[aii r°] |[1] Le prologue de ce present livre.

|[2] Considerant que, en ceste vie presente, n’est donnee aucune permanence ou aucune stabilité qu’il ne faille que une chacune creature de ce monde, de quelque estat qu’elle soit, que elle ne paie le tribut de la mort |[3] a cause de l’obligacion en laquelle nostre pere Adame et Eve, nostre premiere mere, premiers parens, nous ont obligéz. |[4] De cecy avons nous tesmoingnage en la saincte Escripture, disant : Dies nostri sicut umbra pretereunt, c’est a dire que « Noz jours passent ainsi comme umbre ». |[5] Pour ceste consideracion ay pensé en moy qu’il est expedient et necessaire a toute creature d’enquerir et savoir bien mourir pour son salut. |[6] Mais, pour ce que toutes gens n’entendent pas le frannçois du latin, me suys entremis, pour l’amour de Dieu et l’edifficacion de mon prouchain, |[7] muer et convertir de latin en françois ce petit livret nommé et appellé La doctrine de bien mourir, |[8] car, selon le second commandement de Dieu, qui dit : Diliges proximum tuum sicut te ipsum, c’est a dire « Tu aymeras ton prouchain comme toy mesmes », |[9] que, se je sçay aucun bien, je lui doy eslargir et, se je desire estre saulvé, aussi pareillement doy je desirer mon prouchain estre saulvé. |[10] Mais, pour ce que j’ay devant dit que ce livre sera mué et translaté de latin en françois, |[11] ne veullez pas penser par malice que je veulle arrogaument et par vaine gloire entreprendre sur ce qui est contenu en la sentence et deduction d’icelluy livret ne aussi par folle hardiesse, mais pensez ce estre fait par amour et charité. |[12] Car je sçay bien que, a ce faire, mon entendement est moult petit et seroit a moy chose moult difficile, qui suis povre et meschant, vouler enseigner la chose en laquelle je n’ay pas esté instruit |[13] et eslargir et donner ce de quoy il ne m’appartient rien ou mettre hors viande laquelle je n’ay pas goustee. |[14] Toutesfois, cuidant que la supplicatio devote laquelle ma pensee a faicte a la faveur et intencion de mon prouchain, par laquelle je suis promeu a ce faire, ne me fust reputeee a pechié |[15] se je l’eusse mise a non challoir et que je ne la metoie en mon entendement, |[16] j’ay bien consideré ce qui est escript disant que « Celluy qui autruy [v°] enseigne, il instruit et edifie soy mesmes ». |[17] Pour ceste cause, en la meilleure maniere que je pourray, je essairay escripre aucunes exhortacions, me confiant en Nostre Seigneur |[18] que la force et la vertu, lesquelles ignorance denye, charité, laquelle Dieu est, administrera et donnera faculté de parler, |[19] ainsi qu’il promet, disant : Aperi os tuum et ego adimplebo illud, c’est a dire « Œuvre ta bouche et je l’ampliray ». |[20] Mais je considere e sçay bien qu’il est impossible que je puisse faire chose laquelle luy soit agreable se ce n’est par sa grace. |[21] Et, pour ce, ay je consideré le dit du saint prophete Devid, disant a Dieu en ceste maniere : Levavi oculos meos in montes unde veniet aucilium michi, |[22] c’est a dire « J’ay levé mes yeulx a ses sainctes montaignes par lesquelles j’entens les benoitz saintz et docteurs attendant et confiant d’avoir aide et moyen d’iceulx pour parfaire ce que je desireé, |[23] toutesfois principalement en ensuyvant ce que dit celuy mesmes prophete, Auxilium meum a Domino qui fecit celum et terram, |[24] c’est a dire que « Nostre principal aide lequel nous devons demander et requerir si est en Nostre Seigneur Jesucrist, Createur du ciel et de la terre. » |[25] Et, par ceste exhortacion, de toute mon affection et petite puissance luy fais priere et oraison |[26] affin que, par leurs ditz et enseignemens et par leurs sentences, selon ce que mon entendement pourra declairer par le moyen de sa grace, |[27] vous qui voulez estre instruictz et enseignéz en l’art et doctrine de bien mourir en puisséz obtenir aucun prouffit. |[28] Syp rie maintenant, moy qui veul obtemperer a celle juste et devote admonicion ainsi qu’il est dit devant, que pour moy veullez implorer la divine clemence |[29] en telle maniere que des perilz de ceste vie presente puisses estre delivré |[30] et, avecques les disciples de ceste instruction et doctrine, puisses parvenir a la vie eternelle. |[31] Mais, a telle fin que je puisses proceder par ordre et pour eviter a ce qui est dit |[32] Ubi non est ordo, ibi est confusio, c’est a dire que éLa ou il n’y a point de ordre, il y a confusion », |[33] et a celle fin de mieulx avoir acause de mettre en memoire ce qui est a declairer, il est expedient aux estudians de ce livre garder en leur retentive et entendement le dit du glorieux docteur de l’Eglise monseigneur saint Augustin, |[34] le [a iii r°] quel dit en ceste maniere, en exhortant ceulx qui regardent et estudient les Escriptures, affin qu’ilz ne les mettent pas en oubli : |[35] Quia, sicut thus non redolet nisi prius ponatur in igne, ita nulla sacre Scripture sapit sciencia nisi concta sit in corde, |[36] c’est a dire que la saincte escripture ressemble et est acomparagee a l’encens, lequel est reposant dedens la serre, qui ne sent aucune oudeur de bonté jusques a ce qu’il soit mis eu feu et qu’il soit cuyt dedens le thuribule. |[37] Aussi, par semblable, la saveur odorante de la science de la saincte Escripture ne sent ne sy ne peut donner saveur de son doulz odorement |[38] s’elle n’est premierement mise au feu et cuyte dedens le thurbule de la conscience de l’ame devote. |[39] Sy prie affectueusement, affin que le labour de ceste œuvre ne soit pas vain ne plain de vacuosité, |[40] que, se de tout on en peut avoir souvenance, au moins qu’on en retienne aucune petite partie, |[41] laquelle puisse prouffiter non pas seulement a soy mesmres mais aussi a l’exortacion et admonicion de son prouchain. |[42] Et, pour commencement et entree de nostre estude, nous dirons en ceste maniere. |[43] Combien qu’il soit ainsi que le trespas de ceste vie presente, par le moien de la mort, et la misere de ce prensent exil, |[44] non pas seullement aux gens lays mais aussi aux personnes de religion et apreillement aux devotz, |[45] l’ingnorance et l’incertaineté de mourir sont choses moult dangereuses et plaines de grant peril |[46] et mesmes sont moult terribles et choses plaines d’orribleté non enarrable, ainsi que chacun le peut veoir et considerer, |[47] pour ceste cause, en ceste presente matire, laquelle est de la doctrine de bien mourir, aucun bref traictié ou briefve matiere de exhortacion envers les creatures lesquelles sont en article de mort constituees, |[48] le regard de la pensee est a estre noté et declairé par grande et subtille consideracion |[49] pour ce que, en moult de manieres, generalement aux catholiques, savoir et enquerir art et doctrine de bien mourir peut moult proffiter. |[50] Et, pour acomplir ce qui est promis en ceste matiere, sont six marties constituees, |[51] desquelels la premiere sera la louenge de la mort et science de bien mourir. |[52] La seconde sera des temptacions des mourans. |[53] La tierce sera [v°] des peticions et demandes qu’on leur peut et doit l’en faire. |[54] La quarte, de quoy et comment on les doit instruire et enseigner, avec les deprecacions. |[55] La quinte sera des exhortacions. |[56] La sixiesme et derraine partie sera des oraisons devotes qui doivent estre dictes d’acun des absistens sur les creatures estantes au travail, bataille et luyte de la mort, |[57] avecques autres exhortacions et mesmes des articles de la foy. |[58] Desquelles choses verrons nous de chacune en particulier.

|[59] Ensuit la premiere partie de ce livre, c’est assavoir de la louenge de la mort.

|[60] En ceste premiere partie de la louenge de la mort, j’ay consideré que, de toutes les choses terribles de ceste vie, la mort corporelle est la tres terrible. |[61] Et de ce nous parle le Philozophe au quart livre d’Ethiques, disant en ceste maniere |[62] que « De tant que l’ame est plus noble et plus precieuse que le corps, |[63] de tant la mort espirituelle de l’ame est plus terrible et plus detestable et plus horrible sans compareson que n’est celle du corps. » |[64] Et, a ce propos, le saint prophete David nous dit en son psaultier en ceste maniere : Mors peccatorum pessima, c’est a dire que « La mort des pecheurs est tres mauvaise ». |[65] Et pour ce pouvons nous considerer le dit d’un versificateur ainsi disant : Fine malo claudi, mala denique vita meretur, |[66] c’est a dire que « De telle vie comme l’en a usé communement on meurt », se ce n’est par la Providence de la bonté divine. |[67] Mais, non pourtant, icelluy mesmes prophete si dit en ceste maniere : Preciosa est in conspectu Domini mors sanctorum ejus, |[68] c’est a dire que « La mort des sainctz bons et justes est tousjours precieuse devant le regard de Nostre Seigneur », en quelque lieu ou de quelque mort qu’ilz meurent. |[69] O ame devote, arreste toy cy ung petit, qui es rachetee du sang de ton doulx Createur, |[70] qui t’a faicte a son ymage et semblance, qui t’a faicte compaigne aux anges et capable de beatitude eternelle. |[71] Entent et retien la doulceur d’icelluy du quel il est dit que c’est sa propre nature que d’estre piteux. |[72] Croy certainement que la mort des martirs et aussi des autres justes [a iiii r°] et benoitz crestiens n’est pas seulement precieuse devant le regard de Dieu |[73] mais aussi, avecques ce, la mort des povres pecheurs, vrais contritz et repentans de leurs defaultes, demandans a Dieu misericorde, lesquelz sont mortz en vraie foy et unité de saincte Eglise. |[74] Et de ceci parle clerement le glorieux evangeliste monseigneur saint Jehan en son Apocalipse, disant : Beati mortui qui in Domino moriuntur, c’est a dire « Benoitz sont ceulx qui peurent estans en la grace de Nostre Seigneur Jesucrist ». |[75] Mais, pourtan, il ne nous suffit pas se nous n’avons autre tesmoignage de la Sapience divine, qui dit ainsi : Justus, si morte preoccupatus fuerit, in refrigerio erit, |[76] c’est a dire que « Se l’omme juste a esté occupé de la mort, il sera mis en lieu de repos et aura refrigerement » |[77] s’il est ainsi que luy, qui est a mourir, resiste prudentement et constamment aux temptacions et autres maulx lesquelz il peut souffrir et endurer, |[78] luy estant en la bataille de la mort, en la maniere qu’il sera manifeste es choses ensuyvantes. |[79] Et, pour ceste cause et consideracion, aucun sage, parlant de la louenge de la mort des bons en tant comme il luy est possible, nous dit en ceste maniere : |[80] Mors nichil aliud est quod exitus de carcere, finis exilii, deposicio oneris gravissimi. |[81] Id est corporis omnium agritudinum terminacio, omnium periculorum evasio, omnium malorum consummacio, omnium vinculorum disrupcio, debiti naturalis solutio, reditus ad patrial, ingressus ad gloriam. |[82] C’est a dire que « La mort n’est autre chose que yssue de chartre, fin de tourment et d’exil, despoullement de tres grief et pesant fais, |[83] c’est assavoir du corps terminacion de toutes maladies, evasion et fuyte de tous perilz, consummacion de tous maulx, rompement et destruction de tous liens, paiement de la debte naturelle, retour de lieu estrange a son propre pays et entree en la benoiste gloire ». |[84] Et a ce propos parle l’Ecclesiaste, en son septiesme chapitre, qui dit en ceste maniere : Melior est dies mortis die nativitatis. |[85] C’est a dire que « Le jour de la mort est meilleur que n’est le jour de la nativité ». |[86] La quelle proposicion et autorité doit este entendue seullement des bons et de ceulx qui sont eslus de Dieu, [v°] |[87] car on doit savoir et entendre que le jour de la nativité ne le jour de la mort ne peut estre dit bon en nulle maniere aux mauvais et reprouvéz. |[88] Pour la quelle cause, tout loyal et bon crestien et, avecques ce, tout pecheur vray contrit et repentant ne se doit en nulle maniere troubler ne courousser de la mort corporelle |[89] mais, sans nulle crainte, par raison de sa pensee, laquelle doit dominer la sensualité, icelle mort reçoyve et porte pacientement et soustienne, |[90] commetant plainement et conformant sa voulenté en toute maniere et et en ceste chose a la voulenté divine |[91] ainsi comme chacun est tenu se bien et sceurement veult passer de ce monde et de ceste misere et aller au royaulme celestiel. |[92] Et a ce propos aucun sage dit : Bene mori est libenter mori. C’est a dire que « Bien mourir est voulentiers mourir ». |[93] Et mesmes icelluy sage adjoint et dit : Ut satis dixerim, nec anni nec dies faciunt sed animus, |[94] c’est a dire que « La multitude des jours ne le nombre des ans ne sont point cause de soya corder a mourir mais le courage et la voulenté seulement font ce ». |[95] Quant il est donc necessaire et de droit naturel et mesmes que du tout en tout il fault mourir, en quelque maniere et quant et comment et ou Dieu le Tout Puissant vouldra, |[96] il est expedient et tres utile estre toujours content de la voulenté de Dieu, car elle est bonne, juste, droicturiere et saincte, sans faire a nulle creature tort. |[97] Car, de cecy, nous est escript et tesmoigné au livre des Collacions de Cassien, notable docteur et prudent, disant : « Fidelissimus Deus omnia que videntur, vel adversa vel prospera, pro nostris utilitatibus dispensat |[98] magis quia est pro suorum salute et commod providus atque sollicitus quam nos ipsi simus pro nobis. |[99] C’est a dire que « Nostre Dieu et benoist Createur est tres loial pour nous, |[100] car, combien que les choses nous semblent estre de prosperité ou d’aversité, icelluy benoist Redempteur, doulx, piteux, debonaire et misericors nous les baille et dispense totalement pour nostre salut, |[101] car certainement Nostre Createur est plus songneux et plus curieux de nostre singulier prouffit et utilité que nous ne sommes nous mesmes ». |[102] O creature raisonnable, esconte, retien et met en ton cueur les paroles dites. [a v r°] |[103] Et, pour ce donc, quant toy mortel nullement ne peux fuyr ne evader la mort, |[104] il est convenable, par necessité de salut, la mort, la quelle ta sensualité refuse et recalcitre, avoir acceptable quant Dieu vouldra, |[105] voluntairement la recevoir sans murmure et sans contradiction de ta pensee bien disposee. |[106] Car Seneque l’exorte et dit ainsy : Feras non culpes quod imputare non vales. C’est a dire que « Se tu ne peux muer a ta voulenté pour nulle chose, tu le dois paciaument porter », car autrement il ne te porteroit nul prouffit. |[107] Car, selon ce que icelluy mesmes Seneque nous dit : Si vis ista quibus urgeris effugere, non ut alibi sis oportet sed alius, c’est a dire que « Se tu veulx fuyr et evader la chose pour laquelle tu seroies contraint, il ne fault point que tu soies en autre lieu, mais il fault que tu soies autre ». |[108] C’est a entendre que tu soies d’acort, affin que plus legierement, sans autre difficulté, tu prouffites en la chose laquelle tu ne peux ne changer ne muer. |[109] Pourtant donc que le loyal et bon crestien ou povre pecheur contrit et repentant puisse bien mourir et sceurement, |[110] il appartient de necessité qu’il sache mourir, c’est a dire qu’il sache estre content quant l’eure de sa mort sera venue. |[111] Et, comme Dieu son Createur, aignel sans tache, de sa voulenté s’est livré a mort pour luy, aussi, que de sa voulenté, sans murmure, sans contradicion, ainsi qu’il est dit devant, mette peine de la recevoir pour l’amour de Dieu affin qu’elle luy puisse prouffiter a son salut. |[112] Mais, affin qu’on sache que c’est que savoir bien mourir, ung docteur sage et devot nous l’enseigne, disant en ceste maniere : Scire mori est paratum habere cor et animam cogitantem omni tempore ad superna tu, quandocumque mors venerit, paratum illud iveniat et absque ulla retractatione eam recipiat quasi qui socii sui adventum desideratum expectat, |[113] c’est a dire que « Savoir mourir est en tout temps avoir son cuer appareillé et son ame pensante a la joye souveraine, affin que sans retraction il reçoyve la mort en l’atendant ainsi comme celluy lequel determinement attent l’advenement de son compaignon loyal et parfait amy ». |[114] Et aussi, avecques tout ce, tu ensuyvras le conseil de ce poete Chaton, qui dit ainsi : Fac tibi preponas mortem non esse timendam, [v°] |[115] c’est a dire « Que tu faces tant en ta vie devant ta mort que tu n’aies point cause de la craindre », car la mort espie tousjours et regarde l’eure que Dieu nous vouldra par elle appeler. |[116] Car, ainsi qu’il est escript, Mors ubique te expectat et, si sapiens fueris, ubique eam expectabis, c’est a dire que « En quelque lieu que tu soies, la mort te attent, mais, se tu es sage, en quelconque lieu que tu seras, tu l’attendras ». |[117] Et, a cause de ces choses devant dictes, pour ce diray je bien sans nulle difficulté que la science de la mort est la science la plus, et la tres utile de toutes les sciences, |[118] en la quelle les religieux principallement, plus que nulles autres personnes, continuellement et sans nulle cesse, quotidiennement et sans relache, doivent estudier par plus grant soing et grande sollicitide affin que celle science puissent apprehender et apprendre. |[119] Et, combien qu’il soit ainsi que principallement l’estat et ordre de religion ait besoing et necessité d’icelle science plus que nul autre estat, |[120] touteffois toute autre personne, soit prestre ou clerc ou d’autre estat quel que il soit, soit sain ou malade, soit appareillé ou disposé a mourir ou non, |[121] a tout le moins quant il plaira a Dieu, icelluy est tenu obeïr et conformer sa voulenté a la voulenté de Dieu. |[122] Et, certainement aussi, non pas les religieux seullement mais, avecques ce, ung chcun bon et devot crestien lequel veult et desire bien et sceurement mourir doit vivre |[123] en telle maniere qu’il soit prest et appareillé, quant Dieu son Createur le vouldra avoir, affin qu’il puisse voulentiers mourir. |[124] Et aussi, il doit avoir sa vie en pacience, considerant l’ennuy, le travail et la misere de ceste vie, par ardeur et desir du royaulme celestiel, |[125] et dire avec le prophete David : Heu me, quia incolatus meus prolongatus est ! c’est a dire « Helas, tant le labour de ceste vie presente me semble long ! ». |[126] Et tout bon crestien doit avoir sa mort en desir par l’enseignement de l’apostre saint Pol, quant il dit : Cupio dissolvi et esse cum Cristo, c’est a dire « Je desire de jour en jour estre deslié de ce corps et estre avecques Jesucrist en son benoist royaulme ». |[127] Ces choses briefvement dictes de la science de bien mourir suffisent pour ceste premiere partie.

[a vi r°] |[128] La seconde partie de ce livre est des temptacions faictes aux mourants.

|[129] Et premierement de la foy.

|[130] Sachent toutes creatures, hommes et femmes, lesquelz ont a passer de ce monde en l’autre, comme il soit ainsi qu’il n’est nul qui ne gouste la mort |[131] il est assavoir pour tout vray que ceulx qui sont constituez a mourir ont a celle heurre telles temptacions de nostre adversaire l’ennemy d’enfer que oncques en leur vie n’eurent a congnoistre. |[132] Entre lesquelles en y a cinq principales |[133] desquelles la premiere est de la foy pour ce que elle est le fondement et commencement de tout salut. |[134] Et, pour ce congnoissant icelle chose, le glorieux apostre saint Pol disoit : Fundamentum aliud nolo ponere nisi id quod prius positum est, c’est a dire « Il n’est point en puissance de mettre fondement plus ediffiant en salut que celluy le quel j’ay mys ». |[135] Et, a celle cause, iceluy mesmes apostre nous le dit et tesmoigne par ceste script, c’est assavoir Sine fide impossibile est placere Deo, c’est a dire que « Sans foy, il est impossible de plaire a Dieu ». |[136] Et de cecy dit saint Augustin : Fides est omnium bonorum fundamentum et humane salutis inicium, c’est a dire que « La foy est le fondement de tous biens et commencement du salut humain. » |[137] O creature raisonnable et ame devote, ayes donc la foy et croy ces choses et doubte le dit de saint Jehan escript au .iii. chapitre de sa canonique, disant : Qui non credit, jam judicatus est, c’est a dire que « Celuy qui ne croit et a ferme foy, il est ja venu au jugement et est jugié ». |[138] Et pourtant, nostre adversaire, sachant la grande vertu et preeminence de la foy, |[139] la force aussi que elle a de resister encontre luy et congnoissant que sans icelle nulle creature ne peut estre sauvee et que par elle on a aide et secours, |[140] pour telles causes, autant comme il peut, il met paine, de toute sa puissance, de pervertir et tourner l’omme hors de la foy quant il est au labour de la mort |[141] ou, au moins, il luy presente aucunes choses soubtilles par lesquelles il le puisse decevoir, c’est assavoir par aucunes folles erreurs lesquelles il met aux creatures maintenant, |[142] comme croire par heresie autrement qu’on ne doit et autres telles folles choses, esquelles il met grant paine affin de faire pervertir l’omme hors de la foy. |[143] [v°] Et, pour celle malicieuse chose et soubtil efforcement, le bon et loial crestien ne doit pas seullement croire les articles de la foy |[144] mais, avecques ce, est tenu croire fermement en toutes choses par tous les ditz de la saincte Escripture sans nul obstacle ou difficulté. |[145] Et, s’il est ainsi qu’il ne les entende pas sainement, comme plusieurs ne sont pas clers, il suffit pour son salut, a l’encontre de la malice du dyable d’enfer, les croire en telle maniere que ilz sont entendues |[146] et selon ce que saincte Eglise rommaine presche et exhorte et comme elle croit. |[147] Et aussi se doit elle commettre et rendre subjecte a vouloir mourir aux constitucions et ordonnances d’icelle, |[148] car, autrement, sans nulle doubte, des aussi tost que, en aucune de ces choses devant dites, iceluy mourant commence a crier ou a defaillir, |[149] aussi tost trebuche et chiet de la sente et adresse de vie et de salut. |[150] Mais tu dois savoir sans nulle doubte, pour ce que aucuns pourroient troubler leur entendement de telles choses, |[151] que, combien qu’il soit ainsi que le dyable d’enfer mette en la memoire du mourant celles temptacions subsequentes et ensuyvantes, touteffois il est assavoir et dois fermement croire |[152] que en nulles d’icelles ne te peut faire nuysance s’il n’est ainsi que, quant tu estoies en ta franchise et liberal arbitre de ton entendement bien disposé et sans contrainte, tu luy eusses aucune adhesion faicte ou aucun accort, |[153] car autrement il ne te peut rie, se ce n’est par toy, a cause que, quant tu as peu resister contre luy tu ne l’as pas fait. |[154] Et, se tu l’as contredit a ton pouoir et as fait ce qui en toy estoit, maintenant saches de certain que Dieu te donnera resistence de luy |[155] pour ce que, de toy maintenant, tu ne le peux faire et dois avoir en ton benoist Dieu a celle heure une grande esperance de secours et croire fermement qu’il ne souffrira point que le dyable puisse envers toy aucune chose. |[156] Car, ainsi que dit le prophete David Non privabis bonis eos qui ambulant in innocencia : beatus homo qui sperat in te, c’est a dire « O Sire, benoist est celuy qui met son esperance en toy, car tu ne le priveras pas de tes biens ». |[157] C’est a entendre que, s’il l’appelle en sa necessité, qu’il luy secourra et donnera son aide, |[158] car, aussi comme celuy mesmes prophete dit Prope est Dominus omnibus invocantibus eum, omnibus qui in[b i r°]vocant eum in veritate, c’est a dire que « Dieu le Createur est pres atous ceulx qui le demandent en vraie necessité ». |[159] O creature raisonnable et ame devote, espere et aies confidence en ton doulx et begnin Createur et luy recorde et met devant luy ce qu’il a promis par la bouche de son prophete |[160] en disant le dit de l’Escripture devant dicte : « Sire Dieu, je croy que tu es pres et regardes noz necessitez. Je te appelle et demandes ton aide en verité et honneur de toy ; secours moy en ceste chose en laquelle tu congnois ma grant miesre, car je sçais certainement que de nul autre ne puis estre delivré. » |[161] Ainsi donc, tout bon catholique et vray crestien esperant en la Providence de Dieu ne doit craindre de doubter en quelque chose les erreurs, les illusions ne toutes les persuasions du dyable, |[162] car il est en toutes ses promesses deceptible et menteur selon ce que la verité de la saincte Evangile nous tesmoigne, disant : Mendax est et pater ejus, c’est a dire que « Le dyable est mensongier et pere de mensonge ». |[163] O ame devote, persevere fermement en la vraie unité et vertueuse obedience de nostre mere saincte Eglise et ainsi dois mourir. |[164] Mais, selon ce qu’il est acoustumé en d’aucunes religions estre fait, il est tres utile que le Symbole de la foy, c’est assavoir le Credo, soit dicte et les articles declairéz a haulte voix plusieurs fois devant ceulx qui sont en la bataille de la mort |[165] affin qu’ilz soient en courage plus fortz et plus fermes, plus vertueux et plus constans et aussi que les ennemys se mettent en fuyte, lesquelz ne peuent jamais icelles articles ouyr. |[166] Et, avecques ce, pour avoir greigneure constance et plus ferme, principallement doit estre au malade la foy de noz anciens peres tres loiaulx a Dieu enarree et declairee, |[167] come a foy de Abraham, son amy, le quel crut a ce qu’il luy fut dit, qu’il auroit ung filz nommé Ysaac, |[168] au quel airoit a donner benediction, le quel filz multipliroit en la terre come les estoilles se multiplient au ciel. |[169] Et, non obstant que son aage feust passee et de sa femme aussi, croians a la puissance de Dieu plus que a la defaulte de nature, comme il avoit esté promis ainsi fut fait. Et, en aprés, en ensuyt a Abraham benediction. |[170] Et aussi la foy de Ysaac, son esleü, lequel crut a la promesse qui luy fut faicte de Dieu, |[171] disant [v°] que, toutes les regions et contrees qu’il avoit acordees a son pere Abraham, icelles possideroit et multipliroit de sa semence et, aprés luy, a ses enfans donneroit benediction. |[172] En aprés, semblablement, de Jacob, son bien aymé, lequel crut et adjousta foy a la promesse de Dieu, quant il cheminoit par la terre en laquelle il dormoit, |[173] qui luy dist qu’il luy donneroit et a sa semence et qu’il la multipliroit ainsi comme la pouldre de la terre par toutes les parties du monde, |[174] c’est assavoir en orient, en occident, en septentrion et en mydi, et qu’il seroit son protecteur et defenseur en toutes ses necessitez. |[175] Et en celles promesses tous y ont adjouste foy sans nulle deviacion et ainsi leur a esté fait et tenu par la vertu de la foy, |[176] ainsi qu’il est mis et desclairé d’Abraham au livre de Genese, au .xviiie. chapitre, quant il dit qu’il sera pere de plusieurs gens, et de Ysaac, au .xxvie. chapitre, et de Jacob, au .xxviiie. d’icelluy livre. |[177] Et aussi au malade doit estre rememorisee la foy des payens et infideles, comme, par foy, ilz sont venus a baptesme, |[178] et apreillement la foy des apostres, des martirs, des confesseurs, des vierges et de plusieurs autres innimbrables. |[179] Et la cause est tres bonne, car tous les anciens et semblablement ceulx de maintenant par foy ont pleu moult a Dieu, car, comme il est dit devant, il y a en foy double utilité. |[180] La premiere est vraye foy et c’est celle qui croit toutes choses impossibles estre possibles quant a l’entendement. |[181] Et de ceste tesmoigne l’Evangile par la bouche de Dieu, en disant : Omnia sunt possibilita credenti, c’est a dire que « Toutes choses sont possibles a celluy qui les croit ». |[182] La seconde est vraye foy, laquelle nous impetre toutes choses, ainsi que Nostre Seigneur dit en l’Evangile : Quicquid orantes petitis credite, quia accipietis et fiet vobis, c’est a dire, mes amys, « Croyéz de certain que, se vous me demandéz quelque chose, que vous l’auréz. » |[183] Et ces choses dictes suffisent quant pour la premiere temptacion qui est de la foy.

|[184] De desesperance, seconde temptacion.

|[185] Quant le dyable d’enfer, en tant comme il a peu tempter, apperçoit que en nulle maniere il n’a rien fait et qu’il n’y a point de effect aux temptacions qu’il a presentees a la creature [b ii r°] estante en l’article de la mort et que elle est demouree ferme sans quelque variacion, pourtant, |[186] s’il se voit sourmonté et confondu en la temptacion premiere, laquelle a esté de la foy, sy ne se tient il pas a tant, |[187] mais incontinent met paine de l’oster de la bonne esperance laquelle il voit avoir a la bonne creature et aussi de la confidence laquelle il congnoit que le mallade met en Dieu, |[188] considerant que, ces choses ostees, il pourra abatre le malade et faire trebucher en voie de desesperacion. |[189] Et, adonc, quant il voit que la douleur au malade croist et qu’il est fort tourmenté et passionné, |[190] il luy met et adjouxte douleur sur douleur, en luy remettant en memoire et devant les yeulx de son entendement tous ses pechéz en toutes les maniers qu’il peut, |[191] comme l’orreur, l’abhominacion, la grandeur et la multitude d’iceulx, affin que, par aucune de ces choses, il le puisse faire cheoir en desesperance. |[192] Et sachent tous, comme dit Innocent, tres venerable docteur, parlant De la Vilité de la condicion humaine, en son tiers livre, que chacun homme, soit bon soit mauvais, verra Nostre Seigneur Jesucrist estendu en croix, devant que son ame ysse de con corps, |[193] mais ce sera differentement, car le bon le verra a sa joye et le mauvais le verra a sa douleur, tristresse et confusion |[194] affin qu’il ait honte que le fruyt de la passion Jesucrist et redempcion du monde ne luy sera point vaillable pour son remede et pour son salut. |[195] Sy devez savoir que les pechiéz non confessez lesquelz la creature a commis, faitz et perpetréz en sa vie, le dyable les sçait tous entierement |[196] et, adonc, il les luy remet en sa memoire quant il est prest et appareillé de rendre son ame a Dieu, |[197] affin qu’il le face cheoir en desespoir et qu’il puisse, par ce, prendre et ravir son ame. |[198] Mais, non obstant, n’est ce pas a dire que nul se doyve desesperer ne mettre hors de son bon propos en nulle maniere queconques, |[199] voire supposé qu’il ait commis autant de fois larcin et autant de fois homicide comme il y a de gouttes de eaue en la mer et de grains de pouldre sur la terre. |[200] Et supposé qu’il n’en feist oncques penitance et qu’il n’en fust oncques confessé et, avecques tout ce, a ceste heure en laquelle il se trespasse, il n’en a faicte quelque confession, |[201] et non pas seulement de ceulx devant nommez mais aussi de tous [v°] autres innombrables, |[202] sans faulte croy fermement que encore n’est ce point que tu te doives desesperer de la misericorde de Dieu, lequel est doulx, begnin et naturellement piteux. |[203] Car saches de certain qu’en tel cas et a telle heure Dieu ne desire fors que tu soyes sauvé, mais que tu en aies contricion et desplaisance : |[204] car, selon ce que dit le saint prophete David Cor contritum et humiliatum Deus non despiciet, c’est a dire que « Le cueur contrit et humilié Dieu ne le desprisera point » mais le recevera begninement en sa misericorde. |[205] Et de ce mesmes parle Ezechiel le prophete, disant : Quacumque hora ingemuerit peccator peccatum, salvus erit, c’est a dire que « En quelcunque heure que le pecheur se recordera en contricion de son pechié, il sera saulvé ». |[206] Et, a ce propos, dit le glorieux et devot docteur saint Bernard : Major est Dei pietas quam quevis iniquitas, c’est a dire que « La pitié et misericorde de Dieu est greigneure que ne sçairoit estre quelconque iniquité ». |[207] Et saint Augustin dit aprés : Neminem desperandum est dum est in hac vita, c’est a dire que « Nul qui soit en ce monde, tant soit grant pecheur, ne se doit deffier de la misericorde de Dieu ». |[208] Et la cause est bien raisonable, car il dit aprés : Solum desperacionis crimen est quod mederi non potest, c’est a dire qu’« Il n’est pechié, tant soit grant, qui n’ait aucun remede, se n’est le pechié de desesperacion ». |[209] Et, aprés encore, saint Augustin dit ainsi : Non nocent mala preterita si non placent, c’est a dire que « Les pechiéz passéz que tu as commis ne te nuyront point se tu en as desplaisir ». |[210] Et, par ces causes, tu dois avoir forte perseverance en la doulceur et benignité de ton doulx et benoit Createur. |[211] Mais considere plus fort, qu’il feust ainsi que en tout le monde universellement tu eusses commis tout seul tous les pechiéz qui oncques furent faits |[212] et qu’, entre toutes les creatures de ce monde, n’eust pecheur que toy, encore, pour telle cause, ne te dois tu pas desesperer. |[213] Et, pareillement, je te dys et il est vray que, se le cas advenoit que tu fusses reputé ou tenu du nombre des dampnéz, encore, quelque chose qu’il en soit, |[214] ne te dois tu point desesperer, pour ce que, par desesperance, le tres piteux et souverain Dieu est griefvement offensé |[215] et les pechiéz aussi en sont, sans quelque comparaison, plus [b iii r°] aggravéz et les paines d’enfer infiniment, sans remission, plus griefves a tourmenter. |[216] Pour ce donc, a toute creature et principallement au malade, on doit donner cause d’avoir confidence en Dieu, quant il est en la bataille de la mort, |[217] en luy recordant la disposicion de Dieu pendant en croix, selon l’exhortacion du benoist saint Bernard, disant par doulce et gracieuse exhortacion, ainsi que s’il voulsist demander : |[218] Quis non rapietur ad spem et ad confidentciam impetrandam si attenderit in cruce corporis Christi disposicionem ? C’est a dire « Qui sera celuy cueur sy dur, considerant la maniere de la disposicion du corps Jesucrist pendant en la croix, qui ne soit promeu a avoir esperance de sa misericorde ? » Ainsi comme s’il voulsist respondre qu’il n’est nul. |[219] Et dit aprés : Vide caput inclinatum ad te calutandum, os ad te osculandum, brachia extenta ad te complectendum, manus perforatas ad te largiendum, latus apertum ad te diligendum et tocius corporis extensionem ad se totum tibi impendendum, |[220] c’est a dire « O creature de Dieu et ame devote, œuvre les yeulx de ton entendement et regarde le chief de ton Dieu encliné pour te saluer, la bouche abandonnee pour te baiser, les bras estendus pour toy embrachier, |[221] les mains perchees pour a toy eslargir et donner, le costé ouvert pour t’aymer et est tout son corps estendu pour soy totallement a toy habandonner ». |[222] Et, pour ces causes donc, nul, en quelque maniere que ce soit, ne se doit desesperer, mais plainement se doit a Dieu confier, car celle vertu est moult louable et plaine de merite devant Dieu, |[223] comme saint Pol l’apostre nous exhorte icelle garder songneusement, en disant : Nolite amittere confidenciam vestram que magnam habet remuneracionem. |[224] Pour tant donc, nul, tant soit grant et abhominable pecheur, ne se doit desesperer qu’il n’ait pardon s’il le veult et sçait requerir, |[225] car de cecy nous avons tres manifeste exemple de saint Pierre l’apostre, qui renya Jesucrist, et de monseigneur saint Pol, qui estoit sy grant persecuteur de saincte Eglise, et aussi des deux publicans, c’est assavoir saint Mathieu et Zachee, |[226] pareillement de Marie Magdalene pecheresse, de la femme apprehendee en adultere, du larron pendant jouxte la croix, de [v°] Marie Egipciane |[227] et, avec tout ce, de moult d’autres innombrables pecheurs et pecheresses qui tous ont trouvé misericorde en Nostre doulx Sauveur et Redempteur Jesucrist. |[228] Par lesquelles choses le dit de la saincte Escripture est confermé, car, aucune fois ou le delit a plus habondé, grace y a superhabondé. |[229] Par quoy il appert que la misericorde de Dieu est sur toutes ses œuvres. Et ces choses suffisent pour la seconde temptacion, qui est desesperance.

|[230] De impacience, tierce temptacion.

Voyant de rechief le dyable d’enfer qu’il ne peut venir a son intencion par desesperance, tantost aprés, sans nul relache, il met tout son estudie de mener et esmouvoir la creature contre Dieu par impacience, |[231] laquelle est contraire a charité, par laquelle nous sommes tenus aymer Dieu sur toutes choses. |[232] Et, pour ce qu’il sçait que tres grande douleur seuffrent et portent les creatures qui sont au mourir et principallement ceulx qui ne peurent pas de mort naturelle, |[233] laquelle vient a tart, ainsi que tu vois et comme experience manifeste te l’enseigne, mais vient souvent par aucun accident |[234] comme de fievre et d’apostume ou autre maladie et enfermeté griefve et plaine de tourment, longue et plaine d’ennuy, par laquelle ilz sont contrains a mourir, |[235] et, pour ce que aucune fois ilz sont mal disposéz a la mort, plusieurs peurent sans faire accord de leur voulenté a la voulenté de Dieu, |[236] ayans le default de charité, par quoy ilz sont faitz impaciens a Dieu, murmurans contre luy. |[237] Et, en ceste maniere, la douleur qui leur semble trop grande les rend en leur impacience ainsi comme folz et insenséz, comme on le voit en plusieurs. |[238] Par quoy il appert clerement quet elz certainement defaillent en vraie charité, |[239] selon que nous tesmoigne saint Jerome, qui dit : Si quis cum dolore egritudinem vel mortem suscipit, signum est quod Deum sufficienter non diligit, |[240] c’est a dire que « S’aucune reçoit contre sa voulenté mort ou maladie, c’est signe qu’il n’ayme point suffisaument Dieu ». |[241] Ainsi donc est il totalement necessaire a toute personne qui veult bien mourir qu’il ne murmurep oint, en sa mort ne devant sa mort, de [b iiii r°] quelque enfermeté, tant soit plaine de tourment, soit longue ou briefve, |[242] car, selon ce que dit saint Gregoire, en ses Moraulx : Justa sunt cuncta que patimur et ideo valde injustum est si de justa passione murmuramus, |[243] c’est a dire que « Toutes choses que nous souffrons sont justes » et que « c’est chose moult injuste se nous murmurons de ce qui nous est envoié de Dieu justement ». |[244] Pour ce donc, soions paciens, affin que puissons obtenir la promesse de l’Evangile, disant : In paciencia vestra possidebitis animas vestras, c’est a dire « Vous possiderez vos ames en vostre pacience ». |[245] Car sachez de vray que, ainsi comme l’ame est gardee et possidee par pacience, ainsi elle est perdue et dampnee par murmure et impacience. |[246] Et de cecy nous dit saint Gregoire, en une de ses omelies : Regnum celorum nullus murmurans accipit, c’est a dire que « Nul qui murmure ne peut avoir le roiaulme du ciel ». |[247] Car, ainsi comme dit Albert, venerable docteur, parlant de vraie contricion : Vere contritus ad omnem afflictionem et infirmitatem letanter se offert ut pro offensa Deo satisfacere digne possit, |[248] c’est a dire « Le vray contrit et repentant s’offre joyeusement a toute enfermeté et affliction affin qu’il puisse dignement satisfaire a Dieu pour ses offences ». |[249] Donc, de tant plus que chacun malade congnoit sa seulle propre enfermeté mendre ou plus legiere que les pechiéz par lesquelz il a offensé Dieu, son benoist Createur, |[250] de tant plus, sans nulle comparaison, il doit souffrir plus paceintement les douleurs et passions lesquelles il a a endurer |[251] et aussi, avec ce, doit considerer que l’enfermeté laquelle il porte et endure devant sa mort luy peut estre, est ou sera pour son expurgatoire s’il prent pacience comme il appartient pour son salut, |[252] car selon ce que dit Albert, venerable docteur : Non solum gratitudine indegimus in his que sunt as nostram consolacionem sed eciam in his qui sunt ad nostram afflictionem, |[253] c’est a dire que « Nous n’avons pas seulement necessité rendre graces a Dieu des choses lesquelles sont a nostre consolation mais aussi des choses lesquelles sont a nostre tourment et affliction ». |[254] Pour quoy, a ce propos, saint Gregoire dit : Divina dispensacione agitur ut prolixiori vicio prolixior egritudo adhibeat, |[255] c’est a dire qu’« Il est souffet et permis [v°] par dispensacion divine que, ainsi que le vice ou pechié a esté longuement continué, il est bien convenable que longue paine de maladie soit pour le salut adjoustee ». |[256] Chacun enferme donc, et principallement celuy qui a a mourir, die avec saint Augustin : Hic seca, hic ure ut in eternum michi parcas, Domine. |[257] c’est a dire « O Sire Dieu, trenche et separe mon ame de mon corps a ta voulenté, embrase et brule ton povre meschant des tribulacions de ce monde par telle maniere que tu ne me veulles pas perdre eternellement ». |[258] Et, pour ce, dit saint Gregoire : Misericors Dominus, temporalem adhibet severitatem ne in eternum inferat ultionem, |[259] c’est a dire que « Plusieurs fois, nostre Saulveur Jesucrist, doulx, begnin et misericors, envoie une petite temporelle tribulacion affin qu’il ne baille point eternellement aucun tourment ou cruciacion ». |[260] Aiant donc mis en ta memoire toutes ces choses, quant il est ainsi que la temptacion bataille encontre charité, sans lequelle nul ne peut estre saulvé, pour telle cause, |[261] selon le dit de l’Apostre : Vera caritas paciens est et omnia suffert, c’est a dire que « Vraie charité est tousjours paciente et seuffre toutes choses ». |[262] Et dois bien noter et entendre que pour grant cause est mys qu’elle seuffre toutes choses et qu’il est moult a peser et a noter, |[263] car il entent et declaire que charité porte toutes choses pacientement, sans rien en excepter. |[264] Pour ce donc et par celle raison, toutes les maladies et enfermetéz sont a estre portees par raison de la pensee, sans murmure et sans nulle difficulté. |[265] Et de cecy dit monseigneur saint Augustin : Amanti nichil est difficile seu impossibile, c’est a dire que « A celuy qui ayme nulle chose, tant soit forte a faire ne a porter, ne luy est aucunement difficile ne impossible ». |[266] Et ces choses dessus dites peuent suffire pour le present de la tierce temptacion, qui est de impacience.

|[267] De vaine gloire, quarte temptacion.

|[268] Quant le dyable d’enfer voit qu’il ne peut nullement oster la creature de charité ne la mettre par nulle voie en ipacience et murmuracion contre Dieu |[269] mais benignement et sans contreit reçoit et soustient pacientement les flagellacions et [b v r°] corrections de son benoist Redempteur, |[270] non pour tant ne cesse point la malignité cruenteuse du dyable et plaine de tourment ne sa perverse voulenté deceptive et falacieuse |[271] mais vient et approuche cautement et malicieusement a la creature, l’esjouyssant par complacence et vaine gloire de soy mesmes, laquelle est orgueil espirituel. |[272] Et, par telle vaine gloire et complacence, le dyable a infait, deceu et corrumpu plusieurs gens de religion et plusieurs devotz et bons catholiques|[273] a cause des bonnes œuvres et operacions lesquelles ilz congnoissoient en eulx mesmes sans en rendre a Dieu ne graces ne louenges. |[274] Et pareillement, a ceste heure, pour ce qu’il n’a peu faire denyer ne mettre la creature hors de la lumiere de la foy ne perdre la confidence et esperance, la quelle est totallement en son Dieu, ne aussi l’oster hors de charité, |[275] il vient adonc mettre et darder a la creature telles cogitacions, disant ainsi : |[276] « O creature raisonnable et de Dieu aymee, tant tu es ferme en foy d’Eglise, tant tu es forte en esperance de pardon et aussi constante en la charité de ton Dieu ! |[277] O ame devote, pense maintenant comme tu as tant bataillé contre moy et que tu m’as rebouté, quel bien tu as fait et de quelle vertu tu es revestue et quelle couronne en gloire t’est appareille ! » |[278] Et plusieurs autrs choses semblables, cuydant tousjours le decevoir en telle maniere. |[279] Mais contre ces choses et pour y resister nous dit Ysidore, tres noble docteur : Non te arroges, non te jactes, non te violenter extollas vel de te presumas. Nichil boni tibi attribuas. |[280] C’est a dire que de quelque bien de quoy il te souvienne que tu ne t’en orgueillisses point, ne t’en vante point, ne t’en eslieve point en vaine gloire et ne presume rien de toy |[281] et sy te garde bien que, les resistences lesquelles tu as faictes encontre ton ennemy le dyable d’enfer, que tu ne les attribues pas estre de ta vertu ne de ton bien mais de la bonté de Dieu tant seulement, |[282] car saches de certain que la creature pourroit tant prnedre de complacence et vaine gloire de ces choses en soy mesmes que, a cause d’icelle vaine gloire, il seroit et pourroit estre perdu et eternellement dampné. |[283] Et de cecy dit saint Gregoire : Quisquis reminiscendo bona que gessit dum se apud se erigit, [v°] apud auctorem humilitatis cadit, |[284] c’est a dire que « S’aucun recorde les biens qu’il a faictz et s’il s’en eslieve en luy mesmes par orgueil et vaine gloire, icelluy chiet et trebuche devant le vray accroisseur de humilité ». |[285] Par quoy donc et a ceste cause, celuy qui est a mourir doit estre caut et soubtil encontre la soubtilleté du dyable, |[286] en telle maniere que, s’il se sent estre tempté par orgueil et vaine gloire, il doit penser ses pechiéz et soy devant Dieu deprimer et humilier et recorder qu’il ne sçait pas se, par chose qu’il ait faicte, il est digne de hayne ou d’amour par devers Dieu. |[287] Mais, affin qu’il ne desespere pas, il doit eslever son cueur a Dieu en ayant ferme esperance de sa misericorde, laquelle est sur toutes ses œuvres, |[288] pensant en son cuer que notre tres loyal Dieu est verité infallible, |[289] lequel en jurant a promis par son prophete, disant : Vivo ego, dicit Dominus, nolo mortem peccatoris, sed magis ut convertatur et vivat, c’est a dire « Je vis, dit Nostre Seigneur, sachéz de certain je ne veulx point la mort du pecheur mais j’aymes myeulx qu’il vive et se convertisse ». |[290] O ame devote et creature rasonnable, estoit il necessaire que luy qui est verité souveraine jurast par luy mesmes en ceste maniere, disant : « Je vis » ! |[291] O promesse divine plaine de toute joye et de toute consolacion, certainement nul ne se doit desesperer de ta misericorde, |[292] car tu la donnes a tous ceulx generallement qui te la demandent et te requierent aide de ta misericorde par cueur contrit et humilié ! |[293] Prenons donc en ceste chose l’exemple de benoist saint Anthoine, auquel l’ennemy d’enfer disoit en ceste maniere : |[294] « Anthoine, tu m’as vaincu et sourmonté, car, quant je t’ai voulu humiliier, tu t’es contre moy exalté. » |[295] Face donc ung chacun de nous en ceste maniere, soit sain ou malade, et par ce opint nous aurons victoire du dyable encontre toutes ses batailles, assaultz et malignitéz. |[296] Et les choses dessusdites suffisent pour le present de la quarte temptacion, qui est de vaine gloire.

|[297] De la souvenance des choses temporelles, quinte temptacion.

|[298] Aprés est presentee la quinte temptacion, la quelle infait et corrumpt principallement les seculiers et charnelz, comme [b vi r°] trop grande occupacion des choses temporelles et exteriores, |[299] c’est a dire envers sa femme et ses enfans et envers ses amys et mondaines richesses et autres choses lesquelles ilz ont en leur vie aymé trop desordonnement, |[300] car, certainement, qui veult bien et sceurement mourir, il doit totallement contempner toutes choses temporelles et exteriores et les mettre hors de sa pensee et affection ainsi comme s’ilz n’eussent oncques esté et soy voluntairement du tout commettre a Dieu. |[301] Car, selon ce que l’Escot nous dit : Si quis infirmus, cum se jam videt mortuum, velit bene mori, plene consentiat morti ac si pro se elegisset penam mortis, |[302] c’est a dire que « Quant aucun malade voit qu’il est ja prest a mourir, s’il veult bien mourir, il se doit plainement consentir a la mort ainsi comme s’il eust esleu pour luy icelle paine ». |[303] Et, ainsi, en soustenant pacientement la mort, il fera satisfaction de tous es pechéz veniels |[304] et non pas seullement des venielz, mais encoire plus il aydera aucunement a satisfaire pour les mortelz. |[305] Par quoy il appert que ceste chose est tres utile et du tout necessaire, en tel article de necessité, conformer sa voulenté a la voulenté divine, ainsi qu’il fault en toutes choses. |[306] Mais saches que, a grant paine et bien tart,, nul seculier ou charnel et mesmes nul religieux ne veult a la mort exposer et, qui plus est, de telle choses ne veullent rien ouÿr. |[307] Mesmes quant ilz sont frapéz de la mort, ilz espoirent eschaper et evader. Laquelle chose je prometz selon ce que dit Isaÿe le prophete estre tres dangereuse et plaine de grant peril a tout bon crestien. |[308] Toutesfois, il est a noter que le dyable, en toutes les temptacions devant dictes, ne pourra vaincre l’omme en quelque maniere que ce soit |[309] et aussi, en nulle chose qu’il face, l’omme ne luy donnera consentement s’il n’est ainsi que, tant comme l’omme a esté en sa franchise et usage de raison, qu’il se soit voulu a luy consentir voluntairement, |[310] laquelle chose est a eviter, non pas seullement a tout bon crestien mais aussi a tout pecheur, de quelque abondance et plenitude de pechez qu’il soit plain. |[311] Et, pour ce, dit bien l’Apostre ce qui ensuy : Fidelis est Deus qui non pacietur vos temptari supra id quod potestis, sed faciet eciam cum temptacione proventum ut possitis sustinere, |[312] c’est a dire que « Nostre Dieu est tres loyal, lequel [v°] ne souffrira point que vous soiéz temptéz sur la chose la quelle vous ne pouez porter mais aussi vous fera aide et soulegement avec la temptacion affin que la puisséz soustenir ». |[313] Et dit la Glose sur ce mot : Fidelis est Deus, qui signifie « Dieu est loial », |[314] c’est a dire qu’il est vray en ses promesses, lequel nous donne grace de resister puissamment, prouffitablement et perseveramment que nous ne soyons vaincus et affin que nous dessevrons grace, et nous donne constance affin que nous vaincons. Faciet proventudm, c’est a dire il vous donnera augmentacion de vertus affin que vous puisséz soustenir la temptacion et que vous ne defailléz en icelle mais que vous ayéz victoire, la quelle est faicte par humilité ». |[315] Et de cecy dit monseigneur saintAugustin : Illi non crepant in fornace qui non habent ventum superbie, c’est a dire que « Ceulx lesquelz ne sont point enfléz du vent d’orgueil ne crevent point en la fournaise d’enfer ». |[316] Et, pour ceste cause donc, le petit homme et povre pecheur se doit humilier soubz la puissante main de Dieu. |[317] Et, se ainsi il le fait, il pourra obtenir de ses ennemys victoire par la grace et aide de Nostre Seigneur et sera deffendu jusques a la mort et gardé en toutes temptacion, enfermité, douleur et tribulacion de tous maulx.

|[318] La tierce partie de ce livre est des interrogacions faictes aux mourans.

|[319] Sache chacune personne que telles interrogacions doivent estre faictes a ceulx qui ont a mourir ainsi come il sera declairé en aprés, tant comme ilz ont encoire usage de raison et de parler, |[320] affin et pour telle cause que, s’aucun est moins disposé a mourir qu’il ne doit, qu’i soit de bien en mieulx informé et en tel besoing conforté. |[321] Et, selon le glorieux docteur de l’Eglise monseigneur saint Anselme, les interrogacions doivent estre faictes en ceste maniere. |[322] Premierement : Frater, letaris quod in fide Christi morieris ? C’est a dire « Mon frere ou mon amy, t’esjouys tu que tu meures en la foy de Jesu Crist ? » Response : Etiam, c’est a dire « Ouy, certainement. » |[323] En aprés : « Confesses tu pas que tu n’as pas sy bien vescu comme tu deusses ? » Response : [c i r°] « Ouy, sans faulte ». |[324] ― « Se tu avoies espasse de vivre, n’as tu pas voulenté de toy amender ? » Response : « Ouy, j’ay celle voulenté ». |[325] ― « Croy tu pas que Nostre Seigneur Jesucrist, filz de Dieu, est mort pour toy ? » Response : « Ouy, certainement. |[326] ― « Et, pour ce qu’il a voulu estre ainsy, ne luy en rens tu pas graces de tout ton cueur ? » Response : « Ouy, veritablement ». |[327] ― « Ne croy tu pas que tu n’eusses peu estre sauvé se n’eust esté sa mort ? » Response : « Ouy, en verité. » |[328] Et, aprés telles responses lesquelles iceluy malade te aura faictes, donne luy reconfort caritatif, en disant : |[329] Amy, donc, tant comme to name est encores a toy, rent luy graces tousjours detoutes les choses lesquelles il luy plaist estre faictes |[330] et met et constitue toute ta pensee toy confiant a la mort de ton Dieu sans nulle autre esperance avoir |[331] et te commet tout a sa mort et que tu en soes tout couvert et aussi que tu soies en icelle mort tout envelopé. » |[332] Et, s’il advient, frere ou amy, que Dieu te veulle juger, dy ceste parole : « Sire, je metz la mort deNostre Seigneur Jesucrist entre moy et mes mauvais merites et entre moy et ton jugement, car, certainement, Sire, je n’estriveray ne contendray autrement avec toy. » |[333] Et, aprés, s’il te dit que tu as acquis dampnacion, dy de rechief en ceste maniere : « Je metz la mort de nostre Seigneur Jesucrist entre moy et mes desmerites et aussi le merite de sa tres digne passion, lequel je deusses avoir eu. Helas, je ne l’ay point ! » |[334] Item die : « Helas, Sire, je metz la mort de Nostre Seigneur Jesucrist entre moy et ton ire. » En aprés diz trois fois : In manus tuas, Domine, commendo spiritum meum. Redemisti me, Domine Deus veritatis, |[335] c’est a dire : « O Sire Dieu de verité, qui a souffert mort pour moy et m’as racheté, e commande en tes mains mon esperit, c’est assavoir mon ame ». |[336] Et luy doivent ramentevoir ceulx qui sont au tour de luy. Et, s’il advient qu’il ne puisse parler, comme l’en voit souvent, aucun des assistens le die pour luy. |[337] Et, en ceste maniere, il meurt tres aceurement, car il ne verra point la mort eternelle. |[338] Et les choses dessus dictes peuvent suffire pour le present et quant a la matiere de ceste tierce partie, qui est des interrogacions que l’en doit faire au mourans.

[v°] |[339] La quart partie est de quoy et comment on doit le malade enseigner, avec les deprecacions que on lui doit faire.

|[340] Combien qu’il soit de certain que les interrogacions devant dictes soient veues estre suffisantes, competentes et convenables seulement aux personnes religieuses et devotes, |[341] toutesfois, selon aucun venerable docteur Chancelier de Paris, tous crestiens, tant seculiers que reguliers, doivent estre informéz et enquis plus certainement et plus clerement de leur estat et salut, en la bataille et luyte de la mort, en la maniere des choses ensuyvantes. |[342] Et, premierement, telle demande doit estre faicte a la creature : |[343] « Croy tu tous les principaulx articles de la foy avec l’exposicion de la saincte Escripture selon l’opinion des sainctz docteurs catholiques de saincte Eglise et renonches a toutes heresies et foles erreurs reprouvees de l’Eglise ? |[344] Et, avec ce, tu t’esjouys que tu meures en la foy Jesucrits et de nostre Mere saincte Eglise et en l’obedience et unité d’icelle ? » |[345] Secondement luy soit ainsi demandé : « Recongnois tu avoir offensé griefvement et en moult de manieres et souvent ton benoist Creatuer, |[346] car, comme dit monseigneur saint Bernard, en ses Meditacions : Scio neminem absque sui ipsius cognicione salvari, de qua nimirum mater salutis humilitas oritur et timor Dei, qui et ipse sicut inicium est sapiencie ita et salutis, |[347] c’est a dire « Je ne sçay, dit monseigneur saint Bernard, aucun estre sauvé sans la congnoissance de luy mesmes, de laquelle certainement humilité, mere de salut, est engendree et crainte de Dieu, laquelle crainte, ainsy comme elle est commencement de sapience, ainsy est elle commencement de salut ». |[348] Tiercement, il doit demander pardon de tous ses pechiéz commis contre la majesté de Dieu, contre son amour, contre sa benignité, contre sa bonté, et des biens qu’il a peu faire qu’il n’a point faitz, et des biens qu’il a receus, |[349] desquelz il a esté ingrat, non pas seullement pour la crainte de la mort ou de quelque paine mais pour l’amour de Dieu et de sa justice et pour la charité de laquelle nous sommes tenus iceluy aymer sur toutes choses, |[350] et encore plus desirer qu’il veulle enluminer son cuer affin qu’il puisse avoir congnoissance des maulx qu’il a [c ii r°] oubliéz, affin qu’il en puisse avoir contricion et desplaisance. |[351] Quartement, on lui doit dire : « Tu proposes vraiement te amender se tu avoies encore espasse de vivre et toy garder de plus pecher mortellement de propos deliberé, |[352] selon ton pouoir, pour quelque chose, tant te soit chiere, et jusques a la pert de la vie corporelle, devant que tu voulsisses plus offenser Dieu ? |[353] Et, au sourplus, tu le pries qu’il te donne grace de continuer en ce bon propos. » |[354] Quintement : « Tu pardonnes de bon cueur pour l’onneur et la reverence de Nostre Sauveur Jesucrist a tous ceulx que tu as offensé de parolle ou de fait ou d’aucune chose nuysible ? |[355] Et, semblablement, tu demandes et requiers pardon a tous ceulx que tu as offenséz en quelque maniere que ce soit ? » |[356] Sixtement : « Veulx tu les choses qui point ne t’appartiennent estre entierement restituees, ainsi que tu es tenu, selon la valeur de tes facultéz et habandonner tous tes biens jusques a suffisante et vaillable remuneracion. » |[357] Septiemement : « Croy tu pas que Jesucrist est mort pour toy et que autrement tu ne peux estre sauvé sy non par le merite de sa passion ? Et, de cecy, tu en rens graces a Dieu tant come tu peux ? » |[358] Quiconques donc pourra respondre par affirmacion, de bonne conscience et de foy non fainte a celles interrogacions, tu auras evidente et claire congnoissance que, se la creature s’en va, que elle est du nombre des sauvéz. |[359] Et, se ainsi advient qu’on ne soit interrogué d’aucune des choses dessus dictes, comme il soit ainsi qu’il est pou de gens qui aient l’art ne l’instruction de ceste doctrine, |[360] il doit retourner en luy mesmes en soy interrogant soubtillement et en considerant s’il est bien disposé aux choses permises, car, certainement, sans celle disposicion, nul ne peut estre sauvé. |[361] Et, s’aucun eest disposé ainsi qu’il est dit, se recommande du tout et commette en la passion de Jesucrist en tant comme il peut et que sa maladie souffrira, et qu’il en ait continuelle memoire, |[362] car, par icelle, toutes les tres grandes temptacions du dyable sont convaincus et sourmontees. |[363] Aprés, selon le dit de saint Gregoire : Omnis Christi actio nostra dicitur instruction, c’est a dire que « Toute l’operacion de Jesucrist est dicte nostre instruction ». |[364] Pour icelle cause, les choses que Nostre Seigneur Jesucrist a faictes, [v°] mourant en la croix, le malade estant en la luyte de la mort doit par exemple ensuyr en tant comme il luy est possible. |[365] Et dois savoir que Nostre Seigneur Jesucrist a fait en la croix cinq choses. |[366] Car, tout premierement, il pria, car il profera ces pseaulmes : Deus, Deus meus, respice in me, et les autres huyt jusques a ce vers : In manus tuas, et cetera. |[367] Secondement, il cria. Tiercement, il commanda son ame a son Pere. Quartement, il ploura en la croix, ainsi que tesmoigne l’Apostre. Quintement, il bailla son esperit, ainsi que tesmoignent les Evangelistes. |[368] Vecy les choses lesquelles le malade constitué en l’article de la mort doit faire, a l’exemple de Juscrist, c’est assavoir prier et, s’il ne le peut faire de voix, au moins le doit il faire de cueur. |[369] Et, pour ce, dit Ysidore : Melius est cum silencio orare cordis, sine sono vocis, quam solum verbum exprimere sine intuitu mentis, |[370] c’est a dire que « C’est meilleure chose prier Dieu avec silence de cueur, sans son de voix, que seulement mettre et exprimer la parolle par dehors sans le regard de la pensee ». |[371] secondement, il doit crier fort de cueur et non pas de voix, car crier de cueur n’est autre chose que la remission des pechiéz et fort desirer la vie eternelle. |[372] Tiercement, il doit plourer, non pas des yeulx charnelz mais par larmes de cueur, c’est assavoir en aiant vraie repentance. |[373] Quartement, il doit recommander so name a Dieu, disant : In manus tuas, et cetera. |[374] Quintement, il doit bailler son ame et voluntairement mourir en conformant sa voulenté a la voulenté divine, comme il appartient. |[375] Aprés, tant comme la créature estante au mourir aura usage de raison et que elle pourra parler, die ces oraisons ensuyvantes : |[376] O summa Dei immensa bonitas, clementissima et gloriosissima Trinitas, summa dilectio, amor et caritas, miserere michi, miserrimo peccatori. Tibi enim commendo spiritum meum. |[377] En ceste oraison, tu dis a Dieu en ceste maniere : « O haultesse souveraine et bonté de Dieu, tres glorieuse et clemente Trinité, aies mercy de moy, povre pecheur, car certainement je te commande mon esperit ». |[378] Aprés die ceste oraison ensuyvante : Deus, Deus meus, piissime Pater misericordiarum, fac huic paupercule creature tue misericordiam, adjuva eam nunc et in utltima necessitate, succurre, Domine, [c iii r°] egenti anime et desolate ut non a canibus infernalibus devoretur. |[379] En ceste oraison, tu requiers : « O mon Dieu, tres debonnaire Pere de misericorde, fay a ta povre creature misericorde et luy aide maintenant au derrain de sa necessité. O Seigneur, donne secours a l’ame desolee et souffreteuse affin qu’elle ne soit des chiens infernaulx devoree. » |[380] Item die ceste oraison qui ensuyt : Dulcissime et amantissime Domine Jesucriste, fili Dei vivi, ob honorem et virtutem tue beatissime passionis, jube me, famulum ttum, recipi inter numerum electorum tuorum. |[381] En ceste oraison, tu pries et ditz : « O tres aymé et doulx Seigneur Jesucrist, filz de Dieu, pour le vertu et honneur de ta tres benoiste passion, commande que ton serviteur soit receu entre le nombre de tes benoistz esleus. |[382] O Sauveur et Redempteur Jesus, je me rens a toy, ne me veulles pas refuser ; je viens a toy, ne me veulles pas debouter. » |[383] Item die : « O Sire Jesus, je requier ton paradis non pas pour al valeur de mes merites, car je suis cendre et pouldre et tres miserable pecheur, |[384] mais en la vertu et efficace de ta tres saincte passion, par laquelle moy meschant as voulu racheter et, par l’effusion de ton sang, as voulu que j’aye paradis. » |[385] Item die plusieurs fois ce verset : Dirupisti vincula mea, Domine, tibi sacrificabo hstiam laudis et nom Domini invocabo, |[386] c’est a dire : « O Sire, tu es celuy qui a rompu tous mes lyens, c’est assavoir tous mes pechéz, et, pour ceste cause, je veul a toy sacrifier sacrifice de louenge et invoqueray le nom de Nostre Seigneur. » |[387] Ce vers, selon le dit de Cassiodore, est de sy grant vertu que tous les pechiéz de l’omme sont pardonnéz s’il le dit trois fois avec confession et recongnoissance de ses deffaultes. |[388] En aprés die : « O Sire Jesus, pour la tres grande amertume et angoisseuse passion que tu as soustenue pour moy en la croix a celle here que ta tres beneuree ame yssit de ton corps, ayes pitié de mon ame a son yssue. » |[389] En aprés aussi, invoque et appelle instamment de cueur et de bouche, en tant qu’il t’est possible, la glorieuse Vierge Marie, prompte moyenne et ayderesse de tous pecheurs, en disant : |[390] « O Royne des cieulx, Mere de misericorde, Refuge des pecheurs, reconsilie moy a ton seul filz, |[391] demande pour moy, indigne pecheur, la cle[v°]mence et bonté d’iceluy et que, pour l’amour de toy, il me pardonne mes pechiéz. » |[392] Mais, pour ce que plusieurs sont qui nullement ne veulent rien ouÿr de la mort aucune fois, selon le dit d’aucun docteur Chancelier de Paris, souvent advient |[393] que, par une telle vaine et faulse consolacion et fainte santé et confidence de corps, la creature encourt moult souvent en perpetuelle dampnacion. |[394] Affin qu’il ne adviengne en ceste maniere, le malade ou enferme doit procurer la santé de son ame par vraie contricion et pure confession. |[395] La quelle chose pourra moult valoir a son salut, car, par telz choses, il en sera plus paissible et plus sceur. |[396] Combien qu’il soit ainsi, selon le dit saint Gregoire, que vraie contricion ne convient sy non a pou de gens, |[397] touteffois, selon saint Augustin, au quart des Sentences, et les autres docteurs, penitance suffisante de salut est en ceste maniere, |[398] principalement a ceulx lesquelz en tout leur temps ne garderent onques les commandemens de Dieu et de l’Eglise ne leurs veux voluntaires raisonnablement ne veritablement, mais seullement par maniere fainte les ont gardéz. |[399] Pour celle cause, a ung chacun en l’article de la mort est a estre dit que, selon la possibilité, par raison des merites, labours a vraie et ordonnee penitance. |[400] C’est assavoir que, non obstant la douleur et la crainte en luy estante, qu’il use de raison en tant comme il peut |[401] et aussi s’efforce avoir desplaisance voluntaire pour la fin laquelle est deue, c’est dire pour l’amour de Dieu, |[402] et delaisse, pour l’amour de luy, l’effect a sa propre inclinacion et delectacion des choses precedentes et laboure a discipline en tant qu’il pourra, combien qu’elle soit briefve. |[403] Et, affin qu’il n’entre en desesperacion, luy soient proposees les choses qui sont diectes en la seconde partie.

|[404] La quinte partie est des exhortacions.

|[405] Semblablement, maintenant, luy soit admonesté contre les autres temptacions aucunes exhortacions ensuyvantes, c’est qu’il soit fort en courage a resister vertueusement en l’encontre, combien que le dyable ne le puisse en aucune chose contraindre. |[406] Aprés luy soit admonnesté qu’il se rende a Dieu comme vray et loyal chrestien. |[407] Et, avec ce, est besoing de savoir s’il est point lyé et detenu au lyen de excomunicacion. |[408] En aprés luy soit exhorté que, en tant qu’il luy est possible, de toutes ses forces se submette en l’ordonnance de nostre Mere [c iiii r°] saincte Eglise affin qu’il soit absoulz. |[409] Et, s’il est ainsi que celuy qui est a mourir congnoisse qu’il ait longue espasse de temps et qu’il ne soit opint hasté de la mort, |[410] les devocions, histores et legendes luy sont a estre leues devant luy d’aucun des presens, aux quelles il se delectoit et prenoit plaisir quant il estoit en santé. |[411] Et, pareillement, les commandeemens de Dieu luy sont a estre mis en sa memoire affin que plus parfondement il mette en eulx sa pensee et qu’il congnoisse s’il a point contre eulx negligamment ouvré. |[412] Et, se l’enferme a perdu l’usage de parler, touteffois luy soit exhorté qu’il ait sa pensee entierement entendante a celles interrogacions ou oraisons lesquelles luy sont recitees |[413] et qu’il en face quelque signe par dehors qui donne a congnoistre, par dedens le signe, du consentement de son cueur, car ces choses sont moult certaines pour son salut. |[414] Touteffois, il est convenable qu’on ait ceur et soing que celles interrogacions soient faictes devant que les enfermes aient perdu l’usage de parler, pourtant qu’il se puisse faire. |[415] Et, se on apperçoit que celles interrogacions ne soient suffisantes au malade et ses responses agreables aux interrogans et qu’on apparçoive qu’ilz ne luy valent rien pour nul remede de salut, |[416] luy soit maintenant proposé et mis devant luy aucune chose en la melleure maniere qu’il pourra estre fait. |[417] Aprés donc, luy doit estre declairé et manifesté le peril de dampnacion lequel il encourt, non obstant qu’il en ait paour et grant terreur, |[418] car c’est plus juste chose et mieulx vault qu’il soit point de terreur et de paour salutaire et qu’il soit sauvé que qu’il feust dampné par blandissemens de parolles et nuysible dissimulacion. |[419] Et de cecy nous avons exemple en YsaPie le prophete, lequel denonça a Ezechiel roy qui estoit malade jusques a la mort, salutairement luy admonnestant et donnant terreur et luy faisant paour en disant qu’il mouroit, et touteffois il ne devoit pas mourir. |[420] Car sachez certainement que c’est une chose moult contraire a religion chrestienne et chose trop dyabolique que le peril de la mort et de l’ame soit muchié a home chrestien qui est a mourir affin qu’il ne soit troublé de paour humaine. |[421] Item soit presenté au malade l’ymage du Crucifix, lequel doit tousjours estre envers les malades, ou celuy de la Vierge [v°] ou d’aucun autre saint que il honnoroit quant il estoit en santé. |[422] Et, avecques ce, soit l’eaue benoiste la, de laquelle le malade soit aspergé souvent et mesmement les autres avec luy affin que, pour la reverence et vertu et dignité d’icelle, les dyables ne puissent au malade faire aucune violence. |[423] Et, s’il est ainsi que la briefveté du temps ne puisse souffrir que les choses devant dictes puissent estre declarees, adonc l’en doit proposer les oraisons qui s’adrecent a Nostre Sauveur Jesucrist. |[424] Et n’appartient point que les amys charnelz, comme sa femme, ses enfans, ses richesses et autres choses temporelles soient ramenéz en memoire au mourant sy non en tant que la santé espirituelle du malade le demande et requiert. |[425] Mais sache chacune creature que, en ceste matiere de extreme necessité et derraineté, qu’il est requis |[426] que les singuliers pointz et sentences soient subtillement pensees et sagement considerees selon ce qu’il est contenu au Livre de la theologienne verité. |[427] Aprés que ces choses devant dictes ont esté suffisamment dclairees, maintenant il est a dire que, s’il plaist a aucun bien eet sceurement, voulentiers et sans peril, mourir, |[428] il doit avoir tres grant soing et tres grande curiosité, tant comme il est en santé, d’apprendre et d’estudier la science de bien mourir selon ce qu’il est determiné devant, |[429] affin qu’il n’ait piunt cause d’avoir paour ne crainte a l’entree de la mort. |[430] Car je te dy certainement, tres chier frere, que, se de la mort ou d’aucune greifve maladie tu es en voulenté et que tu soies bien disposé de mourir, |[431] que, de tant plus que tu la desireras et te vouldras tenir pres d’elle, de tant pus s’eslongnera de toy. |[432] Se donc tu ne veulx point estre deceu ne errer et tu veulx estre sceurement, fay sans cesser la chose laquelle tu peux faire tant comme tu es sain et que tu as usage de raison bien disposee, affin que tu puisses estre en temps seigneur de tes choses, c’est a dire de tes sens. |[433] O que plusieurs et infini nombre se sont deceus pour ce qu’ilz ont esté negligés de eulx preparer pour entendre a leur derraine necessité ! |[434] Pour ceste cause donc, frere, eschive, s’il te plaist, qu’il ne te adviengne en ceste maniere, car a nul ne doit sembler ou estre veu chose incongrue et esmerveillable, |[435] de si grande et soubtille vure et songneuse disposicion et exhortacion ou [c v r°] plaine de sy grant estude que on ne doie ux mourans declarer les choses devant dictes. |[436] Car sachéz de certain que telle force et telle necessité est baillee a iceulx, avec l’angoisse de la mort dont ilz sont succumbéz, |[437] que, s’il estoit possible, toute la cité devroit joyeusement convenir et se assembler au mourant affin que, par eulx, il peust prendre aucune petite, joyeuse et salutaire exhortacion |[438] et comme, en d’aucunes religions, la ocustume est que, quant le malade approche de sa mort, incontinent qu’ilz sonnent une cloche, en quelque heure que ce soit, |[439] tous les freres laissent toutes choses et y accourent et en sont fort songneux pour aider et secourir au malade qui veult mourir. |[440] E, pour ce, est il communement dit que religieux et femmes ne doivent point courir sy non pour deux choses, a cause de l’onnesteté de leur estat, c’est assavoir au feu et au mourant.

|[441] La sixiesme partie est des oraisons faictes sur les mourans.

|[442] Il est aprés assavoir que les oraisons ensuvantes peuent estre dictes sur le malade labourant en la bataille de la mort, lequel, s’il est personne de religion, |[443] selon ce qu’il est acoustumé, soit le couvent appellé et soient dictes les pseaulmes accoustumees et la letanie ordinaire soit chantee avecques les oraisons. |[444] Et, aprés ces choses faictes, se il vit espasse de temps suffisant, ces oraisons ensuyvantes soient enjointes d’aucun de ceulx qui sont presens, selon ce que l’opportunité du temps leur dourra espasse. |[445] Lesquelles choses soient reïterees par plusieurs fois pour esmouvoir le malade a devocion se il a usage de raison. |[446] Et, combien qu’il ne soit point de necessité de salut, touteffois, ilz peuent estre dictes pour le proffit et devocion du malade labourant et bataillant au destroit de la mort. |[447] Aussi envers les seculiers enfermes celles oraisons soient dictes selon que la disposicion et commodité d’iceulx et des assistens le requiert et que le temps le permet. |[448] Mais, helas, il est trop pou de gens, non pas seullement entre les seculiers mais en plusieurs religions, ayans la science de ceste doctrine, |[449] qui veullent approcher constamment de leurs prochains en l’article de la mort en les interrogant et admonnestant de leur salut et en les informant [v°] et pareillement en priant pour eulx, aussi qu’il est dit devant, comme il doit estre fait, |[450] et, a ceste cause, par defaulte de amonicion salutaire, ne veullent consentir a la mort. |[451] Et les ames des mourans, en ceste maniere, perissent et s’en vont miserablement.

|[452] Ensuyvent d’aucunes oraisons tres devotes.

|[453] O tres misericordieux Createur, qui a voulu de la charité paternelle ton tres digne filz estre fait homme qui a voulu mourir et estre vulneré pour le salut de l’omme, |[454] ottroie a ton serviteur et pardonne tout ce en quoy il a defailly par pensee, par parolle, par fait, par affection ou par les vertueux mouvemens des sens, de l’ame et du corps, |[455] et luy donne en remission celle tres suffisante emendation de laquelle tu as effacé les pechéz de tout le monde. |[456] Et, avec ce, adjouste celle tres saincte conversacion que tu as eue dés l’eure de ta concepcion jusques a celle de ta mort, |[457] laquelle luy soit en plaine aide de toutes ses negligences et pareillement de toutes les bonnes œuvres de tous les benoistz esleus depuis le commencement du monde jusques en la fin |[458] qui, en union de tres ardent amour lequel t’a contraint, toy qui es vie de toutes choses vivantes, estre incarné et, en engoisse de ton esperit, en charité estre mort. |[459] Nous sonnons et cryons a la doulceur souefve de ton cueur que tu delaisses tous les pechiéz de l’ame de nostre frere |[460] et supplie pour icelle par ta tres saincte conversacion et le merite de ta tres digne passion aux choses qui luy pourroient estre nuysibles |[461] et luy fay avoir certaine experience de la tres habondante multitude de ta misericorde, et nous et especiallement nostre frere, lequel tu disposes appeler prochainement, |[462] par ta tres plaisante maniere et tres proffitable université avc doulce pacience, vraie penitance plaine de remission, en foy droite, en ferme esperance et charité parfaicte. |[463] Et donne qu’il expire en parfait estat entre ton doulx embrachement et tres souef baisier a ta louenge eternelle. |[464] O Pere tres saint, Pere tres juste, Pere tres aymé, nous commandons l’esperit de nostre frere aux mains de ta benoiste misericorde selon al grandeur de ton amiur par lequel ton filz devotement te commanda son ame en croix, |[465] deprians humblement que, par celle charité par laquelle [c vi r°] ta divine paternité attrayt a soy toute celle tres saincte ame, |[466] que tu reçoives l’esperit den ostre frere, ton serviteur, en ceste derraine heure, en l’onneur d’icelle amour de laquelle tu as aymé l’ame de ton benoist et tres aymé fils. Amen. |[467] A saint Michel, archange de Nostre Seigneur, secour nous envers le tres Hault et Souverain Juge. |[468] O batailleur victorieux, soies maintenant present a ton serviteur, nostre frere labourant en extremité de mort, et le deffent puissamment du dragon infernal et de la fraude de tous mauvais espiritz. |[469] Avzec ce, nous te prions, tres beau et honnorable ministre de la souveraine Deïté, que tu reçoives doulcement et benignement entre tes mains l’ame de nostre frere en ceste heure derraine et que tu le maynes en lieu de refrigeracion, de paix et de repos. Amen. |[470] O glorieuse Vierge Marie, Mere de Dieu et eternellement aide de toute angoisse, de toute misere et de toute necessité, |[471] secour nous doulcement et monstre a ton serviteur, nostre frere, ta gracieuse face en sa derraine necessité et espart tous ses ennemys en la vertu de ton filz, Nostre Seigneur Jesucrist, et en la vertu de sa saincte croix, |[472] et le delivre de toute angoisse de corps et de ame affin qu’il donne louenge a Nostre Seigneur au siecle des siecles eternellement. Amen. |[473] Helas, mon trs aymé Redempteur, tres debonnaire Jesucrist et tres doulx et begnin Sire, par celle voix larmoiante, mourant pour nous en la croix en ton humanité avec douleurs et labours de ta passion par lesquelles ta vie humaine fut consumee, |[474] nous te prions que tu n’eslongnes pas l’aide de ta pitié de ton serviteur, nostre frere, en ceste heure de sa mort |[475] mais, par la victoire et triumphe de ta saincte croix et par la vertu de ta tres salutaire passion et de ta mort amoureuse, remembre toy de l’affliction de son ame pour la defection et consumpcion de son esperit lequel ne te peut appeler en ceste extreme et derraine heure |[476] et pense de luy congitacions de paux, et non pas de afflictions, de misericorde et de consolacion |[477] et la delivres de toutes angoisses et la reçoy de tes tres debonnaires mains, lesquelles tu as voulu estre fichees en la croix de cloux tres agus. |[478] O bon Jesus et tres doulx Perre, oste icelle des tourmens a celle deputéz et la mayne et conduy en [v°] eternel repos avecques voix de exultacions et de confession. Amen. |[479] O tres misericordieux Dieu, Sire Jesus, filz de Dieu le vif, en l’onneur d’icelle commandacion en laquelle tu commandas ta tres saincte ame, mourant en croix, a ton Pere celestiel, |[480] nous commandons l’ame de ton serviteur, nostre frere, a ta pitié inenarrable, deprians ta tres misericordieuse bonté, |[481]et, avec ce, par tout l’onneur et le merite de ton ame tres saincte par laquelle toutes autres ames sont sauvees et delivrees de mort, |[482] que tu ayes pitié de l’ame de ton serviteur, nostre frere, en la delivrant misericodieusement de toutes miseres et paines |[483] et que tu la maynes, par l’amour et intercession de ta benoiste et tres doulce mere a ontempler la gloire de ta tres joyeuse vision.

|[484] Ensuyvent aucunes autres exhortacions faictes aux mourans.

|[485] Selon ce que dit le glorieux apostre de Dieu monseigneur saint Pol, Sine fide impossible est placere Deo, c’est a dire que « Sans foy, il est impossible de plaire a Dieu ». |[486] Pour ce, l’ancien ennemy, le dyable d’enfer, ayant congnoissance icelle foy estre la pierre du fondement de l’Eglise et la naissance de toutes vertus, |[487] il s’efforce de l’impugner et assaillir en moult de merveilleuses manieres, ocmme par faulses opinions et erronees ymaginacions. |[488] Et, celuy qu’il ne peut dejecter de la stabilité et fermeté de la foy, touteffois, il se met en fait de le pertroubler sans relache par faulses industries et dolositéz. |[489] Par quoy, a ses temptacions et machinacions, il est a obvier et a aller en l’encontre cauteleusement et espirituellement, |[490] c’est assavoir mettre en nonchaloir toutes les fantasies, ymagnacions, choses erronees plaines de venin, blasphemes et toutes choses veues et ouÿes par sa faulseté et les porter paciamment et esperer fort en la misericorde de Dieu, |[491] car, comme il est escript, les cogitacions des hommes sont vaines et moult diverses et ainsi comme infnies. |[492] Pour icelle cause, l’home ne doit pint se joindre ne se unir ne arrester ne discuter ne enquerir les causes pour quoy il souffre et soustient telles fantasies et telles eurres imp[d i r°]gnantes et batailantes encontre la foy et toutes bonnes meurs, |[493] car de tant que aucun s’arreste plus aux choses erronees, c’est a dire plaines d’erreurs dyaboloqes et faulses sugestions, en voulant les excecuter et experimenter, tant plus tost se nourrit il en erreur et en ennuy de pensee. |[494] Mais, pourtant, pour telles choses contraires, l’omme ne doit pas oultre mesure enquerir ne blasmer ne celles ymaginacions imputer absolutement et determinement a sa defaulte, car c’est temptacion au regard de coupe. |[495] Et, pourtant, a tout loyal, la temptacion de ces choses est du tout en tout contre sa voulenté et a luy moult desplaisante |[496] et, pour ce qu’lle luy est paine, elle ne luy est reputee a aucun pechié mais luy est purgacion de son ame, enforcement de pacience, action et effect de humilité, instigacion et esmouvement a esperance de la vie eternelle. |[497] Car saint Augustin dit, au livre De Vraie religion : Omne enim paccatum est voluntarium et, si non sit voluntarium, non est peaactum, |[498] c’est a dire que « Tout pechié est voluntaire et, s’il n’est voluntaire, c’est a dire se la voulenté ne s’y consent, ce n’est pint pechié ». |[499] Et, pour ce, dit Isidore : Qui, passionibus anime insidiante, adversario cruciatur, non idcirco se credat alienari a Christo, qui talia patitur, sed magis laudet Deum, qui hujus virgule corrigit ipsum ut spiritus salvus fiat, |[500] c’est a dire que « L’ame laquelle est tourmentee par les passions de l’esperit adversaire, qui toujours l’espie, ne doit point ymaginer pourtant estre estranger de Jesucrist, s’il seuffre qu’elle les porte, mais le doit plus louer pour ce qu’il la corrige de telle verge affin que son esperit soit sauvé », |[501] car sachéz de certain que telle passion est reputee pour vertu a celuy qui la porte. |[502] Et, combien qu’il soit ainsi qu’on soit ignorant et qu’on ne sache pour quel vice ou pour quelle cause on seuffre ces choses, |[503] touteffois, Dieu, qui fait son soleil luyre sur les bons et sur les mauvais, le sçait et recommande estre humblement juste et misericordieusement, car le dyable ne peut plus tempter les esleus que la voulenté de Dieu le permet. |[504] Et, s’il est ainsi que, en nous temptant, il nous sert a nostre prouffit cobien qu’il ne le veulle pas, touteffois, sa temptacion sert a l’utilité des saintz, |[505] car les temptacions lesquelles ilz poursuyvent pour [v°] la perdicion de l’omme, Jesucrist les covnertist salutairement en salut et en vertus d’icelluy. |[506] Et soies certain que jamais nostre adversaire n’est vacant qu’il ne soit toujours prest de grever l’omme en esmouvant vers luy grans assaulx de temptacions |[507] ou par tribulacions de cueur lesquelles il luy fait porter ou par douleurs de corps lesquelles il luy fait souffrir. |[508] En aprés aussi, la force malicieuse des dyables souvent tourmente la pensee du jste de diverses douleurs tant que, aucune fois, il est contraint d’encheoir jusques en desesperacion pour la tres grande angoisse qu’il sent. |[509] Mais, quant l’ame demeure en la crainte et amour de Dieu, celle douleur et angoisse luy prouffite moult, |[510] car, de quelconque maladie ou angoisse de quoy elle soit tourmentee, elle n’est pas pourtant de Dieu separee mais conjointe et en son amour preservee. |[511] Et, ja soit ce que l’omme juste seuffre en son ame plusieurs choses adverses par l’instigacion et esmouvement du dyable, touteffois, il ne le peut faire perir de la vie eternelle pour toutes ses machinacions, |[512] car le Seigneur debonnaire ne repute jamais a dampnacion de couppe la chose laquelle il seuffre par la permission de sa divine Majesté, ce qu’il ne voulsist point. |[513] Et, pour ce, nous ne pechons point se ce n’est par la couvoitise de nostre desir ou se nous ne flechisson au delict et voluptuosité, |[514] car ce en quoy nous somes amenéz par violence et contre nostre voulenté nous est seulement paine et misere et non pas couppe ou pechié. |[515] Et, pour ce, dit Isodore que « Aucune fois, il semble a celuy qui est tempté que telle desloyaulté ou doubte n’est pas petite couppe laquelle il estime par ollusion des dyables qui mettent paour avec luy ». |[516] Et, combien que telle doubte ne soit point de la foy, la quelle doubte est couppe voluntaire ou au moins ignorance affectee et sans cause laquelle contient plus erreur que verité. |[517] Et, comme il soit         ainsi que foy soit habit de l voulenté, c’est a dire que tu crois par foy et croire c’est croire ou esperer est esperer et non doubter est non doubter. |[518] Pour ce dit l’Apostre : Corde creditur ad justiciam, c’est a entendre que « Ta voulenté est en ton cueur et, ce que ton cueur croit de bien, il est reputé a justice », |[519] car en la [d ii r°] voulenté laquelle ne peut estre contrainte gist tout le merite ou desmerite, c’est a dire bien ou mal. |[520] Touteffois, la pensee est aucune fois obfusquee en telle maniere que aucun ne peut congnoistre sa voulenté, mais, pourtant, on ne se doit troubler, |[521] car les bonnes œuvres preuvent la voulenté estre bonne et les mauvaises œuvres prouvent la voulenté estre mauvaise. |[522] Mais, aucune fois, les mauvaises œuvres presument estre bonnes jusques a ce que raisonnablement ilz soient congnues estre mauvaises. |[523] Et, s’i ladvient que celle temptacion devant dicte soit en toy, offrant a ta pensee choses faulses pour vrayes, et qu’elle te trouble continuellement, |[524] tu dois, par maniere de adjuracion et de accersion contraire, exprimer et declairer ta foy par ta bouche encontre la temptacion couverte, cauteleuse et soubtille. |[525] Et, se sains iest que ta congnoissance ne s’y consente, il est escript : Ore autem confessio fit ad salutem, c’est a dire que « La confession laquelle est faicte de la bouche est au salut ». |[526] Car, de certain, nul n’est deceu des falaces de l’ennemy adversaire qui deliberement et appertement est trouvé en icelles contrediseur tant en fait qu’en parolle. |[527] Et, pourtant donc, l’enemy est moult debile qui ne peu vaincre sy non le voulant et la voulenté deliberee. |[528] Non pourtant, nul ne doit en telles choses enquerir le quel voit les ennemys tempter diversement les eslus de Dieu, car le dyable congnoit et espie la prompte inclinacion de la complexion d’un chacun. |[529] Et, celuy qu’il voit trop enrousé d’umer melencolique, iceluy ennemy le travaille et pertrouble merveilleusement de temptacion espiritelle, |[530] car, comme les docteurs parlans des choses naturelles dient, la fumee de noire couleur passante jusques au cervel parvient au lieu de la pensee et luy obscurcit et trouble sa lumiere en telle maniere que l’ame ne sçait rien juger ou discerner. |[531] Telz donc sont tristes et craintifz et, sans cause raisonnable, faitz pusillanimes et de petite courage et maigres de ocmplexion, |[532] mais, pourtant, celle crainte et tristresse ne leur est pas imputee a couppe, car ce leur est paine et contre leur voulenté. |[533] Et souvent sont deceus d dyable, cuidans et ayans en opinions choses faulses estre vrayes, |[534] car, comme j’ay [v°] dit devant, ilz sont empeschéz pour la noire fumee couvrante leur cerveau, c’est a entendre pour leur complexion, qu’ilz ne peuent discerner le vray dy faulx ne la chose certaine de la chose incertaine. |[535] Et icelluy auldit ennemy considere l’estat d’un chacun. |[536] Et, pour ce, Leon pape dit, en ung sermon de la circoncision Nostre Seigneur : Non desinit hostis antiquus decepcionum laqueos ubi licet pretendere et ut fidem credencium quo modo corrumpat instare, |[537] c’est a dire que « L’ancien ennemy, le dyable d’enfer, ne cesse instamment de tendre ses las de decepcion par tous lieux affin qu’il puisse en aucune maniere corrumpre la foy des creans », |[538] car il congnoit a qui il baille la chaleur de couvoitise, a qui il conseille et enseigne les delectacions de gloutonnie, |[539] a qui il met les incitacions et esmouvemens de luxure et a qui il espant le venin d’envye. |[540] Il congnoit lequel il trouble en erreur, lequel il deçoit par joye, lequel il tue par pensee, le quel il seduyt par admiracion. |[541] Il discerne et congnoit les coustumes de tous, les espart, il en a soing, il espie et enquiert les affections |[542] et, en toutes ces choses, il quiert cause de nuyre en tout lieu et principallement ou il trouve qu’on est ocuppé tres curieusement. |[543] Et, a ce propos, Leon pape dit : Hinc est quod frequenter immittit tantam amaritudinem mentibus fidelium complexionem agitando ac tomorem incuciendo quod vivere eis creditur supplicium et mori lucrum et remedium, |[544] c’est a dire que « L’ennemy d’enfer souvent met tant de amertume et de tristesse aux pensees des loyaulx amys de Dieu en debtant leur complection et metant en eulx telle paour qu’ilz croient vivre leur estre tourment et mourir leur estre prouffit » |[545] et tant que aucune fois pou s’en fault qu’ilz ne se desesperent de la vie du corps et de l’ame, |[546] car a cause de telles sourvenantes temptacions, ilz cuident estre delaisséz et relenquis de Dieu, qui permet ses esleus estre ainsi esprouvéz. |[547] Et est ce qe dit l’Ecclesiastique : Vera figuli probat fornax, homines autem justos temptacio tribulacionis, c’est a dire que « La fournaise esprouve les vesseaulx du potier et la temptacion de tribulacion esprouve les hommes justes » ; |[548] Et Job dit : Probavit me quasi aurum quod per ignem transit qui scit omnes [d iii r°] vias meas, c’est a dire « celuy qui sçait toutes mes voies m’a esprouvé ainsi comme l’or qui passe par le feu. » |[549] Et a ce propos dit l’Apostre : Modicum oportet contristari in presenti ut probacio fidei nostre multo preciosior sit auro quod per ignem probatur, |[550] c’est a dore qu’« Il est necessaire d’estre ung pou troublé en ce present temps affin que la probacion de nostre foy appaire plus precieuse que n’est l’or qui est esprouvé par le feu ». |[551] Et, pour ce, dit l’ange a Thobie : Quia acceptus eras a Deo, necesse erat ut temptacio probaret te, c’est a dire « Pour ce que tu estoies a Dieu agreable, il estoit necessaire que la temptacion t’esprouvast. » |[552] Et, a ceste cause il est necessaire par force espirituelle, c’est assavoir l’amertume devant dicte ou tribulacion envoiee, la porter pacientement en la soustenant humblement |[553] et dire avec ob, par forme et maniere de pacience : Si bona suscepimus de manu Domini, mala autem quare non suscipiamus ? C’est a dire « Se nous avons receu les biens de la mains de Nostre Seigneur, pourquoy ne receverons nous les maulx » |[554] en recordant le merite de pacience en ce present tomps et le louyer de la joye au temps ad venir ? |[555] Prie donc ung chacun avecques Job Nostre Seigneur qu’il n’espargne opint la douleur et die que, se l’ennemy l’a occis, qu’il esperera a son Seigneur. |[556] Et quelle merveille est ce se l’omme mort et meschant est troublé en ce temps present quant le Saulveur de tout le monde, par son Psalmiste, dit de luy mesmes : Anima mea turbata est valde, c’est a dire « Mon ame est tres troublee. » |[557] Et, plus oultre, en son Evangile : Tristis est anima mea usque ad mortem, c’est a dire « Mon ame est triste jusques a la mort. » |[558] Et mesmes, en sa passion, il croit a son Pere, disant Deus meus, Deus meus, ut quid dereliquisti me ? C’est a dire « O mon Dieu, mon Dieu, m’as tu relenqui ? » |[559] Recorde pareillement le dit de Isaÿe le prophete parlant en la ersonne de Dieu : In modico dereliqui et, in momento indignacionis mee, adbscondi parumque faciem meam a te et in misericordia sempiterna miserus sum tui, |[560] c’est a dire « Je t’ay delaissé ung petit de temps et, au mouvement de mon indignacion, j’ay muché ung pou ma face de toy, mais ce non obstant, j’ay eu de toy pitié en ma misericorde sem[v°]piternelle. » |[561] Et, certainement, la chose est moult briefve et de petit mouvement la quelle nous souffrons en ce temps present au regart de la retribucion eternelle qui est misericordieusement esperee et attendue. |[562] Nul donques ne se doit esmerveiller se aucun homme espirituel est tempté espirituellement et ainsi comme singulierement, |[563] car sa bonne voulenté en luy demourante ne souffrira point qu’il soit dejetté hors de foy, d’esprance ne de charité, mais en sera plus ferme, plus constant et plus fort et robuste en toute vertu. |[564] Et, pour celle cause, Nostre doulx Sauveur Jesucrist enseignoit a ses disciples le prouffit et le remede quant il disoit : Ecce Sathanas expetivit vos ut cribaret sicut triticum, |[565] c’est a dire « J’ay vey Sathan lequel a enquis et espié contre vous affin qu’il vous crible comme le fourment. » |[566] Il est a entendre que, ainsi ocmme le bon grain est par le crible esleu du mauvais, ainsi le dyable eslyt les œuvres vertueuses des bons en regardant la maniere comme il les pourra faire perir par le crible de ses fallacieuses temptacions. |[567] Et, certainement, aucun est criblé quant, dedens, en sa pensee, espirituellement et parfaictement, il est examiné. Il est aussi roboré, parfait et enforci quant, par la vertu de pacience et d’oraison devote et salutaire ammonicion de son prochain, il est confermé en bien. |[568] Et, pour ce, s’ensuyt : Ego autem pro te rogavi ut non deficiat fides tua et tu aliquando conversus confirma fratres tuos, c’est a dire « J’ay pour toy prié que ta foy ne defaille point et, pour ce, quant tu l’auras congnu, conferme et conseille tes freres », c’est assavoir tes prochains. |[569] Et, s’aucun est confermé par la monicion de son prochain et qu’il soit parfait en Jesucrist, die ce vers : Quare tristis es, anima mea, et quare conturbas me ? Spera in Deo. |[570] c’est a dire « O mon ame, pourquoy es tu marrie et triste et pourquoy me troubles tu ? Espere e Nostre Seigneur. » |[571] Et, adonc, de rechief, prie et chante de cueur et face les biens lesquelz il peut faire et regarde la saincte Escripture et recorde les parolles des prophetes et mesmes commande et mette en sa memoire les ditz de la saincte Evangile. |[572] Et, s’il est ainsi qu’il ne treuve en ces choses aucune sensible devocion, la soustienne pacientement. |[573] Touteffois, [d iiii r°] ait et mette paine d’avoir celle devocion, la quelle peut suffire pour son salut, car utilement et pour nostre prouffit nous est soustraicte l’actuelle devocion, affin que plus meritoirement soit faicte oraison. |[574] Et, pour ce, dit saint Bernard sur celle cantique : Quesivi et non iveni, et cetera : Abscondit se sponsus dum queritur ut avidius queratur. |[575] C’est a dire « J’ay quis mon espoux et ne l’au point trouvé, car il se muche quant on le quiert affin que par plus grant soing il soit quis. » |[576] Et, a ce propos, dit saint Augustin, au Livre des parolles de Nostre Seigneur : Cum aliquando Deus tardius dat sua bona commendat non negat. |[577] C’est a dire que « Quant aucune fois Dieu donne tart la chose qu’on luy demande, il n’est pas a entendre pourtant qu’il la denye mais il le fait en commandant a garder ses biens lequelz il donne ». |[578] Car les choses longuement desirees sont plus songneusement gardees et aymees et, par raison contraire, les choses qui legierement sont donnees, on les tient villes et non pas chieres. |[579] Et, pour ce doncques, demande. Quier en demandant justes choses et, en querant, cresces, c’est a dire « En requerant, demande chose de valeur affin que tu prennes », c’est a dire « Affin que par demander choses villes, tu ne soies indigne de obtenir ce que tu demandes. » |[580] Car, pourtant, saches que se tu n’as effect de ta demande legierement, icelluy t’est gardé et ne te veult pas Dieu bailler, affin que tu ayes cause de graigneur chose demander. » |[581] Et, pour ce, dit saint Augustin : Tunc sancti melius exaudiuntur quando non ad nutum exaudiuntur. C’est a dire que « Les saintz sont mieulx essaucez quant ilz ne sont pas du tout a leur plaisir t voulenté essaucez », c’est a dire « incontinent et en la façon ou maniere qu’ilz le requierent ». |[582] Car, au premier temps de la conversion, Dieu donne et ottroie a aucuns devocion de souefveté et de doulceur affin qu’ilz soient convertis en l’amour de Nostre Seigneur et qu’ilz soient plus fermes. |[583] Et, aprés ces choses, il leur soustrait celle devocion de doulceur affin qu’ilz deservent plus de merite et que, en le desservant, ilz soient couronnez plus souverainement. |[584] Et, pour ce, dit le Philosophe : Cum enim virtus consistat circa difficile, illud quod difficilius [v°] acquiritur virtuosius obtinetur. |[585] C’est a dire « Comme il soit ainsi que vertu trouvee envers les choses dificiles, la chose laquelle est acquise plus difficilement, c’est a dire a plus grant paine, est la plus songneusement obtenue et plus vertueusement. » |[586] Car Nostre Seigneur Jesucrist, en enseignant ceste chose, dit a saint Pierre : Cum autem esses junior, cingebas te et ambulabas ubi volebas. Cum autem senueris, extendes manus tuas et alius te cinget et ducet quo tu non vis. |[587] C’est a dire : « O Pierres, quant tu estoies jone, c’est a dire au commencement que je t’appellay, tu te chaingnoies et cheminoies ou tu vouloies, |[588] c’est a dire, pourtant que je te demenoies en ma doulceur, ce t’estoit chose plaisante a ta voulenté et a ta sensualité ; |[589] mais, maintenant que tu es vieulx, c’est a dire que tu congnois ce que tu ne congnoissoies point de moy, tu estendras tes mains et autre te chaindra et menera la ou tu ne veulx point. » |[590] C’est a dire : « Tu souffriras pour moy et seront tes mains estendues en la croix et seras lyé et detenu des lyens de Neron ou de ses ministres et te menera l’en ou tu ne veulx point aller. C’est a dire que, selon ton humanité, tu ne veulx point momurir. » |[591] Et, pour ce dit Dieu a ses apostres nouvellement convertis : Lac vobis potum dedi, non escam, c’est a dire « Je vous ay donné lait et non pas viande. » |[592] Car, au commencement de la conversion des apostres, ilz estoient a estre nourris de lait de doulceur et de devocion, pour ce que, aprés, ilz estoient a estre enforcez de viande de paine et de tribulacion. |[593] Et, come tu congnois que les petis enfans, au commencement, ne sont pas nourris de grosses viandes mais de petites, comme de lait, de choses doulces et tendres de legiere digestion, |[594] et, aprés qu’ilz commencent a croistre et a enforcir, le pain materiel et les autres viandes grosses, lesquelles leur estomach peut porter leur sont administrees, ainsi semblablement estoit il des apostres estans avec Jesucrist. |[595] Car, devant sa passion, ilz estoient nourris de la doulceur de sa personne et de ses belles parolles et aprés eurent les grosses viandes a gouster, comme de fain, de soif, de froit, de chault, de bastemens de leurs persecuteurs, paines, angoisses, travaulx et crudelitez, jusques a la mort, aprés qu’ilz [d v r°] furent enforcéz de la grace du Saint Esperit. |[596] Et, certainement, c’est chose moult doulce et moult souefve d’ensuyr Dieu avec joyeuseté de pensee et avec paix et tranquilité, |[597] mais c’est une chose tres haulte et tres parfaicte d’ensuyr Dieu avec tristesse de cueur par tribulacion de temptacion de foy ou impugnacion et bataille continuele de pensee. |[598] Car a monseigneur saint Pierre l’apostre estoit moult doulce chose d’estre avec Nostre Saulveur Jesucrist en sa joyeuse et glorieuse transfiguracion quant il dit : Bonum est nos hic esse, |[599] c’est a dire « O Sire Dieu, ce nous est chose moult bonne estre tousjours avec toy en ce lieu. » |[600] Mais ce luy fust chose moult dure et moult terrible en sa douloureuse et cruelle persecucion, c’est a dire en la passion, quant il le renya et qu’il dit : Non novi hominem, |[601] c’est a dire « Je vous prometz que je ne congneu oncques celuy homme que vous me dictes. » |[602] Et, touteffois, celuy qui par sa doulceur l’a racheté, par nuyt, a la terreur et crainte d’une chamberiere ; la renyé. |[603] Mais, aprés que le dit monseigneur saint Pierre fut enforcé du Saint Esperit, devant les princes et les roys jusques a la mort l’a fermement confessé et son nom a tous manifesté. Et pour celle passion est engendree en partie la complexion de crainte ; |[604] Et, pour ce, celuy qui a telle complexion paoureuse se doit forment garder que en chose doubteuse il ne demeure longuement et qu’il n’en enquerre trop parfondement en pensant a luy tout seul |[605] mais declaire plainement sa temptacion aux clercz sages et discretz affin que, par le conseil et consolacion d’iceulx, il soit mis en salutaire ammonicion. |[606] Car il est escript : Ve soli quia, si ceciderit, non habet sublevantem, c’est a dire : « Paine et douleur est a celuy qui est seul, car, s’il chiet, il n’a aucun qui luy donne ressourse ne allegement. » |[607] Et, pour ce donc, celuy qui est troublé de temptacion et est craintif et triste de sa complexion, il luy est necessité qu’il s’esjouysse par force et bonne vertu de courage, |[608] car, de tant plus que aucun est contraint et bataille a soy douloir et estre en crainte, de tant plus se doit donner courage de s’esjouyr et consoler. |[609] Et de cecy est il escript : Ibant apostoli gaudentes a conspectu concilii, quoniam digni habiti sunt pro nomine Jesu contumeliam pati [v°] |[610] c’est a dire que « Les apostres s’en alloient esjouyssans de devant le regard du conseil pour ce qu’ilz estoient dignes de souffrir paines et tribulacions pour le nom de Jesucrist. » |[611] Et s’il advient que, par nulle instruction de aucun escript, tu ne sentes aucune consolacion espirituelle, soustien celle tristesse paciamment et humblement et met paine d’avoir et prendre aucune licite et honneste consolacion temporelle |[612] en ensuyvant le conseil de l’Apostre, qui dit : Ne forte ex habundanciori tristicia absorbeatur qui hujusmodi est, c’est a dire « Affin que par trop habondante tristesse celuy qui est en ceste maniere en soit deceu et absorbé », |[613] car ce qui est fait a cause de utilité et prouffit de recouvrer salut n’est point tourné ne tenu a folie ou vanité. |[614] Car caint Gregoire dit que l’ange Sathan invisiblement se transforme en ange de lumiere soubz espesse de bien, admonnestant les pechiéz en couvrant erreurs et choses faulses de couleur de verié affin qu’il puisse advenir a la decepcion des povres ames de Dieu. |[615] Aucune fois, il offre et met en la memoire de l’omme occupé au divin service une doubte de continuelle enqueste de sa conscience et plusieurs autres fantasies |[616] affin que, l’office a luy appartenante, soubz espesse de bien il puisse empescher et troubler sa pensee. |[617] Touteffois, combien qu’il soit escript Omnia tempus habent, selon Salomon, c’est a dire que « Toutes choses ont leur temps », |[618] encore tu dois savoir le souverain et expert remede pour telles fantacies et ymaginacions oster et les espirituelles temptacions estre destruites, car il est necessaire de resister au commencement. |[619] Et, s’il advient que elles t’advient que elles t’assaillent estant en ton oraison, en tant comme il t’est possible ne veulles en aucune maniere t’y arrester ne entendre a icelles. |[620] Aucune fois aussi, il remet en memoire les pechéz desquelz vraie confession a esté faicte et desquelz on a eue dure et amere contricion, en troublant la creature et luy mettant en sa pensee qu’ilz ne sont point pardonnéz, |[621] ou, au moins, il met en doubte celle chose laquelle autrefois elle congnoissoit esetre vraie. |[622] Et iceluy ennemy fait ce par la recordacion et memoire de la confession ou des autres bonnes œuvres en luy presentant une obscurté de petit courage et disposant [d vi r°] crainte en sa pensee et luy mettant en courage de retourner a confession. |[623] Mais, pourtant, il ne le fait pas affin que l’am en soit purgee par icelle confession mais affin que la pensee en soit troublee et par celle doubte soit revoquee et mise hors de transquilité et du bien de paix, car il est esperit tout plain de venin et de pestilence. |[624] Hayant la paix de tout cueur uny et conjoint a Dieu, il appete et demande en son affection amertume de turbacion, a la suggestion et ammonicion du quel il est a resister et contredire soubtillement de ceste part, |[625] c’est assavoir en dissimulant la confession admonnestee de telles doubtes, la quelle est par la suggestion du dyable d’enfer par maniere de temptacion et de paine, et aussi en la delaissant salutairement, combien que la conscience contredie. |[626] Et, combien que la confession du pechié soit utile et necessaire par vray remors et salutaire compunction, |[627] encore vault il mieulx que telle confession admonnestee par la suggestion du dyable d’enfer soit delaissee, car elle pourroit estre infructueuse. |[628] Car telle confession n’est pas delaissee par compnement de religion chrestienne et d’ordonnance ecclesiastique mais par cautelle et soubtilité de temptacion estre delaisse. |[629] Et, combien qu’il soit ainsi que une chose soit congnue estre mauvaise, touteffois toute chose est bonne qui est faicte en bonne intencion, |[630] car la cause pourquoy la chose est faicte et, avecques ce, l’intencion donnent a l’œuvre finale devocion et remuneracion. |[631] Et cecy nous a enseigné Jesucrist quant il fust tempté par la suggestion du dyable d’enfer, en luy disant : « Se tu es filz de Dieu envoyé, laisse toy cheoir de hault en bas. » |[632] Mais, pourtant, il ne le voulut pas faire en ceste maniere, car il eslut a decliner et a delaissser les machinacions et temptacions d’icelluy en descendant par les degrez de discrecion, |[633] nous donnant exemple que nous ne debvons point legierment obeïr a la suggestion du dyable, la quelle il nous baille et presente souvent soubz espesse de bien, |[634] mais nous debvons resister et aller a l’encontre par la voie t degrez de discretion. |[635] Aucune fois aussi, le mauvais esperit faulx et erronique empesche la pensee de l’omme par diverses manieres de vices et de pechiéz fort differens |[636] et, par diverses occultes et [v°] muchees commocions, demonstrant estre chose illicite et pechié la quelle en soy est bonne ou demonstrant la chose estre bonne laquelle en soy est mauvaise ou la chose estre mortelle la quelle en soy est venielle. |[637] Et de telles choses pense la creature que continuellement il appartient estre confessé et, en ces choses, tant plus y met sa pensee et les arreste en sa memoire, tant plus indiscretement se trouble et se deçoit. |[638] Car iceluy ennemy ne quiert et ne demande fors qu’il face paour et trouble la pensee et qu’il l’empesche de bien faire et qu’il forge et institue a la creature conscience plaine d’erreur. |[639] Et mesmes, aucune fois, il contraint plus fort consentir a la conscience erronee et decevable que humblement obeïr a la discrecion et enseignement d’aucun bon conseil, laquelle chose est moult diverse et heretique. |[640] Pour celle cause donc, aucun tempté en telle maniere doit de mettre telle erreur a l’arbitre et determinacion du maistre espirituel et ensuyvir la vérité. |[641] Et, s’il est ainsi qu’il ne veulle humblement obeïr et que telle erreur voluntaire demeure en sa pensee, l’apostre enseigne ung remede en l’encontre, disant : Nolite credere omni sporitui, sed probate qui sunt spiritus Dei, |[642] c’est a dire « Ne veullez pas croire a tout esperit, c’est a entendre a toute p ensee, mais esprouvez les quelz esperitz, c’est a dire lesquelles pensees, sont de Dieu. » |[643] Et, pour les esprouver et savoir, discrecion, mere de vertus, nous est en toutes choses necessaire. |[644] De laquelle saint Gregoire dit en ceste maniere : Discrecio est auriga virtuum ut inter bonum et malum recte dijudicetur ne quis sub specie boni incaute fallatur, |[645] c’est a dire que « Discrecion est mere et adresse de vertus affin que par elle on sache jugier et discerner entre le bien et le mal et que aucun ne soit, soubz espesse de bien, cauteleusement deceu ». |[646] Et dit saint Augustin de l’esperit et de l’ame : Humanus spiritus aliquando bonus aliquando malus spiritus assumitur, nec facile discerni potest qualis spiritus assumatur nisi quia bonus instruit, malus autem fallit, |[647] c’est a dire que « L’esperit humain aucune fois est prins pour le bon, aucune fois pour le mauvais et est chose moult difficile a discerner se du bon ou du mauvais les bonnes pensees nous sont donnees, sy non par ce que le [e i r°] bon instruit et enseigne et le mauvais met paine de decepvoir ». |[648] Et, aucune fois, il admonneste le bien a estre fait affin que plus legierement il seduyse et decepve en son intencion plaine de dolosité. |[649] Pour laquelle cause, il n’est pas bon de croire du tout a soy ne soy arrester a son propre sens, mais on doit plus obeïr a la verité du tesmoing des Escriptures et a reguliere discrecion, |[650] car, pour certain, icelluy ancien serpent eest deceptible, mauvais, fraudulent et decepveur des ames. |[651] Lequel, adonc, quant il apperçoit qu’il ne peut mettre nul erreur de pechié en la pensee par ses decepcions fraudulentes, il s’efforce aucunement la cuyder encliner et flechir par trop grant paour |[652] en luy forgant, disposant et mettant en sa memoire chose faulse et terrible et en luy espandant le venin de sa malicieuse, perverse et cauteleuse iniquité, comme par diverses et differentes ymaginacions, |[653] et, avec ce, s’efforce luy aggraver son enfermeté de intollerable paine. |[654] Et toutes ces choses affin que, par la diversité et varieté d’icelles, il le puisse atraire en aucune |[655] et, par aucun bien commencé, il fazce cheoir et trebucher la creature et qu’il en puisse faire moquerie et derrision. |[656] Il est donc utile, necessaire et convenable que, a toutes ses suggestions et souvenances premieres lesquelles il met en la pensee de chacune creature soubz espesse de bien, qu’on les refuse et resiste |[657] en tant que force humaine le peut faire moiennant la grace de Dieu et que ceste paine de ses ameres temptacions soit humblement et pacientement portee, la quelle il met en la pensee craintive et aussi par luy tourmentee. |[658] Aucune fois, ‘il s’efforce et met paine de grever la creature en son dormir par diverses illusions et erreurs, laquelle il ne peut en veillant faire cheoir en pechié. |[659] Et de cecy dit saint Gregoire, en ses Morales sur Job : Terrebit ne per sompnia hostis insidians quo electos vigilantes minime superat et dormientes gravius impugnat, |[660] c’est a dire que « Le dyable d’enfer espie les eslus de Dieu par divers songes affin que, tant qu »ilz sont formans, il les poingne et face trebucher plus greifvement, les quelz par nulle maniere, tant comme ilz ont esté veillans, il n’a peu surmonter par pechié ». |[661] Et ces choses seuffre et permet be[v°]gninement Dieu, que es cueurs de ces eslus l’ennemy d’enfer ne cesse mettre elles passions, |[662] affin que par le repos de dormir ne soit perdu le louyer lequel leur est appareillé a cause des refus, opposicions et bonnes resistences lesquelles ilz ont faictes en l’encontre d’icelluy ennemy. |[663] O en quantres manieres merveilleuses et diverses l’ame de l’omme lequel craint Dieu est debatue et assaillie, car ce nous tesmoigne ce qui est prins en une hympne, ainsi disant : O serpens tortuose, qui mille per meandros agitas quieta corda, discede, liquesce : Christus nobiscum est, |[664] c’est a dire « O serpent qui point ne chemines par la droite voie, qui debatz et tourmentes les cueurs paissibles par mile manieres de voies obliques et plaines de decepcion, depart toy et te met en fuyte, car Jesucrist est avecques nous. » |[665] O tres mauvais transgresseur de l’amour de Dieu, le signe de la croix condampne ta compaignie ! |[666] O tant c’est chose debonnaire, utile, caritative et salutaire, conforter et renforcer la troublé, le tourmenté, le desolé et relenqui et mesmes le passant par le feu de probacion ou par le fournet de tribulacion |[667] et le mener en refrigeracion et affreschissement de repos et en consolacion contenante esperance de pardon ! |[668] Et, se ainsi est que le torublé de telles persuasions ne puisse obtenir et prendre consolacion mais par longue espace de temps ait deffaulte d’icelle, touteffois ait esperance et croie fermement qu’il doit avoir finablement consolacion espirituelle, |[669] car Bonaventure dit en ceste maniere : O mire benignitatis Altissime, qui nos temptari permittis, non ut capiamur sed et timentes ad te portum tutissimum fugiamus ! |[670] c’est a dire « O tres Souverain de benignité merveilleuse, qui nous permetz estre temptez, non pas affin que nous soions prins et deceus mais affin que nous, qui sommes craintifz, courons a toy qui es port tres sceur ! » |[671] O Sire Dieu, qui fais toutes ces choses en la maniere de la bonne mere laquelle desire veoir et embracher son petit filz eslongné d’icelle, |[672] car elle luy fait avoir paour par aucune chose terrible et espouentable et adonc estent les bras et reçoit son filz accourant pour estre de elle conservé et luy fait joie et rys et luy donne et eslargit moult de doulz baissiers |[673] et puis [e ii r°] l’instruit et exhorte qu’il ne se departe plus d’avecques elle, affin qu’il n’en chiesse en celuy mal par lequel luy pourroit inconvenient venir ! |[674] Aprés le reconforte et de rechief, l’estraingnant entre ses bras, luy administre ses mammelles. |[675] O donc beneuree temptacion laquelle ne contraint point fuyre ne eslongner des embrachemens divins ! |[676] O doulx Sire, qui permetz que nous soions fuitifz en tous lieux et tousjours, tu te donnes a nous, refuge salutaire, affin qu’en tout temps nous demourons avec toy ! |[677] O homme, ne t’esmerveille point s tu as aucunes temptacions mais, se tu les crains, met ta fuyte en Dieu, |[678] car c’est le lieu par lequel tu auras sceurté, ou, se tu n’y fais ton cours, tu pourras estre prins et eternellement dampné ! |[679] Et, se ainsi est que tu congnoisses estre trop eslongné de ton Dieu par tes deffaultes et que tu ne puisses a luy courir de plain cueur et devot, |[680] haste toy de approuchet et tenir pres de Jesucrist et te muche au puis de son destre costé perché pour toy et te couvre du drap de vraie confidence et n’aies doubte que l’ennemy d’enfer ne te fera point de terreur. |[681] Et tien tousjours pour rigle generale que quiconques vouldra incliner Dieu a soy, il doit profondement penser et porter en son cueur les plaies de Jesucrist et qu’il soit tout enrousé de son sang. |[682] Et, s’il est ainsi, il pourra fuyr sceurement et faire son cours a Dieu son Pere et icelluy, tres doulx, le pourverra plainement comme son filz en e qui luy sera utile, necessaire et convenable. |[683] Approuche donc a Jesucrist et le prie humblement qu’il te veulle en son sang renouveller ses plaies, combien qu’il n’appartient pas icelluy Jesucrist encore une fois estre deplayé et vulneré, et qu’il te veulle totalement taindre et vestir en son sang. |[684] Et, se tu es ainsi vestu de ce vestement, tu pourras aller et entrer sceurement au palais du Roy celestiel. |[685] O toy donc, quiconques es tempté, met en ton cueur et pense chacun jour les plaies de Jesucrist et icelles te seront tousjours refrigeracion, joye et consolacion. |[686] Et ne doubtes mais croy fermement que, se tu les metz, emprains et escriptz en ton cueur, que tu ne seras amené ne seduyt a quelconque temptacion. |[687] Mais dy moy qui est celuy lequel veulle ou ose plus de rechief [v°] perpetrer et commettre nuelles defaultes ou pechiéz s’il voit et considere que le Seigneur de gloire est deplayé et vulneré pour noz pechiéz ? |[688] Et, s’il est ainsi que, pour la reverence et compassion d’icelles plaies, il ne delaisse a pechier, au moins s’en drvroit il abstenir |[689] consideront que, se celuy lequel est innoscent en toutes choses a tant souffert, que le pecheur doit souffrir plus griefves plaines, sans nulle compareson. |[690] Et, se tu consideres ces choses en toy et tu congnois que Jesucrist, soit par tes pechiéz, indigné contre toy, adresse et met ton esperance envers sa doulce Mere, advocate des pecheurs, |[691] et luy fay reverence comme a la Mere de Dieu en luy demandant et requerant son aide par pleurs et lamentacions et croy et aies confidence certaines que, se tu perseveres incessamment, que la chose laquelle tu luy demanderas tu l’obtendras. |[692] Et la cause sy est car en icelle croit toute miseracion et pitié. |[693] Et, avecques ce, luy est commis, de son office, donner et satisfaire aux povres et miserables pecheurs quelque chose que iceulx luy veulent demander et requerir. |[694] Et, s’il est ainsi que, par grande diligence, elle excerce et face aide communement envers tous, elle ne te pourra refuser, qui es seul. |[695] Et, se tu vois que quelques consolacion ne te soit donnee, congnoy que Dieu te ayme et te reçoit, mais il ne se veult pas encore manifester ne faire congnoistres, |[696] affin que tu congnoisses l’orreur, la laidure et la profundité de tes pechiéz et que tu ne soies pas ignorant de ta misere, et ceste chose te sera tres grant don de Dieu. |[697] Car saches de certain que la presumpcion d’aucuns ne plaint point a Dieu, lesquelz se reputent justes et qui approchent de Luy, Tres Hault et Souverain, ainsi come ilz feroient de leur familier amy, |[698] mais veult que quiconques, tant soit grant, qu’il soit ainsi comme ministre, se reputant comme rien, et en ceste maniere vienne et se represente devant le regart de Dieu |[699] en recordant la confusion de ses pechiéz, ayant grant crainte et luy faisant grande reverence. |[700] Et, de quelque estat que tu soies, tant soit grant, se nostre Dieu tres debonnaire te veult et daigne regarder de loing, ne le desprise pas, mais repute ce estre grant chose. |[701] Et, pour cecy, confesse de plain cueur la magnitude de Dieu et la pravité et ma[e iii r°]lice de tes pechiéz et dy : « Sire mon Dieu, je ne suis pas digne que tu entres en la maison de ma conscience ne que j’approche de toy en nulle maniere. » |[702] Je te dy que, se tu perseveres sans nulle cesse avoir recordacion de tes deffaultes et, en desplaisance et vraie humilité, tu te approches de luy, esperant de sa misericorde, il ne te verrra pas seulement mais te merra en ses tres secretes joyes. |[703] Laquelle chose veulle donner celuy qui est benoit et tout puissant Seigneur au siecle des siecles. Amen. |[704] Il est a savoir, en aprés, que le dyable d’enfer, avec ses malins esperitz, vient aux homes lesquelz labourent a leur derraine heure, affin qu’il les tempte des articles de la foy plus que de nulle autre chose, |[705] car il ne met pas sy tost en la memoire du mourant la gloire et la joye des richesses ou des delices et autres biens de ce monde pour ce que le malade sçait bien que il ne les peut emporter avec luy, |[706] ne les honneurs pareillement, luy baille les suggestions fraudulentes en l’encontre de la foy, le cuidant decevoir, pour ce que elle est fondement de salut, |[707] affin que, quant le fondement sera destruit, que tout l’autre edifice des autres vertus soit destruit. |[708] Et fait tant que tous ses pechiez luy revoque et met en la memoire affin que, en considerant la multitude et grandeur d’iceulx, il le puisse miserablement tirer en desesperance. |[709] Pour ceste cause, ce n’est pas chose sceure amener en la recordacion de ses pechiez le labourant a la derraine heure de sa fin, |[710] mais on luy doit donner cause de esperer avoir pardon de la divine misericorde, car, a cause de trop grant recordacion de ses pechiéz, il se pourroit dsesperer. |[711] Et, aussi, on luy doit mettre en memoire la passion de Nostre Seigneur et aucuns biens |[712] lesquelz, par la grace de Dieu, il a fais en sa vie et pour lesquelz il peut esperer de la misericorde de Dieu. |[713] Et, pour ce est ce bonne coustume entre les religieux que, quant aucun d’iceulx laboure en l’article de la mort etqu’ilz en ont congnoissance par aucun signe de dehors ; |[714] adonc, les freres, en quelque lieu qu’ilz soient, ou en la table ou en leur lit, se leveront et iront luy mettre en memoire le Symbole qui est chanté en l’eglise, c’est assavoir Credo in unum Deum, et cetera, |[715] et, pareillement, en recordant [v°] l’autre Symbole affin qu’ilz le conferment en la foy, lequel le dyable s’est efforcé le mettre hors. |[716] Telz donc sont en tres grande et merveilleuse angoisse, car les malins espiritz les tourmentent de toutes pars et en toutes manieres |[717] quant ilz recordent et repliquent leurs mauvaises œuvres, leurs ditz, leurs cogitacions, les biens delaissz et les maulx faitz et perpetréz et moult d’autres choses inenarrables. |[718] Et, pour ce, dit saint Augustin : Presto erit dyabolus in ultimo die nostro, recitans verba professionis nostre et objiciens nobis quitquid mal fecimus et in quocumque loco et in quacumque hors et quid puimus facisse et non fecimus, |[719] c’est a dire que « Le dyable d’enfer sera tout appareillé en nostre derrain jour de reciter les paroles de nostre profession, |[720] opposant et improperant les maulx que nous avons faitz en quelque lieu que ce soit et en quelcunque jour et en quelcunque heure et pareillement les biens que nous avons peu faire et nous ne les avons pas faitz. » |[721] Pour ce donc, ung chacun considere qu’il est de faire. |[722] Certainement, le souverain et plus sceur remede en ce est fermement croire sans doubter et esperer en la misericorde de Dieu plus qu’en la misere de tous les homes, |[723] car iceluy Jesucrist dit estre venu non pas pour les justes mais pour les pecheurs. |[724] Et ainsy appert tous les jours que la misericorde de Dieu veille, car il reçoit tous en en sa misericorde. |[725] Et, pourtant, la paine de Jesucrist a plus pesé que tous les pechéz du monde. |[726] Et la justice de Dieu dort, car il ne punit point les pecheurs mais attent affin qu’il leur pardonne. |[727] Et, aprés ceste vie presente, sa justice veillera, car adonc il rendra a chacun ce qui est sien selon ses dessertes et merites. |[728] Mais en quecunque heure que le pecheur se retournera de son pechié tant comme il est en ceste vie presente, il sera sauvé, |[729] car, ainsi comme nous desirons de jour en jour boire et menger, ainsi desire Nostre Seingeur nous sauver. |[730] Et sachéz que la misericorde de Dieu est causee en trois manieres. |[731] Premierement, elle est causee de nature divine, a laquelle c’est chose propre estre misericordieuse. |[732] Secondement, elle est causee de longue acoustumance, car, depuis le commencement du monde jusques a la fin, il ne cesse eslargir et donner [e iiii r°] sa misericorde. |[733] Et, de cecy, dit le prophete David : In eternum misericordia ejus, c’est a dire que « La misericorde de Dieu est sans fin » |[734] Tiercement, elle est causee de sa grant puissance pour ce que Dieu est tout puissant et misricors. |[735] Et, pour ce, nostre Mere saincte Eglise chante de luy en ceste maniere : Deus, qui omnipotenciam tuam parcendo maxime et miserando maniefstas, |[736] c’est a dire « O Sire Dieu, lequel donnes a congnoistre ta grande puissance en pardonnant aux pecheurs et mesmes en ayant pitié. » |[737] Il ne dit pas « Pere de puissance » ou « Pere de science » ou « Pere de justice » mais « Pere de misericorde » et « Dieu de toute consolacion », pour demonstrer et enseigner que nul ne se doit desesperer de sa misericorde et de sa benoite consolacion. |[738] Il est escript que Lucifer a demandé la sapience et la puissance de Dieu et, pour ceste chose, il a esté degetté et plingé au parfons d’enfer. |[739] Adam a demandé la sapience de Dieu et, de ceste chose, il a esté privé et deceu. L’omme aprés la Nativité de Jesucrist, a demandé la misericorde de Dieu et il a eue et possidee come son propre heritage. |[740] Et, pour ce, dit le Psalmiste : Misericordia tua, Domine, adjuvabit me, c’est a dire « O Sire mon Dieu, ta misricorde sera a mon aide. « |[741] Car Dieu dit : Misericordiam volo et non sacrificium, c’est a dire « Je veul misericorde » dit Dieu « et non pas sacrifice. » |[742] Et devéz noter que, devant l’advenement de Jesucrist, quatre choses furent et ont esté a l’omme impossibles. |[743] La premiere est le ciel, car il ne recevoit nulle creature. La seconde est la mort, laquelle devoroit toutes choses et ravissoit les ames en enfer. |[744] La tierce chose estoit Dieu, qui ne reconcilioit point l’omme. La quarte estoit l’ange, lequel n’aymoit point l’omme et ne portoit au ciel nulles des ames des creatures humaines. |[745] Mais Dieu s’est recordé de sa misericorde aprés sa Nativité et, adonc, misericordieusement a moderé toute durté et a fait a l’omme toutes choses paisibles, |[746] car, en Jesucrist, tant et sy grande pitié et misericorde a esté que en icelles a rconsilié l’omme. |[747] Et, pour ce, dit saint Paul : Cum inimici essemus Deo, reconciliati sumus per mortem Christi et placato Christo omnia sunt placabilia, |[748] c’est a dire que « Combien que nous fussons ennemys de Dieu, touteffois nous sommes reconsiliéz par la mort de Jesucrist, le quel appaisé, toutes choses nous sont paisibles ». |[749] Mais, pour [v°] entendre l’excellence de la misericorde de Dieu, tu dois savoir que elle est haulte, profunde et large. |[750] De la premiere, donc, qui est haulte, il est dit qu’elle tent et monte jusques au ciel et fait remunerer les saintz selon leurs merites. |[751] Et, de ceste, est dit par le Psalmiste : Magnificata est usque ad clos misericordia tua, c’est a dire que « La misericorde de Dieu est magnifiee jusques aux cieulx ». |[752] Elle est profunde, car elle est descendue jusques en enfer et en a osté et admené les saintz Peres, qui en le lieu estoient detenus, |[753] selon ce que la Psalmiste nous dit : Misericordia tua magna est super nos et eruisti animas nostras ex inferno inferior, c’est a dire que « La misericorde de Dieu est grande sur nous, car elle a osté noz ames du plus base d’enfer ». |[754] Elle est large et tant grande que elle est estendue par tout le monde, car il est escript au Psalmiste : Misericordia tua, Domine, plena est terra, c’est a dire « O Sire, la terre est plaine de ta misericorde. » |[755] Par ce, on peut considerer que la misericorde de Dieu est sy multipliante qu’elle ne sçairoit estre nombre. |[756] Et, de cecy, dit le Psalmiste : Misericordie ejus non est numerus, c’est a dire qu’« Il n’est point de nombre de la misericorde de Dieu ». |[757] Et, ainsi, come la naturelle proproeté du feu est eschaufer, ainsi est la natuirelle proprieté de Dieu estre piteux et espargner. |[758] Et, pour ce que propre chose est a Dieu estre piteux, aussi estrange chose est a Dieu de punir et chose contre sa voulenté et tardive. |[759] Et, tout ainsi que la mouche a miel a de propre nature et de son office faire le miel et aussi qu’elle point quant elle est molestee et que ce luy est chose estrange, ainsi est il de Dieu. |[760] Quant il donne le miel de sa misericorde, il fait son office et fait ce qui est de sa propre nature. |[761] Pareillement, quant il adjouste l’esguillon de sa justice, il en fait l’office, la quelle chose luy est estrange et contre sa voulenté, car il ne punit pas de legier mais envis. |[762] Et, pour ce, dit saint Jehan Crisostome : Illud quod homo facit contra naturam tarde facite. Sic Dominus facit opus misericordie sue quia illud est secundum naturam suam et tarde punit et invite et cum magno dolore compellitur peccatores dampnare, |[763] c’est a dire que « La chose que l’omme fait contre sa nature, il la fait a tart. Ainsi Dieu fait l’œuvre et envis et est contraint avec grant douleur dampner [e v r°] les pecheurs », |[764] car, de certain, il ne luy fait pas tant de mal de l’offence des pecheurs a luy faicte qu’il luy fait mal que, par leurs desmerites, il soit contraint violentement les perdre et dampner, |[765] car, de sa nature, il veult tous les hommes estre sauvéz. |[766] La misericorde de Dieu, donc, est sy grande que elle est trouvee par tout lieu, car, se nous sommes au ciel, c’est de la misericorde de Dieu, laquelle nous sauve. |[767] Et, a ce propos, le Psalmiste dit : Domine, in celo misericordia tua, c’est a dire « O Sire, ta misericorde s’estent jusques au ciel ! » |[768] Et de cecy dit Isaÿe : Expectat nos Dominus ut misereatur nostri, c’est a dire que « Nostre Seigneur nous attent affin qu’il ait pitié de nous ». |[769] En expurgatoire sa misericorde est nous delivrant. Et de cecy dit l’Ecclesiastique : Liberasti me a pressura flamme que circumdedit me, c’est a dire « Tu m’as delivré, Sire, de l’oppression de la flamme laquelle m’a environné. » |[770] En enfer, sa misericorde y est appaisante, car les pecheurs ne sont punis synon que selon ce qu’ilz ont desservi. |[771] Par lesquelles choses on peut veoir que Dieu n’omblira point a estre piteux et sy ne tendra en son ire eslargie ses misericordes. |[772] Et dois noter qu’il sont trois choses lesquelles Dieu ne peut faire. |[773] C’est assavoir, pour la premiere, qu’il ne peut denyer pardon a celuy qui le demande humblement. |[774] Pour la seconde, il ne peut punir la creature innoscente. Pour la tierce, il ne peut denyer estre misericors et piteux. |[775] Pour lesquelles choses dessus dites, il est appellé en son nom misericors et piteux et juste, selon ce que nous enseigne le Psalmiste quant il dit en ceste maniere : Misericordia tua, Domine, adjuvabat me, consolaciones tue letificaverunt animam meam, |[776] c’est a dire « O Sire Dieu, en toutes choses ta misericorde m’a aidé et tes bonnes consolacions ont esjouy mon ame. » |[777] Car la misericorde de Dieu sauve le condampné quant et ainsi comme il luy plaist. |[778] Et, que ceste chose soit vraie, il appert en Marie Magdalene, laquelle Dieu, nostre doulx Createur, a sauvee par quatre parolles, c’est assavoir : Remittuntur tibi peccata multa, c’est a dire « Moult de pechiézte sont remis et pardonnez. » |[779] Semblablement, il sauva David par trois sillaibes quant il dit : Peccaci, c’est a dire : « J’ay pechié. » |[780] Et dois savoir et entendre [v°] que ces troissillaibes, c’est assavoir Peccavi, valent tant avec contricion que, par icelles, la flambe du cueur monte jusques au ciel. |[781] Pareillement, il a sauvé saint Mathieu par quatre sillaibes, c’est assavoir Sequere me, c’est a dire « Ensuy moi. » |[782] Et, avec ce, il a sauvé saint Pol par cinq paroles quant il dit : Domine, quid me vis facere, c’est a dire « O Sire, quelle chose veulx tu que je faces ? » |[783] Et, aussi, il a sauvé saint Pierre par ung petit de larmes quant il yssit hors de la compaignie des Juifz et qu’il commença a pleurer amerement. |[784] Et, pour ce, dit le prophete : Melior est misericordia tua super vitas, ideo labia mea laudabunt te, c’est a dire »O Sire Dieu, ta misericorde vault mieulx sur toutes les vies des hommes. Pour ce, ma bouche te donnera louenge. » |[785] Et est a noter que trois gerres, c’est a dire trois manieres, de pechiéz sont, qui sont sur tous les autres principaulx, c’est assavoir orgueil, luxure et avarice. |[786] Et du premier, c’est assavoir de orgueil, pecha Saül, qui est dit Paul, lequel en toute et sur toue maniere persecutoit l’Eglise de Dieu. |[787] Et du second, c’est assavoir de luxure, pecha David, lequel commit doublement adultere. |[788] Du tiers, c’est assavoir de avarice, pecha saint Mathieu, lequel estoit changeur, en tendant a avarice par art et desordonné prouffit. |[789] Touteffois, Dieu a esté appaisé par la penitance et contricion d’iceulx en telle maniere qu’il ne leur a pas seullement pardonné leurs pechiéz |[790] mais, avecques ce, merveilleusement les a colloquéz, accumuléz et assembléz en ses dons par sa grant misricorde. |[791] Car Paul, le grant persecuteur de l’Eglise, a fait grant predicateur et porteur de non nom tres loyal ; |[792] David, fornicateur et homicide, a fait prince des prophetes ; |[793] Mathieu, avaricieux et couvoiteux, a constitué apostre et premier evangeliste. |[794] Et, en ces choses, il a demonstré sa misericorde. |[795] Pour ces causes, l’Evangile de Mathieu, les Pseaulmes de David et les Epistres de saint Paul s ont plus souvent leues et recordees en l’Eglise |[796] a demonstrer que la misericorde de Dieu est sy grande que quelconque pecheur, tant soit parfont en coulpe, s’il veult se convertir et emander et requerir humblement la misericorde de Dieu, qu’il ne l’obtienne. |[797] Et, en nulle maniere, le pecheur ne se doit desesperer quant [e vi r°] il considere et qu’il regarde iceulx devant ditz avoir esté telz en coulp |[798] et, aprés, par la misericorde de Dieu, comme ilz ont esté montéz et mis en sa grace en ce siecle present |[799] et, le temps lequel leur estoit ad venir, come ilz ont esté et sont colloquéz en sa gloire. |[800] Et cecy est la cause que David, aprés qu’il eust fait le Psaultier, composa ceste pseaulme, c’est assavoir Miserere mei, Deus, la quelle pseaulme est de remission. |[801] Et icelle a voulu mettre entre les autres cinquantiesme, car ainsi comme l’an cinquantisme ― c’est a entendre l’an jubilé ― est an de remission, c’est a dire l’an par lequel les pechiéz sont pardonnéz, |[802] en ceste maniere et par ceste exemple, les pechiéz venielz sont effacéz de ceulx qui dient ceste pseaulme Miserere mei, Deus avec contricion de cueur et confession de bouche. |[803] Et dois noter que misericorde est en Nostre Seigneur sy grande qu’elle fait venir du ciel a nous celuy qui tant misericordieusement nasquit pour nous. |[804] Et, pour ce, dit Lucas Dieu estre venu a nous pour esperance de utilité, ainsi qu’il est escript : Spiritus Domini eo quod unxit me, c’est adire que « L’esperit de Dieu est venu en terre affin que je fusses oingt de sa misericorde ». |[805] Et, premierement, il est venu pour la consolacion des povres, car il a voulu nasquir povre. |[806] Secondement, pour la guerison et medecine des contritz, c’est a dire des bleciéz par pechié. |[807] Tiercement, pour la delivrance des prisonniers, c’est a dire des ames des saintz Peres et autres detenues en la prison d’enfer. |[808] Quartement, pour l’inluminacion des non enseignéz, c’est a dire de ceulx lesquelz doivent congnoistre les merveilles de Dieu. |[809] Quintement, pour la remission des pechiéz, desquelz doit estre demandee misericorde. |[810] Sixtement, pour faire le paiement de la debte de toute nature humaine. |[811] Septiesmement, pour retribuer le merite de ceulx et celles qui accompliront les commandemans. |[812] En ces choses, donc, est moult declairee la grande misericorde de Dieu, car, selon ce que saint Augustin nous dit : Venit ad nos celestis negociator accipere contumelias nostras et dare nobis honores, subicere pro nobis mortem et dare nobis vitam sempoternam, accipere pro nobis ignominiam et dare nobis gloriam, |[813] c’est a dire que « Le negociateur celestiel est venu a nous pour prendre notre honte [v°] et confusion et nous donner ses honneurs, se submettre a la mort et nous donner vie eternelle, prendre pour nous toute ignomineuseté et reproche pour nous donner sa gloire ». |[814] Et, semblablement, dit saint Gregoire : Christus venit pro nobis in terra natus. Adversa petens, propsera contempnens, opprobria amplectans, gloriam fugiens, nova docens, mira faciens, prava nostra tolleravit, |[815] c’est a dire que « Jesucrist est venu en terre estre nasqui pour nous, endurant choses adverses et contraires, contempnant les prosperitéz, |[816] embrachant toutes opprobres et injures, fuyant toute gloire mondaine, enseignant choses nouvelles, faisant miracles et choses merveilleuses, et toutes noz faultes a portees et soustenues ». |[817] Et, pour ceste cause, dit saint Bernard : Necesse fuit ut Christus ad nos veniret ut, in nos per fidem habitans, illuminaret cecitatem nostram et, in nobis manens, adjuvaret infirmitatem nostram et, pro nobis stans, fragilitatem nostram protegeret, |[818] c’est a dire qu’« Il fut necessaire que Jesucrist vensist a nous affin que, icelluy habitant en nous, enluminast nostre aveuglement |[819] et que, luy demourant avec nous, supportast et aydast nostre enfermeté et, estant pour nous, il deffendist nostre fragilité ». |[820] Et, pour ces causes, dit saint Ambroise : Debent omnes christiani ad Christum confidenter accedere et in ejus misericordia indubitanter esperare, |[821] c’est a dire que « Tous crestiens doivent hardiment et confidentement approucher a Jesucrist et sans nulle doubte esperer en sa misericorde ». |[822] Et dit, aprés, que sa misericorde est sy grande que tous remedes peuent en icelle estre trouvéz. Et la cause sy est pour ce qu’il a soustenu toutes choses pour nous. |[823] Et s’ensuyt, se tu demandes estre gueri d’une plaie, c’est a dire d’aucun pechié estant en ton ame, va a luy, car il est vray medecin. |[824] Se tu es en chaleur par aucune fievre, il est affreschissement et refrigeracion. Se tu es aggravé d’aucun pechié, il est justice. |[825] Se tu es indigent et as necessité de ayde, il est vertu. Se tu es paoureux de la mort, icelluy est vie. Se tu desires le ciel, il en est la voie. |[826] Se tu foys tenebres, il est toute lumiere.  Et, se tu quiers viande, il est nourrissement. |[827] Par lesquelles parolles, tu peux congnoistre que tant et telle est la [f i r°] misericorde de Dieu que nul, en luy se confiant, ne peut en quelque maniere perir. |[828] Pense donc et considere maintenant que ceulx qui sont en enfer aymeroient au monde mieulx une petite espasse de heure affin qu’ilz impetrassent en brief temps la lisericorde de Dieu |[829] en disant tant seulement « Helas, helas, quelz et quantz pechiéz nous avons commis » ou en disant « O Sire, aies pitié de moy, povre pecheur » |[830] qu’ilz n’aymeroient toutes les richesses ou facultéz ou administracions de tout le monde. |[831] Car ilz sçaivent bien que leur confidence laquelle ilz mettroient en Nostre Seigneur les sauveroit, laquelle chose ne feroit pas toutes les possession du monde. |[832] Mais escoute ce que dit saitn Martin au dyable : Si misericordiam Dei humiliter implores, eam eliciter consequeris, c’est a dire « Se tu requerois humblement la misericorde de Dieu, il te la donneroit joyeusement. » |[833] Et, adonc, respondit le dyable qu’il esliroit plustost demourer en enfer perdurablement. |[834] Pour laquelle chose est donné a entendre |[835] que, aux hommes labourans a l’eure derraine et lesquelz sont a mourir, le dyable, en tant qu’il peut, leur met en memoire les suggestions et temptacions de desesperance |[836] affin que, en celle heure, ilz n’esperent point en la misericorde de Dieu. |[837] Et, ainsi, comme le dyable, par sa malice, veult et desire tous les hommes estre dampnéz, au contraire, Dieu, par sa souveraine bonté et misricorde, veult tous les hommes estre sauvéz, |[838] car, certainement, la misericorde de Dieu est greigneure pour nous deffendre que n’est la malice du dyable pour nous dampner. |[839] Et ceste cause est a Dieu moult convenable, car il est appellé Jesucrist, c’est a dire « Roy Salvateur », |[840] car il a fait son peuple saug de leurs pechiéz, c’est assavoir du pechié originel, actuel et veniel. |[841] Et dois savoir que, pour guerir ces pechiéz, Jesucrist a receu pour nous trois manieres de playes. |[842] Premierement la playe du voste, affin qu’il guerist du pechié originel print sa naissance. |[843] Secondement la playe des mains, affin qu’il guerist du pechié actuel, car operacion est signifiee par les mains. |[844] Tiercement la playe des piéz, affin qu’il guerist du pechié veniel, car l’affection et voulenté est signifiée par les [v°] piéz. |[845] En aprés Dieu est appellé Emmanuel, qui vault autant a dire come « Dieu soit avec nous », car il est avec nous generalement par sa puissance, |[846] car il est escript : Portans omnia verbo virtutis sue, c’est a dire que Dieu « porte toutes choses par la parole de sa vertu ». |[847] Il est avecques nous especiallement par grace, car il est escript : Ubi duo vel tres congregati erunt in nomine meo, ibi in medio eorum sum, c’est a dire que « En quelque lieu que deux ou trois seront assemblez en mon nom, je seray au meilleu de eulx » |[848] Il est avecques nous singulierement par union de nature, car il est escript : Verbum caro factum est et habitavit in nobis, c’est a dire que « La parole de Dieu est faicte chair et a habité en nous ». |[849] Et dois noter que ce mot « paroleé est prins pour « le Filz de Dieu ». |[850] Et, quant il dit que elle « est faicte chair », il est a entendre qu’il « a pris nostre humanité ». |[851] il est avecques nous sacramentellement par le delaissement qu’il nous a fait de son corps. Et de cecy, il est escript : Qui manducat meam carnem et bibit meum sanguinem, in me manet et ego in illo, c’est a dire « Qui mengue ma chair et boit mon sang, il demeure en moy et moy en luy. » |[852] Et dois savoir que Dieu, du quel la misericorde est si grande a ceulx qui le craingnent a fait en nous trois œuvres. |[853] La premiere œuvre est quant il ordonna le ciel pour nous donner aspiracion, la terre pour germer fruit, le soleil et la lune poue nour donner lumiere, la mer et l’air pour nous donner nourrisement. |[854] Toutes ces choses a donnees a l’omme, pour lequel ilz sont faictes, et non pas seullement ceulx cy mais, toutes celles que Dieu a eues, il nous les a donnees, |[855] c’est assavoir son royaulme en possession, ainsy que luy mesmes dit : Venite ad me, possidete regnum vobis paratum a constitucione mondi, c’est a dire « Venez a moy et possidéz le royaulme lequel vous est apparillé dés la constitucion du monde. » |[856] Il nous a donné son corps pour refection, car il dit : Caro mea vere est cibus, c’est a dire « Ma chair est la vraie viande. » |[857] Il nous a donné son sang en oblacion, selon ce qu’il est escript : Lavit nos a peccatis nostris in sanguine suo, c’est a dire : « Il nous a lavéz de noz pechiéz en son sang. » |[858] Il nous a donné son ame en redempcion, car il dit : Animam meam pono pro ovibus meis, c’est a dire [f ii r°] « Je metz mon ame pour mes ouailles. » |[859] Il nous a donné sa deïté pour fruicion. Et de ce est il escript ; Hec est vita eterna ut credant te solum verum Deum, c’est a dire « Vecy la vie eternelle a ceulx qui croient toy seul estre vray Dieu. » |[860] En ces choses est la grande misericorde de Dieu congnue et manifestee. |[861] La seconde œuvre que Dieu a faicte en nous est de la redempcion. |[862] Certainement, nostre Dieu a fait toutes choses par nombre, par poix et par mesure, excepté l’œuvre de nostre redempcion, car tu dois savoir qu’en ce il n’a point gardé le nombre, |[863] c’est assavoir qu’il ait donné une goute ou deux ou trois de son sang, combien qu’il fust ainsi que une goutte tant seulement fust et estoit suffisante pour la redempcion de tout le monde. |[864] Ne aussi il n’a point gardé le poix, c’est assavoir qu’il en espandit une once ou une livre tant seulement. |[865] Ne il n’a point gardé mesure, c’est assavoir qu’il en mesurast ung calice ou deux, mais atout baillé en païement. Il a tout donné, il a tout espandu. |[866] Et, a ce propos, dit le Psalmiste : Copiosa apud eum est redempcio, c’est a dire « La redempcion est envers Dieu tres habondante », car il a racheté Israhel de toutes s es iniquitéz. |[867] Ainsi donc, Jesucrist, en nous rachetant, n’a pour luy rien retenu, mais pour nous a tout espandu et luy mesmes pour nous s’est anicilé et anyenti. |[868] Il a esté perché jouxte le cueur pour demonstrer et declairer qu’il a esté en ses benefices franc et large. |[869] Et, ainsi come le vesseau perché ne retient rien, ainsi Jesucrist en nous rechetant misericordieusement n’a pour luy rien retenu. |[870] Il a esté crucifié par les piéz pour demonstrer qu’il a porté le poix de tous noz pechiéz, |[871] car il est escript : Vere langores nostros ipse tulit et dolores nostros ipse portavit, c’est a dire « Certainement nostre Dieu a souffert noz langueurs et iceluy a porté noz douleurs. » |[872] Il a esté aussi estendu en la croix a demonster que sa misericorde et son amour, par lesquelz il nous a rachetez, demourront eternellement, |[873] car l’Apostre dit en ceste maniere : Quis nos separabit a caritate Christi ? Tribulacio an angustia an persecucio ? c’est a dire « Qui sera ce qui nous separera de la charité Jesucrist ? Sera ce tribulacion ou angoisse ou persecusion ? » |[874] Ainsi come s’il voulsist dire et respondre que nulle chose ne nous pourroit [v°] separer de la charité de Jesucrist, |[875] car il est escript : Ecce, ego vobiscum sum omnibus diebus usque ad consummacionem seculi, c’est a dire « Certainement, je suis avecques vous jusques a la fin et consummacion du monde. » |[876] Et en cecy est plus grande misericorde de Dieu. |[877] La tierce operacion est de glorificacion, laquelle sera consummee et acomplie aprés ceste vie presente, |[878] quant nous serons glorifiéz, l’ame avec le corps, et que nous regnerons perpetuellement et eternellement avec Dieu. |[879] Et adonc sera jour sans nulle nuyt, umiere sans tenebres, joyes sans fin, ainsi comme l’Apostre dit : Quod oculus non vidit nec auris audivit nec in cor hominis ascendit que preparavit Deus diligentibus se, |[880]c’est a dire que « Oeul oncques ne veist ne oreille ne ouyt ne sy ne monta en cueur de homme les choses lesquelles Dieu a appareillees a ceulx qui l’ayment ». |[881] Et ceste glorificacion de l’omme commença Dieu quant il le fit a sa similitude. |[882] Et, a ce propos, dit le Psalmiste : Signatum est super nos lumen vultus tui, Domine. Dedisti leticiam in corde meo, c’est a dire « O Sire Dieu, la lumiere de ton visage est signee sur nous et, de ce, tu as donné lyesse a mon cueur. » |[883] Et dois noter que Dieu n’a pas voulu avoir parenté avec nature angelique mais avec nature humaine, |[884] laquelle il a plus aymee et laquelle il a composee a son ymage et similitude et laquelle, aprés toutes ces choses, a tant seulement voulu racheter, |[885] car saint Paul dit : Nusquam angelos comprehendit sed semen Abrahe, c’est a dire qu’« Il n’a pas prins fourme d’ange mais a prins la semence de Abraham ». |[886] Et, par ceste chose, on peut considerer qu’il y a entre Dieu et homme greigneure fermeté de cognacion et parenté que entre Dieu et les anges. |[887] Et, en cecy, la tres grande misericorde de Dieu est manifestee. |[888] Saint Bernard dit en ceste maniere : Securum accessum habemus Matrem. Filius obtendit Patri latus et vulnera, et Mater obtendit Filio pectus et ubera. |[889] C’est a dire que « Nous avons sceur approchement envers Dieu pourtant que nous avons son Filz devers luy et envers le Filz nous avons sa Mere. |[890] Le Filz demonstre au Pere ses playes et son costé, et la Mere monstre a son Filz devers luy et envers le Filz nous avons sa Mere. |[891] Par quoy il est impossible que, en lieu ou il y a tant d’enseignes de pitié, que aucune requeste y peut estre reboutee. |[892] O bon Jesus, combien et comment as tu doulcement conversé avec les hommes ! Quantz grans dons habondamment leur as tu eslargis, dures paroles, durs batemens et tres durs tourmens de la croix as tu voulu endurer pour les homes ! |[893] Certainement, Dieu a voulu estre tempté pour nous affin qu’il sourmontast toutes les temptacions du dyable. |[894] Il a souffert affin qu’il asubjectist toutes passions.  Il a souffert mort affin qu’il recouvrast la vie eternelle. |[895] Il a eu fain affin qu’il nous refectionnast. Il a eu soif affin que a nostre soif il administrast utile boisson. |[896] Il a esté tempté affin qu’il nous delivrast de toutes les temptacions du dyable.  |[897] Il a esté demoqué affin que nous fussons delivréz de moquerie dyabolique.  Il a esté lié affin qu’il nous deslyast et mist hors du nou du dyable d’enfer. |[898] Il s’est humilié affin qu’il nous eslevast et exaltast au ciel.  Il a esté despoullé affin qu’il couvrist la nudité de la premiere transgression par indulgence. |[899] Il aprins couronne d’espines affin qu’il nous donnast les fleurs de paradis lesquelles nous avyons perdues. |[900] Il a esté pendu au bois de la croix affin qu’il adnichillast par le bois et mist a nyent la concupiscence et le desir du premier parent. |[901] Il a esté abrevé de fiel et de vin aigre affin qu’il menast et conduysist l’omme a la terre celestielle, c’est a dire a l’Eglise triumphante, habondante de lait et de miel. |[902] Il a receu mortalité affin qu’il fust, aprés ces choses avecques nous participant son immortalité.  Il a esté enseveli affin qu’il donnast benediction a nos sepultures. |[903] Il est ressuscité de mort affin qu’il nous demonstrast estre ressuscitéz au jour du Jugement et affin qu’il nous rendist la vie eternelle. |[904] Il est monté aux cieulx pour nous ouvrir les portes celestielles. Il syet a la dextre de Dieu le Pere affin qu’il essausse les prieres de ceulx qui croient en luy et affin qu’il les offre a Dieu le Pere avecques les playes lesquelles il a souffertes pour nous. |[905] Il a prins nostre povreté, temptacion, tristesse, douleur et mort affin que, en ces choses, il fust semblable a nous et affin qu’il congneust [v°] mieulx noz miseres |[906] et affin que, plus facilement et legierement, il feust encliné a estre doulz, piteux et misericordieux. |[907] Et appartenoit qu’il fust en toutes choses semblable a nous, qui sommes ses freres, affin qu’en toutes choses semblable a nous, qui sommes ses freres, affin qu’en toutes choses il feust misericordieux, |[908] car, en ce qu’il a souffert, iceluy puissant a esté tempté affin que luy existent secourust misericordieusement a ceulx qui sont temptéz et que justement il leur feust en ayde. |[909] Au quel est honneur, vertu et gloire par les infinis siecles des siecles. Amen.

|[910] Exhortacions singulieres que doit faire le prestre au malade.

|[911] Aprés ces choses doit le prestre singulierementexhorter le malade que pacientement et benignement il soustienne ceste enfermeté et maladie, laquelle est de Dieu envoiee, |[912] en luy disant que, se l’enfermeté du corps est bien portee joyeusement et sans murmure, elle engendrera la santé de l’ame |[913] et qu’il ne contempne pas la correction et discipline de Dieu, duquel seul est le salut de l’ame, |[914] mais rende plustost graces a Dieu le flagellant et luy donnant en ceste maniere correction. |[915] Et, pour ce, dit Salomon, en ses Proverbes : Flagellat autem Dominus omnem filium quem recipit, c’est a dire que « Dieu corrige tout enfant qu’il reçoit » et veult recevoir en sa grace. |[916] Item, le prestre pourra admonnester au malade le contempnement de ceste vie presente et l’appetit et desir de la mort, en la maniere qui s’ensuyt : |[917] « O mon amy, se tu pensoies parfondement le dangier de ceste meschante vie, tu desireroies joyeusement et couvoiteroies mourir en Jesucrist. |[918] Comme dit saint Jehan, en son Apocalipse : Beati mortui, qui in Domino moriuntur, c’est a dire ‘Benoitz sont ceulx qui meurent en Jesucrist.’ |[919] Considere, mon amy, la vie presente, qui est, au commencement, plaine de douleur, au moien est faicte angoisseuse et corrumpue de pechiéz et, en la fin, elle est menachante de paine doublee et intollerable. |[920] Et regarde et considere se tu dois point plus appeter, requerir ou demander bien mourir que vivre mauvaisement, |[921] car, come dit Cathon : Nemo sine crimine vivit, c’est a dire que ‘Nul ne vit sans pechié’. |[922] Et cecy nous advertissoit l’Apostre quant il disoit : Cupio dissolvi et esse cum Christo, c’est a dire ‘Je desire estre deslyé de ce corps et estre avecques Jesucrist.’ » |[923] Et [f iiii r°] aprés doit le prestre dire : « o mon amy, qui sera celuy qui sera suffisant pour nombrer et declairer les tristesses et angoisses de ceste vie presente, |[924] comme avoir soif, avoir fain, avoir chault, avoir froit, estre lassé et travaillé et autres choses ainsi comme innombrables et, par coustume, ces choses estre demourantes en nostre propre maison ! |[925] Avec ces choses sont autres qui portent moult de grans dommages a nostre esperit et qui sont choses moult greifves, |[926] c’est assavoir couvoiter, commettre fornicacion ou advoutrise, ravir, embler, tuer, meurdrir, se couroucier, haÿr |[927] et moult d’autres choses lesquelles sont nuysibles a l’esperit, desquelles nul ne pourra estre plainement delivré sy non par la mort. |[928] Ces choses considerees, qui est celuy sage qui ne desireroit la mort ! |[929] Et, pour ce, saint Augustin, parlant a la mort, dit ainsi : O mors, desiderabilis finis omnium malorum presencium, laboris clausura, quietis principium, quis cogitare potest utilitates tuarum beatitudinum ! |[930] C’est a dire ‘O mort beneuree, lquelle on doit desirer, car tu es la fin de tous maulx presens, cloture et fin de tout labour, commencement de repos, qui est celuy qui peut penser les utilitez de tes beatitudes !’ |[931] Pour ceste cause, mon amy, tant come tu passes ceste voie, aies tousjours ferme foy, |[932] car l’Apostre dit que ‘Sans foy, il est impossible plaire a Dieu’ et tout ce qui n’est de foy est pechié. |[933] Et, pour ce, dit saint Augustin : Fides est que primo subjungat animam Deo, deinde ad precepta, c’est a dire que ‘Foy est ce qui premierement joint l’ame a Dieu et en aprés aux commandemens’. |[934] Par lesquelz, quant ilz sont gardéz, nostre foy est confermee, charité est nourrie et aprés commence a resplendir la chose laquelle on croit tant seulement par foy ; |[935] Pour ce, se tu veulx estre beatifié, soies ferme en la foy, car l’Apostre dit que ‘Par foy, tu verras Dieu ainsi qu’il est’, qui est moult grant promesse. |[936] Et saint Augustin dit que ‘Le Louyer de la foy est l’entendement’. »

|[937] Des articles de la foy.

|[938] Pour eviter a ignorance, il est assavoir qu’il sont quatorse articles de la foy, desquelz en y a sept appartenans au mystere de la Trinité, |[939] c’est assavoir quatre appartenans a la Divinité et trois appartenans a l’operacion et effect d’icelle cheans sur la foy. [v°] |[940] Et les autres ept appartiennent a l’umanité de Jesucrist. |[941] Le premier article appartenant au mystere de la Trinité est « Croire en ung seul Dieu », c’est a dire « Croire en unité de divine essence ainsi comme Trinité indivisible de trois personnes ». |[942] Le second article est « Croire Dieu le Pere non engendré ». |[943] Le tiers est « Croire Dieu le Filz ensemble, estre Dieu d’une substance et equalité avec le Pere et le Filz ». |[944] Le quart est « Croire le Saint Esperit ne fait ne engendré mais, procedan du Pere et du Filz ensemble, estre Dieu d’une substance et equlité avec le Pere et le Filz ». |[945] Le quint article est « La creacion du ciel et de la terre, c’est a dire de toute creature visible et invisible estre faicte de toute l’indivisible Trinité ». |[946] Le sixiesme est « Croire la sanctificacion de l’Eglise par le Saint Esperit et sacrement de grace et les autres choses aux quelles l’Eglise chrestienne communique ; |[947] en quoy est entendu qe l’Eglise catholique, avecques ses lois et sacremens, riglee par le Saint Esperit, suffit pour salut a tout homme, tant soit grant pecheur, et que ce qui est fait hors l’Eglise catholique n’est point pour salut ». |[948] Le septiesme article est « Croire la consummacion de l’Eglise par la gloire eternelle, par la chair de Jesuchrist qui est vraiement resuscité en ame et en corps ; et, par opposite, est entendue dampnacion eternelle des reprouvéz ». |[949] Le premier article des sept qui appartiennent a l’umanité de Jesucrist est « Croire l’incarnacion du FIlz de Dieu ou vraie chair prinse fut de la Vierge Marie ». |[950] Le second est « La vraie nativité de Dieu incarné de la Vierge non corrumpue ». |[951] Le tiers est « La vraie passion et mort en croix de Jesucrist soubz Pilate ». |[952] Le quart est « La vraie descente de Jesucrist aux enfers en ame, son corps reposant au sepulchre pour la despoulle d’iceulx enfers ». |[953] Le cinquiesme est « La vraie resurrection de mot a vie le tiers jour ». |[954] Le sixiesme est « La vraie ascension d’iceluy Jesus aux cieulx. |[955] Le septiesme article est « La tres certaine expectation d’iceluy au Jugement ». |[956] Et, aprés la declaracion de ces articles, on luy doit ainsi dire : « O mon amy, il fault maintenant que tu aies charité, |[957] c’est que ty aymes Dieu sur toutes choses et ton prochain pour l’amour de luy, car, sans charité, foy ne te profiteroit point, |[958] selon ce que nous dit l’Apostre : Si haberem omnem fidem ita ut montes transferam, caritatem autem non habuero, nichil michi prodest, [f v r°] |[959] c’est a dire que ‘Se j’ay foy si grande que je transmue les montaignes et je n’ay point charité, tout ce ne me proffite rien’. |[960] Pour ce donc, tant que tu peux, fay et accomply les œuvres de charité, car charité fait et accomplit de grans chaoses ou elle est, et, se on refuse a ouvrer, charité n’y est point. |[961] Pour ce, la chose est grande qui procede de bonne et grande voulenté. Exerce donc les œuvres de pitié et, se tu as moult, donne habondamment. |[962] Se tu as petit de chose, estudie a voulentiers la departir. |[963] Et, devant toutes choses, se tu as aucun blecié injustement, se tu peux, fay vers luy satisfaction et, se tu ne peux, il est expedient de luy demander pardon. |[964] Se aucun t’a fait aucun desplaisir, pardonne voulentiers affin que Dieu te pardonne et espargne a ceulx qui ont pechié en toy. |[965] Ayme ceulx qui te ont en hayne. Retribue les biens pour les maulx, car Dieu dit : Dimitte et dimittetur tibi, c’est a dire : ‘Delaisse et on te delaissera’. |[966] En aprés, i lfaultque ayes bonne et ferme esperance en Nostre Seigneur,. |[967] Et, se aucune multitude de tes pechiez accourt en ta pensee, deffay les et ne te desespere point mais pense ce qui est escript : |[968] Misericordia Domini super omnia opera ejus et ei soli proprium est misereri semper et parcere. C’est a dire que ‘La misericorde est sur toutes ses œuvres et a luy seul est chose propre tousjours estre piteux et espargnable’. |[969] Dy donc en ton cueur : In te, Domine, speravi, non confundat in eternum, c’est a dire ‘Sire, j’ay esperance en toy que je ne seray point confondu eternellemen.’ |[970] Espere donc en Nostre Seigneur et fay aucun bien tant comme tu peux, car celuy qui espere en luy sera de misericorde environné. |[971] Ceste articulacion et enseignement delivre, conforte et eslieve la pensee selon ce que dit le prophete : Qui sperant in Domino imitabuntur fortitudinem, assument pennas, volabunt et non deficient, |[972] c’est a dire que ‘Ceulx qui esperent en Nostre Seigneur ensuyvront force et prendront esles et voleront et ne defauldront point’. |[973] Et dois entendre quant il dit volabunt, c’est a dire que ‘ilz voleront de tenebres en lumiere, de chartre en royaulme, de ceste presente misere a la gloire eternelle’. |[974] A la quelle gloire nous veulle conduyre et mener le Filz de la glorieuse Vierge Marie, qui est benoist au siecle des siecles. Amen. »

[v°] |[975] Du prouffit et utilité de ceste doctrine.

|[976] Affin que les estudians de ce livre qui pourroient avoir petite memoire des choses devant dictes puissent plus legierement recorder et mettre en leur retentive le prouffit et utilité salutaire de ceste estude |[977] et que tousjours de mieulx en mieulx ilz soient animéz et enclins mettre en leur entendement chose dont il puisse sortir en leurs cueurs vertueux effect, |[978] me suis disposé, soubz pou de paroles, enarrer les parties de ceste presente œuvre, |[979] priant Dieu que, en la premiere partie, c’est assavoir de la louenge de la mort et science de bien mourir, puissons tellement mettre et ficher nostre entendement en celle science |[980] que nous soions contens et appareilléz de mourir a la volenté de Dieu, nostre Createur. |[981] En la seconde partie, qui est des temptacions, puissons avoir telle vertu que nous aions victore de noz ennemys. |[982] En la tierce, des peticions et demandes, puissons respondre en telle maniere que, par les veritables responses issantes de nostre bouche, appaire et soit manifeste la foy de nostre cueur. |[983] En la quarte, puissons avoir telle instruction et enseignement qu’ilz nous puissent esmouvoir a devocion enflambee de charité. |[984] En la quinte, soions en telle manier exhortéz que ce soit a nostre salut. |[985] En la sixte, puissons prendre telle ferveur d’oraison qu’elle nous prepare entree au royaulme de paradis. |[986] Et, consequamment et oultre la dterminacion des parties dessus dictes, puissons, en aprés, fuyre et eviter toutes foles ymaginacions mises en nostre foy par la suggestion du dyable d’enfer. |[987] Et, semblablement, puissons avoir esperance ferme en la misericorde de Nostre doulx Sauveur et Redempteur Jesucrist, ses articles entierement et parfaictement croire |[988] et son digne corps recevoir en toute netteté et purité defendement jusques en la gloire et vie pardurable. |[989] En laquelle nous veulle conduire et mener le Pere et le Filz et le Saint Esperit, ung seul Dieu en trois personnes. Au quel est honneur souverain et gloire eternelle. Amen.

nable|[990] Cy fine le livre de La Doctrine de bien mourir.


[27]    aucnn prouffit

[74]   meurent

[84]   lecclesiastique en

[88]   maniere au mauvais

[91]    est tenue se r.

[97]   des consolacions de

[98]   magisque et pro

[100] choses lesquelles nous

[104] salut que la

[137]   .vii. chapitre

[148] aucune des ces

[156]   innoscencia

[167]   n. Jacob (au)

[173]   qui mq.

[210]   perseverance eu la

[234] Dans d’apostume, lecture ocnjecturale des deux premieres lettres da, non encrées.

[268] ne lalmettre par

[321]   saint Augustin

[343] erreurs reprouvez

[356] restituez

[360] choses premises

[362] sourmontez

[389] en dilant O

[407] excoincacion

[412]   sont recitez. 

[422] les autres mq.

[427] declairez

[443] accoustumez

[500] estrangee

[503] estre mq.

[553] non sustineamus C.

[559] meam ad te

[564] cribaret

[586] et alins te

[587] ou u vouloies

[606] sublevamen

[607] consilii

[676] te donues a

[686] en tou cueur

[832] implora ces

[886] affinité greigueure c.

[919] corrumpuee

[948] de Jesucrist qui mq.