Si l’on tient compte de ses traductions, l’Ars bene moriendi a été une des œuvres les plus répandues parmi toutes celles qui ont été publiées jusqu’à la fin du XVe siècle. R. Chartier[1], se fondant sur les dépouillements de Sœur M. C. O’Connor[2], a dénombré 234 manuscrits qui nous l’on transmise : 126 en latin, 75 en allemand, 11 en anglais, 10 en français, 9 en italien, 1 en provençal et 1 en une langue non précisée. Puisant à la même source et tenant compte du fait qu’un même manuscrit contient parfois plusieurs copies de versions différentes, nous avons relevé le nombre de copies et nous sommes arrivé aux résultats suivants : 228 copies en latin, 72 en allemand, 10 en français, 9 en italien, 1 en provençal, 11 en anglais [et] 1 en catalan. Soit au total 332 copies[3]. On notera, pour comparaison, que seule l’Imitation Christi est représentée par un nombre de copies plus élevé, environ 600 manuscrits latins[4], tandis que le Roman de la Rose, l’œuvre en langue vulgaire qui connut la plus longue faveur au moyen âge, est connue par 331 manuscrits[5]. Aux 332 copies manuscrites de l’Ars bene moriendi, il faut ajouter 21 éditions considérées comme « xylographiques », en se rappelant toutefois que, si 16 d’entre elles ont bien un texte xylographique, 3, bien qu’ayant les mêmes gravures que l’original, ont un texte manuscrit et 2 ont un texte typographique[6]. M. C. O’Connor[7], à la suite de W. Schreiber, considère que les 21 éditions xylographiques se répartissent en 13 groupes : I-IX et XIII, qui offrent la version QS, X-XII, qui offrent la version CP[8]. Dans chaque groupe, la parenté est assurée par la ressemblance du texte et des gravures. Le xylographe IB, que nous publions, offre les gravures de l’édition princeps avec un texte en français. Le xylographe IC a les mêmes gravures avec un texte en néerlandais. Les xylographes IIC , VIIA et X-XII ont un texte en allemand. Le[s] 14 autres éditions xylographiques ont un texte en latin.

Le Gesammtkatalog der Wiegendrücke (G<K>W), I, col. 707-738, mentionne 65 éditions incunables.

On notera que les manuscrits et les xylographes présentent deux versions différentes et que les incunables en présentent trois. Il est nécessaire de les identifier d’abord.

La première, la version longue, est la version CP, ainsi nommé parce qu’elle commence, en principe, dans le texte latin, par Cum de presentis exilii miseria mortis transitus.

La seconde, la version courte, est la version QS. Dans les premières copies latines, reproduites ou traduites, parfois très librement, par la suite, elle commence par Quamvis secundum Philosophum, tercio Ethicorum.

La troisième est représentée par deux éditions incunables en anglais traduisant, selon GW, un original latin inconnu.

La version CP est représentée par 18 éditions en latin, 2 éditions en anglais, une en français, 13 en italien, 2 en néerlandais et une en espagnol. La version QS est représentée par 9 éditions en latin, 4 en allemand, 7 en français, 2 en catalan, une en espagnol et 3 en néerlandais.

Le GW, col. 708, note que les éditions latines de la version CP imprimées en France se subdivisent en trois groupes : a) Texte sans addition, b) Texte avec plusieurs additions, c) Texte comme dans b augmenté du Speculum peccatoris.

Signalons que cinq des mss. dont nous publions le texte (CM) ou les variantes (BDE) ne figurent pas dans les listes pourtant si abondantes de Sister O’Connor. Il n’est pas douteux que d’autres trouvailles viennent encore les enrichir. Rappelons aussi que l’unique exemplaire (incomplet de 7 pages) de l’édition attribuée à Piette Boutellier (Lyon, ± 1488, G<K>W 2585) a disparu. Il appartenait à M. L. Rosenthal, de Munich.

Les manuscrits, xylographes et incunables sur lesquels est fondée la présente édition sont au nombre de vingt-cinq. Nous les avons classés de la manière suivante : I. Version CP. A) Mss. lat. (ABCDEF), b) Inc. lat. (GH), c) Mss. franç. (IJK), d) Inc. franc. (L) ; II. Version QS. e) Ms. lat. (M), xyl. lat. (NO), inc. lat. (P), f) Mss. franç. (QR), g) Xyl. franç. (S), h) Inc. franç. (TUVWXYZ), i) Mss. franç. du XVIe s. (AA1, AA2).

À l’intérieur de chaque série, nous avons, comme on le voit, classé les mss. lat avant les mss. franç., les mss. avant les xyl. et ceux-ci avant les inc. Pour chaque groupe, nous avons, comme on le verra, classé les textes datés avant les autres.

On voudra bien se rappeler que, mis à part les textes conservés à Bruxelles et à Paris, nous avons toujours travaillé sur des photographies.

Nous nous proposons de publier : 1) un représentant latin (ms. C) de la version CP avec toutes les variantes du ms. B et quelques spécimens des variantes de six autres représentants latins de cette version (mss. A. et D-H), 2) les trois traductions françaises connues de nous (mss. IJK) de la version CP, 3) la traduction française amplifiée (incunable L) de la version CP, 4) deux des quatre représentants latins connus (le ms. M et le xylographe N) de la version QS ainsi que les variantes du xylographe O et de l’incunable P par rapport au xylographe N, 5) cinq des neuf représentants français connus de la version QS (ms. R, xyl. S, inc. TVX) avec les variantes du ms. Q par rapport à l’incunable T et celles des incunables UWYZ par rapport à l’incunable V, 6) deux représentants français du XVIe s. (AA1 et AA2) de la version QS conservés dans un même ms.

Pour d’évidentes raisons, il ne nous était pas possible de courir l’aventure d’une édition tenant compte de tous les manuscrits latins connus. Du moins pensons-nous pouvoir offrir une vue d’ensemble satisfaisante de la tradition française et de ses sources. On comprendra aussi que nous ne nous soyons pas occupé des manuscrits et des éditions typographiques postérieurs à 1500. Ces témoignages tardifs ne sont pas dépourvus d’intérêt, mais, encore une fois, il aurait fallu donner à cet ouvrage des proportions démesurées et le bénéfice eût été, somme toute, minime. À cette règle, nous n’avons fait qu’une exception, double il est vrai. Le ms. 2117 de l’Arsenal, du XVIe s., présente deux textes. Le premier, écrit partie en français, partie en latin, présente de ce fait un caractère si particulier que nous avons cru souhaitable de le publier. Le second, qui, comme le premier, se veut une explication des gravures, a de remarquables qualités de langue et de style qui nous auraient fait regretter de ne pas lui accorder la même faveur qu’au premier.

On a vu le nombre extraordinairement élevé des manuscrits et des éditions qui témoignent de l’importance de l’Ars moriendi au XVe siècle. Dès la fin du siècle cependant, l’intérêt pour ce texte diminue sensiblement. A. Tenenti[9] et surtout R. Chartier[10] ont retracé l’histoire de ce déclin. Alors que, sur environ 400 exemplaires conservés des livres xylographiques, on en compte 61 qui reproduisent l’Ars bene moriendi, soit environ 15 %[11], l’Ars ne représente plus, pour Paris, que 1,5 ou 1,6 % des éditions religieuses entre 1450 et 1500[12], soit 0,75 % du total des éditions. À Leipzig, à la même époque, l’Ars moriendi compte encore pour 3,6 ou 4,6 % des éditions religieuses[13], soit 0,9 ou 1,2 % du total des éditions. Entre 1500 et 1510, à Paris encore, si le livre religieux constitue environ 45 % des éditions, l’Ars ne compte plus que pour environ 1 %[14]. Le relai de l’Ars est pris, entre 1534 et 1563, par le De Praeparatione ad mortem d’Erasme, avec 36 éditions en latin, suivies de traductions en flamand, en français, en allemand, en espagnol, en anglais[15]. Mais ce regain de succès de l’art de mourir est momentané. La seconde moitié du XVIe siècle, avec la Renaissance et la Réforme, se préoccupe plus du dogme que de la préparation à la mort. Comme l’a bien montré R. Chartier[16], ce souci ne reprendra toute son importance, notamment grâce aux Jésuites, qu’au XVIIe siècle pour atteindre son maximum vers 1700.


[1] R.C., Les Arts de mourir, 1450-1600, dans Annales, Économies, Sociétés, Civilisations, 31e année, n° 1, 1976, p. 53. (Chartier)

[2] Sister M. C. O’Connor, The Art of Dying Well, Columbia University Press, New York, 1942. (O’Connor)

[3] Le ms. « sans indication de langue » signalé par M. Chartier, p. 53, est sans doute celui du chapitre des Bénédictins de Krems, en Autriche (O’Connor, p. 70. Renseignements pris, il est en latin et appartient à la version CP.

[4] Chartier, p. 53.

[5] E. Langlois, Le Roman de la Rose, t. I, Paris, Didot, 1914, p. 49.

[6] O’Connor, p. 125.

[7] Ibid.

[8] Voir ci-dessous, p. xxx.

[9] Alberto Tenenti, Il senso della morte et l’amore della vit anel Rinascimento, Torino, Einaudi, 1989, pp. 62-89.

[10] Op. cit., pp. 51-75.

[11] Ibid., p. 53.

[12] Ibid., p. 61.

[13] Ibid., p. 61.

[14] Ibid., p. 63.

[15] Ibid., p. 56.

[16] Op. cit., p. 63.