretient tant qu’il peut en ceste vaine esperance de plus longuement vivre pour les decevoir. |699 Dont aussi les pluseurs mourent miserablement sans disposer de leur biens, aussi sans avoir nulle repentence ne contriction ne confession de leurs pechiéz, |700 car ilz sont si oppresséz et troubléz de maladie qu’ilz n’ont en eulx nul enten[181r]dement ne nul sentement de rayson.

|784 Prieres, et cetera.

|785 Quant vient que le pacient labeure en l’article de la mort, on lui doit dire les oroisons qui s’ensuivent, s’il est religieux, |786 et si doit on convocquer le premier convent par la table, selon qu’il est de coustume, et dire la letanie avec les pseaulmes et oroysons [187v] acoustumees.  |787 Et, s’il survit, l’en y doit adjoindre les oroisons ensuivans et les doit dire aucun de ceulx qui sont illec en present comme l’en voit que la chose requiert. |788 Et si les peuent souvent ramentevoir pour donner au pacient plus grant consolation, |789 non pour quant, ce n’est pas chose qui soit de necessité de salut mais tant seullement par devotion et affin que le pacient y prenge consolation.

|866 Exemple, et cetera.

|867 Il fut ung page lequel, quant devint qu’il travailloit en l’article de la mort, interroga son chapelain, qui estoit homme devot et ydosne et lequel il amoit bien, quelz suffraiges ou quelz biens il feroit dire ou diroit pour luy aprés sa mort, |868 auquel le chapellain respondi que tous ceulx que possibles luy seroient et lesquelz il luy commanderoit.

|869 Adonc le pape luy dist : |870 « Je ne te demande que tu me donnes nulle autre aide |871 si non que, quant tu me verras mis ou pluffort de la bataille de la mort, tu dies par troys fois l’oroyson dominical, assavoir le Pater Noster, en devocion et de bon cœur ». |872 Si luy promist le chapelain que si feroit il sans nulle faulte tres voulentiers.

|954 Conclusion.

|955 Et, pour ce que tout le salut de l’omme se tient en la fin, chascun bon chrestien devroit faire et procurer d’enquerir et avoir aucun pour son espicial amy et compaignon feal et tres devot, |956 lequel, quant vendroit a l’article de la mort, feust et se tint tousjours emprés luy en le reconfortant par pacience, par constance, par foy, par charité et par toutes autres œuvres [197v] et vertus a luy possibles, |957 aussi qui luy leist et dist les oroisons et autres suffraiges dessus mencionnéz et le tenist en bonne disposicion enver Nostre Seigneur,  |958 car aussi bonne disposicion en celuy qui meurt est moult necessaire se toutesfois il veult que les oroysons luy prouffitent.

Table des noms propres

ABRAAM, 188, patriarche, père des Hébreux

ACHIOL, 190, Achior, chef des Ammonites, conseiller d’Holopherne

AD HEBREOS voir HEBREOS (AD –)

ALBERTUS, 330, Albert le Grand, dominicain théologien (1193-1280)

ALEXANDRE, 212, Alexandre le Grand, roi de Macédoine

ANCELME, 536, Anselme, archevêque de Cantorbéry, évoqué à travers son Cur Deus homo ?

ANTHOINE, SAINT ANTHOINE, 460, Antoine, anachorète

APOCALIPSE, 63, Apocalypse de Jean, dernier livre du Nouveau Testament

APOSTRE voir JEHAN, POL

ARISTOTE, PHILOSOPHE, 24, 137, philosophe évoqué principalement à travers son Éthique à Nicomaque

AUGUSTIN, SAINT AUGUSTIN, 42, 159, 229, 245, 263, 334, 342, 346, 389, 414, 436, 529, 730, MONSEIGNEUR SAINT AUGUSTIN, 29, SAIGE, 73, Augustin, évêque d’Hippone, l’un des quatre Pères de l’Église occidentale et l’un des trente-six docteurs de l’Église

AVE MARIA, 21, 904, 919, 934, prière de salutation de Marie par Gabriel

Albert le Grand, Enchiridion de virtutibus veris et perfectis, XXV, 4 : 331

Anselme de Cantorbéry, Cur Deus homo ? : 537-547

Apocalypse, 14, 13 : 64-65

Aristote

Éthique à Nicomaque : 140 ; III, 7 : 25
Réfutations sophistiques, I, V, 9 : 138

Augustin

De civitate Dei contra paganos, VIII : 30-31 ; XIII, II : 43-44, 74
De Fide et Operibus, I, 15, 24 : 160-161
De verbis Domini et Apostoli : 230 ; IX, 4 : 251 ; XVII : 196-197
Enarrationes in Psalmos, XXI, II, 2 : 415-416 ; XXXIII, II, 20 : 335-336 ; XXXII, II, 23 : 437-440 ; CI : 530
Epistula ad Marcellum, V : 337, 339
In Iohannis Evangelium tractatus, 46 : 246 ; 47 : 247-248
Sermones, CCCLII, III, 8 (De utilitate agendae poenitentiae) : 264-265

ADMONNESTEMENT, ADMONNESTEMENS, 18, n. m., recommandation

AFFECTION, 501, n. f., émotion, sentiment

AFFLICTION, 331, 465, n. f., « Abattement consécutif à un événement douloureux » (DMF)

AVERTENCE, 711, n. f., avertissement

BENIN, BENIGNE, 309, 485, adj,, bienveillant

COAHERENS, 442, COHERENS, 450, adj., partisan

COMPASSIENT, COMPASSIENS, 324, adj., compatissant

COMPLACENCE, 14, COMPLASANCE, 394, n. f., autosatisfaction, vanité

COMPLAIRE, 376, v., chercher à se rendre qn favorable

COMPRENDRE, COMPRINS, 739, v., saisir, attraper

CONFERMER, 514, 645, CONFERMANT, 97,v., affermir, renforcer

CONFIDENCE, 499, n. f., confiance

CONFUSION, 223, n. f., honte

CONSUMMACION, 85, n. f., accomplissement

CONTEMPNEMENT, 486, n. m., mépris

DECOUPPER, DECOUPPE, 336, v., disculper

DECRETALE, 703, n. f., lettre pontificale réglant un litige

DESPERACION, 12, 50, 394, n. f., désespoir

DESPERER, 230, 246, v., cesser d’espérer

DESPRISANCE, 744, n. f., mépris

DESPRISER, 463, DESPRISE, 187, DESPRISERA, 238, DESPRISEROIES, 592, DESPRISES, 462, DESPRISIÉ, 582, v., mépriser, dédaigner

DILECTION, 649, n. f., amour porté à qn

DIRRUPCION, 86, n. f., destruction

DIVERTIR,DIVERTIT, 358, v., détourner

EFFICACE, 198, 233, n. f., pouvoir, force

ENCOMBREMENT, 353, n. m., préjudice

ENHARDIR, 377, v., encourager

ENHORTACION, 779, ENHORTACIONS, 4, 694, ENORTACIONS, 18, n. f., conseil, recommandation

ENHORTER, 69 ENHORTENT, 706, 5, 702, 738, 781, 783, ENHORTANT, 734, ENHORTE, 281, ENHORTÉ, 725, v., conseiller, recommander

ESCHEVER, 120, 125, 509, 703, v., éviter

ESSAUCERAS v. EXAULCER

ESTRANGE, 2, adj., cruel

EXAULCER, EXAULCEE, 451, EXAULCES, 463, EXAULCÉS, 433, EXAULCIÉ, 897, ESSAUCERAS, 428, v., enorgueillir, glorifier

EXIL

EXIL, 2, n. m., vie sur terre

EXIL, 81, 450, n. m., bannissement

FERMER, 170, 509, v., affermir, renforcer

GEMIR, GEMIRA, 241, GEMISSANT, 639, v., regretter

HARDEMENT, 376, n. m., courage

IMPETRER, 274, 670, IMPETRE, 207, 671, v., essayer d’obtenir

JUSTIFICACION, 50, 52, n. f., « Opération de grâce par laquelle Dieu rend juste le pécheur, lui rend l’innocence » (DMF)

LOYALLER, LOYALLERONT, 617, v., rester loyal (?)

MESMENT, 604, adv., même

MURMURATION, 318, n. f., protestation

OFFENDRE, 592, OFFEND, 253, v., offenser

PERMANOIR, PERMAGNE, 62, v., persister

POURTANT QUE, 135, 182, 768, conj., parce que

PROESME, 293, 791, n. m., prochain

PUBLICAIN, 285, n. m., collecteur d’impôts

REDDUIRE, 763, REDUYE, 752, v., ramener

REFRIGERE, 67, n. m., soulagement

RELENQUIR, 270, 341, v., abandonner

REMUNERACION, 486, n. f., récompense

REPELLER, REPELLE, 658, v., condamner, rejeter

REPOSABLE, 726, adj., tranquille, serein

RESEQUER, RESEQUÉS, 448, v., retrancher

RESOLU, 151, v., ferme

REVERENCE, 598, n. f., respect, déférence

SENTENCE, 62, 738, 767, n. f., phrase, formulation

SOLUCION, 87, n. f., action de répondre à une question

SUFFRAGE, SUFFRAGES, 21, 685, SUFFRAIGES, 867, 957, n. m./f., prière d’intercession

SUPERNEL, SUPERNELLES, 132, adj., céleste

TABLE, 781, 786, n. f., crécelle

TENNER, 314, TENNE, 187, v., tourmenter

TREBUCHER, 143, v., tomber

TRIBULACION, TRIBULACIONS, 340, 371, TRIBULATION, 532, n. f., épreuve

VENIAL, 68, VENIAULX, 512, adj., qui peut être pardonné

YDOSNE, 867, adj., approprié, convenable