|642 La quinte partie est des exhortacions.

|643 Semblablement, maintenant, luy soit admonesté contre les autres temptacions aucunes exhortacions ensuyvantes, c’est qu’il soit fort en courage a resister vertueusement en l’encontre, |644 combien que le dyable ne le puisse en aucune chose contraindre.

|645 Aprés luy soit admonnesté qu’il se rende a Dieu comme vray et loyal chrestien. |646 Et, avec ce, est besoing de savoir s’il est point lyé et detenu au lyen de excomunicacion.

|647 En aprés luy soit exhorté que, en tant qu’il luy est possible, |648 de toutes ses forces se submette en l’ordonnance de nostre Mere [c iiii r] saincte Eglise affin qu’il soit absoulz. |649 Et, s’il est ainsi que celuy qui est a mourir congnoisse qu’il ait longue espasse de temps et qu’il ne soit point hasté de la mort, |650 les devocions, histores et legendes luy sont a estre leues devant luy d’aucun des presens, aux quelles il se delectoit et prenoit plaisir quant il estoit en santé.

|651 Et, pareillement, les commandemens de Dieu luy sont a estre mis en sa memoire |652 affin que plus parfondement il mette en eulx sa pensee et qu’il congnoisse s’il a point contre eulx negligamment ouvré.

|653 Et, se l’enferme a perdu l’usage de parler, touteffois luy soit exhorté qu’il ait sa pensee entierement entendante a celles interrogacions ou oraisons les quelles luy sont recitees |654 et qu’il en face quelque signe par dehors qui donne a congnoistre, par dedens le signe, du consentement de son cueur, |655 car ces choses sont moult certaines pour son salut.

|656 Touteffois, il est convenable qu’on ait ceur et soing que celles interrogacions soient faictes devant que les enfermes aient perdu l’usage de parler, pourtant qu’il se puisse faire. |657 Et, se on apperçoit que celles interrogacions ne soient suffisantes au malade et ses responses agreables aux interrogans et qu’on apparçoive qu’ilz ne luy valent rien pour nul remede de salut, |658 luy soit maintenant proposé et mis devant luy aucune chose en la melleure maniere qu’il pourra estre fait.

|659 Aprés donc, luy doit estre declairé et manifesté le peril de dampnacion le quel il encourt, non obstant qu’il en ait paour et grant terreur, |660 car c’est plus juste chose et mieulx vault qu’il soit point de terreur et de paour salutaire et qu’il soit sauvé que qu’il feust dampné par blandissemens de parolles et nuysible dissimulacion. |661 Et de cecy nous avons exemple en Ysaïe le prophete, le quel denonça a Ezechiel roy qui estoit malade jusques a la mort, salutairement luy admonnestant et donnant terreur et luy faisant paour en disant |662 qu’il mouroit, et touteffois il ne devoit pas mourir. |663 Car sachéz certainement que c’est une chose moult contraire a religion chrestienne et chose trop dyabolique que le peril de la mort et de l’ame soit muchié a home chrestien qui est a mourir affin qu’il ne soit troublé de paour humaine.

|664 Item soit presenté au malade l’ymage du Crucifix, le quel doit tousjours estre envers les malades, ou celuy de la Vierge [c iiii v] |665 ou d’aucun autre saint que il honnoroit quant il estoit en santé. |666 Et, avecques ce, soit l’eaue benoiste la, de la quelle le malade soit aspergé souvent et mesmement les autres avec luy |667 affin que, pour la reverence et vertu et dignité d’icelle, les dyables ne puissent au malade faire aucune violence.

|668 Et, s’il est ainsi que la briefveté du temps ne puisse souffrir que les choses devant dictes puissent estre declarees, adonc l’en doit proposer les oraisons qui s’adrecent a Nostre Sauveur Jesucrist. |669 Et n’appartient point que les amys charnelz, comme sa femme, ses enfans, ses richesses et autres choses temporelles soient ramenéz en memoire au mourant |670 sy non en tant que la santé espirituelle du malade le demande et requiert.

|671 Mais sache chacune creature que, en ceste matiere de extreme necessité et derraineté, |672 qu’il est requis |673 que les singuliers pointz et sentences soient subtillement pensees et sagement considerees selon ce qu’il est contenu au Livre de la theologienne verité.

|674 Aprés que ces choses devant dictes ont esté suffisamment declairees, maintenant il est a dire que, s’il plaist a aucun bien et sceurement, voulentiers et sans peril, mourir, |675 il doit avoir tres grant soing et tres grande curiosité, tant comme il est en santé, d’apprendre et d’estudier la science de bien mourir selon ce qu’il est determiné devant, |676 affin qu’il n’ait point cause d’avoir paour ne crainte a l’entree de la mort.

|677 Car je te dy certainement, tres chier frere, que, se de la mort ou d’aucune griefve maladie tu es en voulenté et que tu soies bien disposé de mourir, |678 que, de tant plus que tu la desireras et te vouldras tenir pres d’elle, de tant plus s’eslongnera de toy. |679 Se donc tu ne veulx point estre deceu ne errer et tu veulx estre sceurement, |680 fay sans cesser la chose la quelle tu peux faire tant comme tu es sain et que tu as usage de raison bien disposee, affin que tu puisses estre en temps seigneur de tes choses, c’est a dire de tes sens.

|681 O que plusieurs et infini nombre se sont deceus pour ce qu’ilz ont esté negligés de eulx preparer pour entendre a leur derraine necessité !

|682 Pour ceste cause donc, frere, eschive, s’il te plaist, qu’il ne te adviengne en ceste maniere, |683 car a nul ne doit sembler ou estre veu chose incongrue et esmerveillable, de si grande et soubtille cure et songneuse disposicion et exhortacion [c v r] ou plaine de sy grant estude que on ne doie aux mourans declarer les choses devant dictes.

|684 Car sachéz de certain que telle force et telle necessité est baillee a iceulx, avec l’angoisse de la mort dont ilz sont succumbéz, |685 que, s’il estoit possible, toute la cité devroit joyeusement convenir et se assembler au mourant affin que, par eulx, il peust prendre aucune petite, joyeuse et salutaire exhortacion |686 et comme, en d’aucunes religions, la coustume est que, quant le malade approche de sa mort, incontinent qu’ilz sonnent une cloche, en quelque heure que ce soit, |687 tous les freres laissent toutes choses et y accourent et en sont fort songneux pour aider et secourir au malade qui veult mourir.

|688 Et, pour ce, est il communement dit que religieux et femmes ne doivent point courir sy non pour deux choses, a cause de l’onnesteté de leur estat, c’est assavoir au feu et au mourant.


673 Note : Hugo de Argentina, dictus Ripelin, Compendium theologicae veritatis, faussement attribué à Albert le Grand.