[a ii r] |1 Le prologue de ce present livre.

|2 Considerant que, en ceste vie presente, n’est donnee aucune permanence ou aucune stabilité qu’il ne faille que une chacune creature de ce monde, de quelque estat qu’elle soit, que elle ne paie le tribut de la mort |3 a cause de l’obligacion en la quelle nostre pere Adam et Eve, nostre premiere mere, premiers parens, nous ont obligéz. |4 De cecy avons nous tesmoingnage en la saincte Escripture, disant : |5 Dies nostri sicut umbra pretereunt, |6 c’est a dire que « Noz jours passent ainsi comme umbre ».

|7 Pour ceste consideracion ay pensé en moy qu’il est expedient et necessaire a toute creature d’enquerir et savoir bien mourir pour son salut. |8 Mais, pour ce que toutes gens n’entendent pas le françois du latin, me suys entremis, pour l’amour de Dieu et l’edifficacion de mon prouchain, |9 muer et convertir de latin en françois ce petit livret nommé et appellé La doctrine de bien mourir, |10 car, selon le second commandement de Dieu, qui dit : |11Diliges proximum tuum sicut te ipsum, |12 c’est a dire « Tu aymeras ton prouchain comme toy mesmes », |13 que, se je sçay aucun bien, je lui doy eslargir et, se je desire estre saulvé, aussi pareillement doy je desirer mon prouchain estre saulvé.

|14 Mais, pour ce que j’ay devant dit que ce livre sera mué et translaté de latin en françois, |15 ne veulléz pas penser par malice que je veulle arrogaument et par vaine gloire entreprendre sur ce qui est contenu en la sentence et deduction d’icelluy livret ne aussi par folle hardiesse, |16 mais penséz ce estre fait par amour et charité. |17 Car je sçay bien que, a ce faire, mon entendement est moult petit |18 et seroit a moy chose moult difficile, qui suis povre et meschant, vouloir enseigner la chose en la quelle je n’ay pas esté instruit |19 et eslargir et donner ce de quoy il ne m’appartient rien |20 ou mettre hors viande la quelle je n’ay pas goustee.

|21 Toutesfois, cuidant que la supplication devote la quelle ma pensee a faicte a la faveur et intencion de mon prouchain, par la quelle je suis promeu a ce faire, ne me fust reputeee a pechié |22 se je l’eusse mise a non challoir et que je ne la metoie en mon entendement, |23 j’ay bien consideré ce qui est escript disant |24 que « Celluy qui autruy [a ii v] enseigne, il instruit et edifie soy mesmes ».

|25 Pour ceste cause, en la meilleure maniere que je pourray, je essairay escripre aucunes exhortacions, me confiant en Nostre Seigneur |26 que la force et la vertu, les quelles ignorance denye, charité, la quelle Dieu est, administrera et donnera faculté de parler, |27 ainsi qu’il promet, disant : |28 Aperi os tuum et ego adimplebo illud, |29 c’est a dire « Œuvre ta bouche et je l’ampliray ». |30 Mais je considere et sçay bien qu’il est impossible que je puisse faire chose la quelle luy soit agreable se ce n’est par sa grace.

|31 Et, pour ce, ay je consideré le dit du saint prophete David, disant a Dieu en ceste maniere : |32 Levavi oculos meos in montes unde veniet aucilium michi, |33 c’est a dire « J’ay levé mes yeulx a ses sainctes montaignes » |34 par les quelles j’entens les benoitz saintz et docteurs attendant et confiant d’avoir aide et moyen d’iceulx pour parfaire ce que je desire, |35 toutesfois principalement en ensuyvant ce que dit celuy mesmes prophete, |36 Auxilium meum a Domino qui fecit celum et terram, |37 c’est a dire que « Nostre principal aide le quel nous devons demander et requerir si est en Nostre Seigneur Jesucrist, Createur du ciel et de la terre ».

|38 Et, par ceste exhortacion, de toute mon affection et petite puissance luy fais priere et oraison |39 affin que, par leurs ditz et enseignemens et par leurs sentences, selon ce que mon entendement pourra declairer par le moyen de sa grace, vous qui vouléz estre instruictz et enseignéz en l’art et doctrine de bien mourir en puisséz obtenir aucun prouffit. |40 Sy prie maintenant, moy qui veul obtemperer a celle juste et devote admonicion ainsi qu’il est dit devant, que pour moy veulléz implorer la divine clemence |41 en telle maniere que des perilz de ceste vie presente puisses estre delivré |42 et, avecques les disciples de ceste instruction et doctrine, puisses parvenir a la vie eternelle.

|43 Mais, a telle fin que je puisses proceder par ordre et pour eviter a ce qui est dit |44 Ubi non est ordo, ibi est confusio, |45 c’est a dire que « La ou il n’y a point de ordre, il y a confusion », |46 et a celle fin de mieulx avoir a cause de mettre en memoire ce qui est a declairer, il est expedient aux estudians de ce livre garder en leur retentive et entendement le dit du glorieux docteur de l’Eglise monseigneur saint Augustin, |47 le [a iii r] quel dit en ceste maniere, en exhortant ceulx qui regardent et estudient les Escriptures, affin qu’ilz ne les mettent pas en oubli : |48 Quia, sicut thus non redolet nisi prius ponatur in igne, ita nulla sacre Scripture sapit sciencia nisi concta sit in corde, |49 c’est a dire que « la Saincte Escripture ressemble et est acomparagee a l’encens, le quel est reposant dedens la serre, qui ne sent aucune oudeur de bonté jusques a ce qu’il soit mis au feu et qu’il soit cuyt dedens le thuribule ». |50 Aussi, par semblable, la saveur odorante de la science de la Saincte Escripture ne sent ne sy ne peut donner saveur de son doulz odorement |51 s’elle n’est premierement mise au feu et cuyte dedens le thuribule de la conscience de l’ame devote.

|52 Sy prie affectueusement, affin que le labour de ceste œuvre ne soit pas vain ne plain de vacuosité, |53 que, se de tout on en peut avoir souvenance, au moins qu’on en retienne aucune petite partie, |54 la quelle puisse prouffiter non pas seulement a soy mesmes mais aussi a l’exortacion et admonicion de son prouchain.

|55 Et, pour commencement et entree de nostre estude, nous dirons en ceste maniere. |56 Combien qu’il soit ainsi que le trespas de ceste vie presente, par le moien de la mort, et la misere de ce present exil, |57 non pas seullement aux gens lays mais aussi aux personnes de religion et pareillement aux devotz, |58 l’ingnorance et l’incertaineté de mourir sont choses moult dangereuses et plaines de grant peril et mesmes sont moult terribles et choses plaines d’orribleté non enarrable, ainsi que chacun le peut veoir et considerer, |59 pour ceste cause, en ceste presente matiere, la quelle est de la Doctrine de bien mourir, aucun bref traictié ou briefve matiere de exhortacion envers les creatures les quelles sont en article de mort constituees, |60 le regard de la pensee est a estre noté et declairé par grande et subtille consideracion |61 pour ce que, en moult de manieres, generalement aux catholiques, savoir et enquerir art et doctrine de bien mourir peut moult proffiter.

|62 Et, pour acomplir ce qui est promis en ceste matiere, sont six parties constituees, |63 des quelles la premiere sera la louenge de la mort et science de bien mourir. |64 La seconde sera des temptacions des mourans. |65 La tierce sera [a iii v] des peticions et demandes qu’on leur peut et doit l’en faire. |66 La quarte, de quoy et comment on les doit instruire et enseigner, avec les deprecacions. |67 La quinte sera des exhortacions. |68 La sixiesme et derraine partie sera des oraisons devotes qui doivent estre dictes d’aucun des absistens sur les creatures estantes au travail, bataille et luyte de la mort, |69 avecques autres exhortacions et mesmes des articles de la foy. |70 Des quelles choses verrons nous de chacune en particulier.


[5] Note : Job, 8, 9 ;  Augustin, Speculum peccatoris, I, I
[11] Note : Marc, 12, 31
[24] Note : Paul, Première Épitre aux Corinthiens, 14, 4
[28] Note : Psaumes, 81, 11
[32] Note : Psaumes, 121, 1
[36] Note : Psaumes, 121, 2-3
[44] Note : Luca Pacioli, Summa de arithmetica, geometria, de proportioni et de proportionalita
[48] Note : Augustin, Speculum peccatoris, I, III