Manuscrit R

[Proeme]

[33 r] |1 Cy aprés s’ensuit ung livret extrait du traité de l’art de mourir tres prouffitable a toute creature humaine pour savoir les remedes et vertuz servans a resister au deable, |2 qui en la fin des jours tempte la creature de cinq vices principalment, c’est assavoir de infidelité, desesperance, impacience, orgueil, soubz umbre des vertuz de la creature, |3 et de trop grant regret et curiosité des biens temporelz et amis charnelz.

[La premiere temptacion est en la foy]

|25 La premiere temptacion est en la foy, |26 car, ainsi que dit l’Apostre : |27 « Foy est le commancement et fondement de tout humain lignage mettre et venir a salvation. » |28 Et aussi « Sans foy il est impossible plaire a Dieu », |29 comme est escript en la sainte Escripture en pluseurs lieux, |30 disant que cellui qui ne croit et n’a foy est jugié a souffrir peine eternele en la compagnie des deables, |31 comme on puet veoir de pluseurs qui ont fait mourir les apostres, qui sont, par leur ostination et incredulité, dampnéz perpetuelment. |32 Exemple [35r] avons bien de Neron, Pillate et Herode, qui, a ceste heure, scevent bien com la mort leur est douloureuse et a tout homme injuste. |33 O ennemi de humain lignage ! |34 com courroucié tu es de la grant vertu et force de nostre bonne foy, qui tant opprimes et deffoles les bons chrestiens en leurs extremitéz |35 pour les faire devier en icelle totalement ou par racines qui sont erreur, heresie et plusieurs autres par lesquelles les veulx mener a dampnation perpetuele !

[La seconde chose dont se parforce le deable]

|46 La seconde chose dont se parforce le deable a l’article de la mort est de vouloir mettre ung chascun chrestien ou chrestienne hors d’esperance de son salut, [36r] |47 car, avec la douleur et cremeur que la personne a de ses pechiéz commis dont il a fait satisfaction et confession, adjouste icellui ennemi ung plus grand mal avec le precedent |48 en lui donnant souvenance et memoire des pechiéz commis dont n’a fait aucune confession en sa vie, qui fait l’omme cheoir bien souvent en desesperance. |49 Et ceulx qui meurent en tel estat peuent dire sans doubte ce qui est escript : |50 « Mort douloureuse, je suy ta viande et sçay que tu me devoureras et ou feu d’enfer avec les deables descendray ».

[La tierce maniere comment les mourans sont temptéz du deable]

|69 La tierce maniere comment les mourans sont temptéz du deable est par impatience, |70 par la quele offensons nostre Createur en tant que nous delaissons la charité, de la quele le devons amer sur toutes choses, |71 car qui n’a charité il n’est point plaisant a Dieu et qui l’a avec lui est et, par consequent, [37v] encontre tout mal et douleur resiste de legier. |72 Quant on est en l’extremité de la vie, ce ne puet estre sans grant douleur corporele |73 et, se lors la creature n’a bonne pacience et regart a Dieu, son Createur, le deable aucune foiz lui trouble son entendement |74 par tele maniere qu’il semble estre hors du sens et ne lui scet on faire chose qui lui plaise, |75 comme veons bien souvent par experience et principalment es creatures qui ont maladies accidenteles, comme fievre, apostume, |76 et tous ceulx qui sont indisposéz a mourir. |77 Songes, reveries leur surviennent tout ainsi que s’ilz estoient folz et ce vient de grant douleur corporele et impacience et regret qu’ilz ont a morir. |78 Et telz faillent a vraye charité, la quelle est amer Dieu de tout son cuer. |79 Se on aime Dieu, on soustient voulentiers les maladies qu’il envoie.

[La quarte temptation]

|89 Et quant le deable voit qu’il ne puet faire devier ung bon catholique en la foy ne cheoir en desespoir ou impacience, il presente a la creature estant ou lit de la mort trois couronnes. |90 La premiere de fin or quant il ramentoit a la creature les biens et vertuz qu’elle a faitz en sa vie, affin qu’elle s’en orguillisse. |91 La seconde couronne est d’espines quant il monstre et ramentoit les richesses et biens que on a acquis en ce monde, affin d’avoir regret de les laissier. |92 Et sont les biens de ce monde bien nomméz espines, car tant plus on en a et plus picquent et font mal a l’ame quant on ne use bien d’iceulx. |93 La tierce couronne est d’estrain et ordure.

[Le cinquiesme vice par le quel le deable tempte la personne]

|112 Le cinquiesme vice par le quel le deable tempte la personne estant ou lit de la mort, |113 principalment ceulx qui sont mondains et mettent leur estudie aux choses temporelles |114 et ne pensent a autre chose en ce monde que a acquerir rentes, heritages, maisons pour enrichir leurs parens, qui sont cause de les faire aller a dampnation. |115 Et, quant il eschiet qu’il leur vient maladie, soit petite ou grande, mesmes en la fin de leurs jours, si ne laissent ilz point a penser a leurs biens et a demander de  leurs affaires. |116 Lors, le deable leur ramentoit : |117 « Tel povre homme te doit de l’argent. |118 Que ne le fais tu contraindre de toy paier ? |119 En endures tu ? » |120 Ainsi mainnent les deables [40v] la creature jusques a tant qu’il ait perdu la parole et n’a point aucunes foiz confession, dont c’est pitié. |121 Et est en grant dangier cil ou celle qui muert en tel estat. |122  C’est grant pitié que pour les biens de ce monde on se vueille dampner. |123 Par aventure, ung jour, aprés sa mort, sera tout son avoir despendu et tout le tresor qu’il avoit amassé sera par autruy entassé.

|124 Tel pour autre tresor amasse
|125 Qui pour lui mesmes feu embrasse.

[Admonicions]

|126 La creature temptee du deable en ceste maniere, pour avoir salvation, doit a l’encontre d’icellui et de ses extortions oster son cuer totalement des biens mondains |127 et humblement se recommander a la misericorde de Dieu en offrant recevoir la mort quant son bon plaisir sera, |128 car, comme dist ung docteur nommé l’Escot : |129 « Se aucun se sent mourir et de bon [41r] cuer s’i consent tout ainsi que s’il eust esleu la mort et la peine qui est a passer ce pas, |130 il satisfait pour tous les pechiéz venielz ». |131 Et, qui plus, encores dist il |132 que « Cil se offre a satisfaire pour les mortelz ».

Table des noms propres

ABRAHAM, 39, patriarche, père des Hébreux

ACHIOR, 44, chef des Ammonites, conseiller d’Holopherne

ANTHOINE, 109, MON SEIGNEUR SAINT ANTHOINE, 108, Antoine, anachorète

AUGUSTIN, SAINT AUGUSTIN, 84, Augustin, évêque d’Hippone, l’un des quatre Pères de l’Église occidentale et l’un des trente-six docteurs de l’Église

Index des textes cités

Augustin, De Fide et operibus, I, 15, 24 : 27

Jean Duns Scot, commentaires du Liber Sententiarum, 4 : 129-130, 132

Paul, Épitre aux Hébreux, 11, 6 : 28

Psaumes, 34, 20 : 62

APOSTUME, 75, n. m., tumeur

CONFIER, 68, v. pron., avoir confiance

CONTEMPLATION, 14, n. f., réflexion, méditation

ESTRAIN, 93, n. m., paille

ESTUDIE, 113, n. f., zèle

EXAULCIER, 8, 110, EXAULCIÉ, 111, v., enorgueillir, glorifier

GEMIR, 60, v., regretter

HORDOYÉ, 11, v., souiller

INCREDULITÉ, 31, n. f., défaut de croyance religieuse

INFIDÉLITÉ, 24, n. f., « État de celui qui ne pratique pas la religion chrétienne » (DMF)

JUSTIFICACION, 137, n. f., « Opération de grâce par laquelle Dieu rend juste le pécheur, lui rend l’innocence » (DMF)

MURMURER, 81, v., protester, se plaindre

PERPLEXITÉ, 24, n. f., détresse

POURTANT QUE, 16, 42, 44, conj., parce que

VERGES, 87, n. f., châtiment