[c i v]
|520 La quarte partie est de quoy et comment on doit le malade enseigner, avec les deprecacions que on lui doit faire.
|521 Combien qu’il soit de certain que les interrogacions devant dictes soient veues estre suffisantes, competentes et convenables seulement aux personnes religieuses et devotes, |522 toutesfois, selon aucun venerable docteur Chancelier de Paris, |523 tous crestiens, tant seculiers que reguliers, doivent estre informéz et enquis plus certainement et plus clerement de leur estat et salut, en la bataille et luyte de la mort, |524 en la maniere des choses ensuyvantes.
|525 Et, premierement, telle demande doit estre faicte a la creature : |526 « Croy tu tous les principaulx articles de la foy avec l’exposicion de la saincte Escripture |527 selon l’opinion des sainctz docteurs catholiques de saincte Eglise et renonches a toutes heresies et foles erreurs reprouvees de l’Eglise ? |528 Et, avec ce, tu t’esjouys que tu meures en la foy Jesucrits et de nostre Mere saincte Eglise et en l’obedience et unité d’icelle ? »
|529 Secondement luy soit ainsi demandé : |530 « Recongnois tu avoir offensé griefvement et en moult de manieres et souvent ton benoist Createur, |531 car, comme dit monseigneur saint Bernard, en ses Meditacions : |532 Scio neminem absque sui ipsius cognicione salvari, de qua nimirum mater salutis humilitas oritur et timor Dei, qui et ipse sicut inicium est sapiencie ita et salutis, |533 c’est a dire « Je ne sçay, dit monseigneur saint Bernard, aucun estre sauvé sans la congnoissance de luy mesmes, de la quelle certainement humilité, mere de salut, est engendree et crainte de Dieu, |534 la quelle crainte, ainsy comme elle est commencement de sapience, ainsy est elle commencement de salut ».
|535 Tiercement, |536 il doit demander pardon de tous ses pechiéz commis contre la majesté de Dieu, contre son amour, contre sa benignité, contre sa bonté, |537 et des biens qu’il a peu faire qu’il n’a point faitz, et des biens qu’il a receus, des quelz il a esté ingrat, |538 non pas seullement pour la crainte de la mort ou de quelque paine mais pour l’amour de Dieu et de sa justice et pour la charité de la quelle nous sommes tenus iceluy aymer sur toutes choses, |539 et encore plus desirer qu’il veulle enluminer son cuer affin qu’il puisse avoir congnoissance des maulx qu’il a [c ii r] oubliéz, affin qu’il en puisse avoir contricion et desplaisance.
|540 Quartement, on lui doit dire : |541 « Tu proposes vraiement te amender se tu avoies encore espasse de vivre et toy garder de plus pecher mortellement de propos deliberé, |542 selon ton pouoir, pour quelque chose, tant te soit chiere, et jusques a la perte de la vie corporelle, devant que tu voulsisses plus offenser Dieu ? |543 Et, au sourplus, tu le pries qu’il te donne grace de continuer en ce bon propos. »
|544 Quintement : |545 « Tu pardonnes de bon cueur pour l’onneur et la reverence de Nostre Sauveur Jesucrist |546 a tous ceulx que tu as offensé de parolle ou de fait ou d’aucune chose nuysible ? |547 Et, semblablement, tu demandes et requiers pardon a tous ceulx que tu as offenséz en quelque maniere que ce soit ? »
|548 Sixtement : |549 « Veulx tu les choses qui point ne t’appartiennent estre entierement restituees, ainsi que tu es tenu, selon la valeur de tes facultéz |550 et habandonner tous tes biens jusques a suffisante et vaillable remuneracion. »
|551 Septiemement : |552 « Croy tu pas que Jesucrist est mort pour toy |553 et que autrement tu ne peux estre sauvé sy non par le merite de sa passion ? |554 Et, de cecy, tu en rens graces a Dieu tant come tu peux ? »
|555 Quiconques donc pourra respondre par affirmacion, de bonne conscience et de foy non fainte a celles interrogacions, |556 tu auras evidente et claire congnoissance que, se la creature s’en va, que elle est du nombre des sauvéz.
|557 Et, se ainsi advient qu’on ne soit interrogué d’aucune des choses dessus dictes, comme il soit ainsi qu’il est pou de gens qui aient l’art ne l’instruction de ceste doctrine, |558 il doit retourner en luy mesmes en soy interrogant soubtillement et en considerant s’il est bien disposé aux choses permises, |559 car, certainement, sans celle disposicion, nul ne peut estre sauvé.
|560 Et, s’aucun est disposé ainsi qu’il est dit, se recommande du tout et commette en la passion de Jesucrist en tant comme il peut et que sa maladie souffrira, et qu’il en ait continuelle memoire, |561 car, par icelle, toutes les tres grandes temptacions du dyable sont convaincues et sourmontees.
|562 Aprés, selon le dit de saint Gregoire : |563 Omnis Christi actio nostra dicitur instructio, |564 c’est a dire que « Toute l’operacion de Jesucrist est dicte nostre instruction ».
|565 Pour icelle cause, les choses que Nostre Seigneur Jesucrist a faictes, [c ii v] mourant en la croix, le malade estant en la luyte de la mort doit par exemple ensuyr en tant comme il luy est possible.
|566 Et dois savoir que Nostre Seigneur Jesucrist a fait en la croix cinq choses.
|567 Car, tout premierement, il pria, car il profera ces pseaulmes : |568 Deus, Deus meus, respice in me, |569 et les autres huyt jusques a ce vers : |570 In manus tuas, et cetera. |571 Secondement, il cria. |572 Tiercement, il commanda son ame a son Pere. |573 Quartement, il ploura en la croix, ainsi que tesmoigne l’Apostre. |574 Quintement, il bailla son esperit, ainsi que tesmoignent les Evangelistes. |575 Vecy les choses les quelles le malade constitué en l’article de la mort doit faire, a l’exemple de Jesuscrist, |576 c’est assavoir prier |577 et, s’il ne le peut faire de voix, au moins le doit il faire de cueur.
|578 Et, pour ce, dit Ysidore : |579 Melius est cum silencio orare cordis, sine sono vocis, quam solum verbum exprimere sine intuitu mentis, |580 c’est a dire que « C’est meilleure chose prier Dieu avec silence de cueur, sans son de voix, que seulement mettre et exprimer la parolle par dehors sans le regard de la pensee ».
|581 Secondement, il doit crier fort de cueur et non pas de voix, |582 car crier de cueur n’est autre chose que la remission des pechiéz et fort desirer la vie eternelle.
|583 Tiercement, il doit plourer, non pas des yeulx charnelz mais par larmes de cueur, c’est assavoir en aiant vraie repentance.
|584 Quartement, il doit recommander son ame a Dieu, disant : |585 In manus tuas, et cetera.
|586 Quintement, il doit bailler son ame et voluntairement mourir en conformant sa voulenté a la voulenté divine, comme il appartient.
|587 Aprés, tant comme la créature estante au mourir aura usage de raison et que elle pourra parler, |588 die ces oraisons ensuyvantes : |589 O summa Dei immensa bonitas, clementissima et gloriosissima Trinitas, summa dilectio, amor et caritas, miserere michi, miserrimo peccatori. |590 Tibi enim commendo spiritum meum. |591 En ceste oraison, tu dis a Dieu en ceste maniere : |592 « O haultesse souveraine et bonté de Dieu, tres glorieuse et clemente Trinité, aies mercy de moy, povre pecheur, |593 car certainement je te commande mon esperit ».
|594 Aprés die ceste oraison ensuyvante : |595 Deus, Deus meus, piissime Pater misericordiarum, fac huic paupercule creature tue misericordiam, adjuva eam nunc et in utltima necessitate, |596 succurre, Domine, jam [c iii r] egenti anime et desolate ut non a canibus infernalibus devoretur. |597 En ceste oraison, tu requiers : |598 « O mon Dieu, tres debonnaire Pere de misericorde, fay a ta povre creature misericorde |599 et luy aide maintenant au derrain de sa necessité. |600 O Seigneur, donne secours a l’ame desolee et souffreteuse affin qu’elle ne soit des chiens infernaulx devoree. »
|601 Item die ceste oraison qui ensuyt : |602 Dulcissime et amantissime Domine Jesucriste, fili Dei vivi, ob honorem et virtutem tue beatissime passionis, jube me, famulum ttum, recipi inter numerum electorum tuorum. |603 En ceste oraison, tu pries et ditz : |604 « O tres aymé et doulx Seigneur Jesucrist, filz de Dieu, pour le vertu et honneur de ta tres benoiste passion, commande |605 que ton serviteur soit receu entre le nombre de tes benoistz esleus. |606 O Sauveur et Redempteur Jesus, je me rens a toy, |607 ne me veulles pas refuser, je viens a toy, |608 ne me veulles pas debouter. »
|609 Item die : |610 « O Sire Jesus, je requier ton paradis non pas pour la valeur de mes merites, car je suis cendre et pouldre et tres miserable pecheur, |611 mais en la vertu et efficace de ta tres saincte passion, par la quelle moy meschant as voulu racheter et, par l’effusion de ton sang, as voulu que j’aye paradis. »
|612 Item die plusieurs fois ce verset : |613 Dirupisti vincula mea, Domine, |614 tibi sacrificabo hstiam laudis et nom Domini invocabo, |615 c’est a dire : |616 « O Sire, tu es celuy qui a rompu tous mes lyens, c’est assavoir tous mes pechéz, |617 et, pour ceste cause, je veul a toy sacrifier sacrifice de louenge et invoqueray le nom de Nostre Seigneur. » |618 Ce vers, selon le dit de Cassiodore, est de sy grant vertu que tous les pechiéz de l’omme sont pardonnéz s’il le dit trois fois avec confession et recongnoissance de ses deffaultes.
|619 En aprés die : |620 « O Sire Jesus, pour la tres grande amertume et angoisseuse passion que tu as soustenue pour moy en la croix a celle heure que ta tres beneuree ame yssit de ton corps, ayes pitié de mon ame a son yssue. »
|621 En aprés aussi, invoque et appelle instamment de cueur et de bouche, en tant qu’il t’est possible, la glorieuse Vierge Marie, |622 prompte moyenne et ayderesse de tous pecheurs, en disant : |623 « O Royne des cieulx, Mere de misericorde, Refuge des pecheurs, reconsilie moy a ton seul filz, |624 demande pour moy, indigne pecheur, la cle[c iii v]mence et bonté d’iceluy et que, pour l’amour de toy, il me pardonne mes pechiéz. »
|625 Mais, pour ce que plusieurs sont qui nullement ne veulent rien ouÿr de la mort aucune fois, |626 selon le dit d’aucun docteur Chancelier de Paris, |627 souvent advient que, par une telle vaine et faulse consolacion et fainte santé et confidence de corps, la creature encourt moult souvent en perpetuelle dampnacion.
|628 Affin qu’il ne adviengne en ceste maniere, le malade ou enferme doit procurer la santé de son ame par vraie contricion et pure confession. |629 La quelle chose pourra moult valoir a son salut, car, par telz choses, il en sera plus paissible et plus sceur.
|630 Combien qu’il soit ainsi, selon le dit saint Gregoire, |631 que vraie contricion ne convient sy non a pou de gens, |632 touteffois, selon saint Augustin, au quart des Sentences, et les autres docteurs, |633 penitance suffisante de salut est en ceste maniere, |634 principalement a ceulx les quelz en tout leur temps ne garderent onques les commandemens de Dieu et de l’Eglise |635 ne leurs veux voluntaires raisonnablement ne veritablement, mais seullement par maniere fainte les ont gardéz.
|636 Pour celle cause, a ung chacun en l’article de la mort est a estre dit que, selon la possibilité, par raison des merites, labours a vraie et ordonnee penitance. |637 C’est assavoir que, non obstant la douleur et la crainte en luy estante, qu’il use de raison en tant comme il peut |638 et aussi s’efforce avoir desplaisance voluntaire pour la fin la quelle est deue, c’est dire pour l’amour de Dieu, |639 et delaisse, pour l’amour de luy, l’effect a sa propre inclinacion et delectacion des choses precedentes |640 et laboure a discipline en tant qu’il pourra, combien qu’elle soit briefve. |641 Et, affin qu’il n’entre en desesperacion, luy soient proposees les choses qui sont dictes en la seconde partie.
532 Note : Bernard de Clairvaux, Sermones in Cantica Canticorum, XXXVII, 1
563 Note : Le passage cité renvoie en réalité à Thomas d’Aquin, Lectura in Iohannis evangelium, XI, 6.
568 Note : Psaumes, 21, 2
570 Note : Psaumes, 30, 6
579 Note : Isidore de Séville, Opera omnia, De oratione, VII, 4.
585 Note : Psaumes, 30, 6
602 Note : Jean Gerson, Guide brefve et facille des Curéz, p. 223.
613 Note : Psaumes, 115, 16-17
614 Note : Psaumes, 115, 8
616 Note : Psaumes, 115, 16-17
617 Note : Psaumes, 115, 8
632 Note : Il s’agit ici vraisemblablement d’un renvoi au quatrième Liber sententiarum de Pierre Lombard, dont la pensée s’inscrit dans le prolongement de celle d’Augustin.