[33 r°] |[1] Cy apres s’ensuit ung livret extrait du traité de l’art de mourir tres prouffitable atoute creature humaine pour savoir les remedes et vertuz servans a resister au deable, |[2] qui en la fin des jours tempte la creature de cinq vices principalment, c’est assavoir de infidelité, desesperance, impacience, orgueil, soubz umbre des vertuz de la creature, |[3] et de trop grant regret et curiosité des biens temporelz et amis charnelz.

|[4] La creature qui veult acquerir en ce monde le tresor de paradis et estre exempte du feu eternel doitsouvetes fois en soy mesmes penser la bonté infinie qui est en Nostre doulx Suveur Jhesus comme il nous a bien monstré quant, |[5] lui connoissant, devant qu’il presist char humaine ou tres precieux ventre de sa tres glorieuse et sacree mere, la grande et douloureuse passion qu’il devoit [v°] souffrir pour noz pechiéz laver, |[6] n’avoit pour ce aucunement delaissié a venir racheter l’umain lignage. |[7] O creature humaine ! considere celle bonté et ne te desfie de sa misericorde, car, se de tant s’est voulu humilier pour nous, de trop plus est pres a nous exaulcier et pardonner. |[8] Helas, humain lignage ! quel guerdon puez tu rendre a ton Createur qui tant de maulx a souffert pour toi ? |[9] Helas ! quel guerdon a sa doulce Mere pour les angoisses merveilleuses et douleurs qu’elle a eues de son chier enfant, |[10] qui tant bel et tant soef l’avoir nourry et tant hordoyé et desfait l’a veu mener mourir ? |[11] Plus grant guerdon ne puez faire a Dieu que lui rendre to name pure et nette et vivre simplement en ce monde |[12] en accomplissant ses commandemens et faire oevres par lesquelles tu puisses bien et seurement mourir |[13] comme pourras faire se bien [34 r°] estudies ce petit livre de contemplation de la mort.

|[14] Comme il soit ainsi qu’il fault tous mourir, tant par necessité que selon le cours de nature, il convient a toute creature savoir bien et seurement mourir. |[15] Et, pour tant que la mort, qui separe l’ame du corps, est entre toutes autres choses plus merveilleuses et terrible, de tant plus esse noble chose a la creature quant elle scet bien mourir, |[16] qui est chose plus a practiquer a ceulx qui sont en l’article de la mort |[17] que es autres pour ce qu’ilz ont plus de temptations en icelle heure que en leur vie n’ont eu. |[18] Raison assigne un docteur en faisant une question tele : « Pour quoy est ce que le deable tempte la personne en prosperité |[19] si non pour lui faire avoir male fin et ne recognoistre point son Creatuer ? » |[20] Et s’il est ainsi que [v°] icelle fin soit bonne,  combien que la vie n’ait riens valu, |[21] a icelle heure baille le deable a la creature tant de faulces opponions, tant soubz umbre de bien que de mal, |[22]  que, se Dieu ne lui aide, il se treuve en tele perplexité que aucunes foiz dechiet en pechié mortel comme on pourra veoir par les descriptions qui s’ensuivent.

|[23] La premiere temptacion est en la foy, car, ainsi que dit l’Apostre : « Foy est le commancement et fondement de tout humain lignage mettre et venir a salvation. » |[24] Et aussi « Sans foy il est impossible plaire a Dieu », comme est escript en la sainte escripture en pluseurs lieux, |[25] disant que cellui qui ne croit et n’a foy est jugié a souffrir peine eternele en la compagnie des deables, |[26] comme on puet veoir de pluseurs qui ont fait mourir les apostres, qui sont, par leur ostination et incredulité, dampnéz perpetuelment. |[27] Exemple [35 r°] avons bien de Neron, Pillate et Herode, qui, a ceste heure, scevent bien com la mort leur est douloureuse et a tout homme injuste. |[28] O ennemi de humain lignage ! com courroucié tu es de la grant vertu et force de nostre bonne foy, qui tant opprimes et deffoles les bons chrestiens en leurs extremitéz |[29] pour les faire devier en icelle totalement ou par racines qui sont erreur, heresie et plusieurs autres par lesquelles les veulx mener a dampnation perpetuele.

|[30] Ung chascun bon chrestien qui, en ces precedens illusions et persuasions, est tempté du deable en la fin de ses jours doit fermement en la foy et union de sainte Eglise perseverer jusques a la fin. |[31] Et bien prouffitable est a celui malade, pour l’entretenir en vray propos de ferme foy et affin que les deables, l’infestans, s’enfuient, |[32] faire dire devant lui a haulte voix le Credo et le reïterer pluseurs foiz et aussi [v°] lui demonstrer |[33] comment les anciens catholiques Abraham, Ysaac et Jacob et plusieurs payens ont tous esté saulvéz par la foy qu’ilz ont eue. |[34] Exemple avons de Job, Raab, qui estoit hostelliere commune en une cité. |[35] Pour tant qu’elle cognoissoit les filz d’Isreael avoir ung Dieu ayant toute puissance, |[36] sauva leurs espirs et depuis leur bailla la cité, de la quelle chose fut moult tourmentee du peuple payen. |[37] Achior semblablement, pour tant qu’il donna conseil a Oloferne de non combatre contre les filz d’Israel, eulx estans en la grace de leur Dieu, fut lié en ung arbre, prest de mourir se du dit peuple n’eust esté delivré. |[38] Et, en celle foy et congnoissance de ung seul Dieu, ont esté sauvéz et tous les sains du paradis.

|[39] La seconde chose dont se parforce le deable a l’article de la mort est de vouloir mettre ung chascun chrestien ou chrestienne hors d’esperance de son salut, [36 r°] |[40] car, avec la douleur et cremeur que la personne a de ses pechiéz commis dont il a fait satisfaction et confession, adjouste icellui ennemi ung plus grand mal avec le precedent |[41] en lui donnant souvenance et memoire des pechiéz commis dont n’a fait aucune confession en sa vie, qui fait l’omme cheoir bien souvent en desesperance. |[42] Et ceulx qui meurent en tel estat peuent dire sans doubte ce qui est escript : |[43] « Mort douloureuse, je suy ta viande et sçay que tu me devoureras et ou feu d’enfer avec les deables descendray. » |[44] Par cestui pechié sont les autres plus greifz et la peine en augmente cent mil foiz plus que par autre. |[45] Et seulement par cellui pechons contre Dieu, nostre Createur, quant nous sommes en ce estat que ne esperons de sa doulce misericorde, |[46] qui est tant grande que homme ne langue ne sauroient dire ne penser la grandeur d’icelle. |[47] Tousjours Nostre doulx Sauveur [v°] a les bras tendus pour nous acoler et prendre quant lui requerons merci et pardon de noz pechiéz, pour lesquelz il est voulu mourir. |[48] Et, pour tant, pour quelque temptation qui nous surviengne, aions tousjours esperance en Dieu et nous aurons paradis.

|[49] Nul ne doit doubter que la pitié de nostre Createur ne soit plus grande que quelconque pechié que on sauroit commettre ne perpetrer, |[50] tant soit homme grant pecheur et eust fait autant de larrecins et de murdres qu’il y a de goutes d’eaue en la mer. |[51] Et, supposé qu’il feust tout seul pecheur en ce monde et que oncques n’eust fait confession ne penitence |[52] et, qui plus est, posé qu’il fust du nombre des dampnéz et n’eust point de loisir de se confesser, |[53] sy ne doit la personne se desfier de la misericorde de Dieu mais gemir et [37 r°] estre desplaisant en son cuer d’avoir pechié. |[54] Il est escript que Dieu ne desprise point le cuer contrit. |[55] Exemple de mon seigneur saint Pierre en sa presence le reniant, de saint Pol destruisant les chrestiens, |[56] de Marie Magdalene, de Zachee, du bon larron et de pluseurs autres qui, par la misericorde de Dieu, sont sauvéz en paradis. |[57] Aussi sans doubtance le serons nous, mais que aions celle maniere de retourner vers nostre Createur apres que avons pechié et lui requerir misericorde et totalement se confier en icelle.

|[58] La tierce maniere comment les mourans sont temptéz du deable est par impatience, par la quele offensons nostre Createur en tant que nous delaissons la charité, de la quele le devons amer sur toutes choses, |[59] car qui n’a charité il n’est point plaisant a Dieu et qui l’a avec lui est et, par consequent, [v°] encontre tout mal et douleur resiste de legier. |[60] Quant on est en l’extremité de la vie, ce ne piet estre sans grant douleur corporele |[61] et, se lors la creature n’a bonne pacience et regart a Dieu, son Createur, le deable aucune foiz lui trouble son entendement |[62] par tele maniere qu’il semble estre hors du sens et ne lui scet on faire chose qui lui plaise, |[63] comme veons bien souvent par experience et principalment es creatures qui ont maladies accidenteles, comme fievre, apostume, et tous ceulx qui sont indisposéz a mourir. |[64] Songes, reveries leur surviennent tout ainsi que s’ilz estoient folz et ce vient de grant douleur corporele et impacience et regret qu’ilz ont a morir. |[65] Et telz faillent a vraye charité, la quelle est amer Dieu de tout son cuer. Se on aime Dieu, on soustient voulentiers les maladies qu’il envoie.

|[66] Contre impacience, qui est a charité contraire, affin que ceulx qui sont par elle temptéz bien et seurement [38 r°] sachant mourir, |[67] il leur convient en toutes maladies, soient grandes ou petites, soit a la mort ou devant la mort, non murmurer, |[68] ains mercier son Createur et estimer de cuer et de bouche teles maladies petites et legieres au regart des pechiéz commis, |[69] car maladie n’est autre chose que ung purgatoire de pechiéz quant elle est portee de bon cuer et de bonne voulenté. |[70] Et, pour ce, quant nous les avons, nous devons ensuir de tout nostre cuer saintAujustin ainsi priant : |[71] « O Dieu, mon Createur, qui tout seul scet et cognois les pechiéz de toutes creatures et a toy seul en fault rendre compte |[72] affin qu’il te plaise moy pardonner et preserver d’estre de la senestre partie de ceulx qui assisteront a ton doubté et cruel Jugement, |[73] je te supplie et requier que, en ce monde, tout hault et bas me detranches de tes verges et maladies et que, d’autre part, soye [v°] brulé de ton amour de charité, |[74] car je cognois et confesse que toutes maladies et fortunes que nous envoies et que nous portons sont justes et sçay bien que plus avons desservi que ta voulenté ne permet. »

|[75] Et quant le deable voit qu’il ne puet faire devier ung bon catholique en la foy ne cheoir en desespoir ou impacience, il presente a la creature estant ou lit de la mort trois couronnes. |[76] La premiere de fin or quant il ramentoit a la creature les biens et vertuz qu’elle a faitz en sa vie, affin qu’elle s’en orguillisse. |[77] La seconde couronne est d’espines quant il monstre et ramentoit les richesses et biens que on a acquis en ce monde, affin d’avoir regret de les laissier. |[78] Et sont les biens de ce monde bien nomméz espines, car tant plus on en a et plusp icquent et font mal a l’ame quant on ne use bien d’iceulx. |[79] La tierce couronne est d’estrain et ordure. [39 r°] C’est quant le deable tempte la personne de sa beauté, force, puissance et habilité, |[80] sicques il offusque la personne par ele maniere que son entendement ne juge opint que tout vient de Dieu, qui est bien grant pechié mortiel, |[81] car nul, tant soit grant, soit pape, empereur, roy, duc ou conte, doit estimer que de soy et de nul autre ou par ses vertuz ou de son bien ait les biens, richesses, vertuz, beauté, puissance, force et autres qualitéz qu’il a. |[82] Se autrement el fait, il peche mortelment et est orgueil.

|[83] L’omme ou la femme estans ou lit de la mort et qui ont teles temptations soubz umbre des vertuz qui peuent estre en eulx doivent dire et penser a l’encontre d’icelles : |[84] « Mon Dieu, mon Pere, mon Createur, tu m’as donné beauté et je l’ay mal emploiee. Tu m’as donné richesses et j’en ay mal usé. |[85] Tu m’as donné tous [v°] memes membres entiers et de tous j’ay mal usé : des yeulx, faulx regartz ; des ouyes, mal de mon prouchain ; |[86] de ma bouche, parler sur autrui ; des mains, fait larrecins, meurdres, prendre femmes a force ; des piéz, aller en lieux deshonnestes et laissier l’Eglise. |[87] Je te prie, vray Dieu omnipotent, vueil les moy pardonner et extendre ta misericorde sur moy, la quelle est par dessuz toutes tes vertuz et oevres. » |[88] Ainsi, en eslevant son cuer a Dieu, il lui adresse, car il ne veult al mort de nul pecheur mais qu’il se convertisse et reconnoisse sa faulte. |[89] Vray est que, se Judas qui le trahi apres qu’il eust recogneu son péchié, qui fut plus grant que l’en seroit commettre, eust requis misericorde a Dieu, |[90] il n’est point de doubte qu’il ne lui eust pardonné, mais desesperance le fist pendre et apres dampner perpetuelment. |[91] Par rigueur, on n’a riens de Dieu, mais sur toutes choses fault estre humble et hardiement [40 r°] batailler contre le deable comme mon seigneur saint Anthoine, au quel ledit ennemi dit : |[92] « Anthoine, tu m’as vainquu : quant je t’ay voulu axaulcier, tu t’es humilié et, quant je t’ay voulu humilier, tu t’es exaulcié. »

|[93] Le cinquiesme vice par le quel le deable tempte la personne estant ou lit de la mort, principalment ceulx qui sont mondains et mettent leur estudie aux choses temporelles |[94] et ne pensent a autre chose en ce monde que a acquerir rentes, heritages, maisons pour enrichir leurs parens, qui sont cause de les faire aller a dampnation. |[95] Et, quant il eschiet qu’il leur vient maladie, soit petite ou grande, mesmes en la fin de leurs jours, si ne laissent ilz point a penser a leurs biens et a demander de  leurs affaires. |[96] Lors, le deable leur ramentoit : « Tel povre homme te doit de l’argent. Que ne le fais tu contraindre de toy paier ? En endures tu ? » |[97] Ainsi mainnent les deables [v°] la creature jusques a tant qu’il ait perdu la parole et n’a point aucunes foiz confession, dont c’est pitié. |[98] Et est en grant dangier cil ou celle qui muert en tel estat. C’est grant pitié que pour les biens de ce monde on se vueille dampner. |[99] Par aventure, ung jour ,apres sa mort, sera tout son avoir despendu et tout le tresor qu’i lavoit amassé sera par autruy entassé.

|[100] Tel pour autre tresor amasse

Qui pour lui mesmes feu embrasse.

|[101] La creature temptee du deable en ceste maniere, pour avoir salvation, doit a l’encontre d’icellui et de ses extortions oster son cuer totalement des biens mondains |[102] et humblement se recommander a la misericorde de Dieu en offrant recevoir la mort quant son bon plaisir sera, |[103] car, comme dist ung docteur nommé l’Escot : « Se aucun se sent mourir et de bon [41 r°] cuer s’i consent tout ainsi que s’il eust esleu la mort et la peine qui est a passer ce pas, il satisfait pour tous les pechiéz venielz. » |[104] Et, qui plus, encores dist il que « Cil se offre a satisfaire pour les mortelz. » |[105] Pour tant, la creature doit prendre garde a son ame et remede a toutes maladies, soient petites ou grandes, |[106] et laissier les affaires et besoingnes de ce monde et n’avoir regret a ses amis si non en tant que on leur est prouffitable pour aucun bien espirituel, |[107] comme avons exemple de mon seigneur saint Martin priant Dieu ou lict de la mort que, s’il estoit encores prouffitable pour son peuple, qu’il le laissast vivre. |[108] Et toute voye il desiroit moult la mort et estre en paradis plus que autre chose. |[109] Aussi devons nous faire, car la est le lieu de nostre justification et beatitude.

[v°] |[110] « Bien doulx et debonnaire est Nostre doulx Sauveur et Redempteur qui, comme dist l’Apostre, ne permet point la creature estre temptee sur tout ce qu’il pourroit estre s’il lui plaisoit mais fait avec la temptation grant fruit », |[111] car qui plus est tempté et flagellé du deable plus est amé de Dieu s’il y resiste. |[112] La quelle chose fera mais que la creature retourne son entendement humblement vers Dieu en lui requerant qu’il lui donne grace de savoir et pouoir resister a toute temptation et lui rendre so name pure et nette toute enluminee de foy, car c’est le commancement de salvation avoir. |[113] On doit aussi confesser n’avoir pas si bien vesquu que on deust avoir fait et en avoir douleur et contrition au cuer avec bon propos de se amender se on avoit espace de plus longuement vivre. |[114] Et, sans [42 r°] doubte, se ainsi le fais, Dieu aura pitié de tes pechiéz.

|[115] Et si doit la creature croire non pouoir estre sauvee si non par la mort et passion de Nostre Redempteur. |[116] Et en icelle dois mettre toute ta confiance en le merciant de ce qu’il a voulu respendre son precieux sang pour racheter tout humain lignage, |[117] qui tous eussions esté dampnéz pour le peché de nostre premier pere s’il n’eust voulu estre pendu en l’arbre de la croix pour le restaurer. |[118] Et nul autre ne le pouoit faire que lui, qui est Filz de Dieu le Pere eternel et vray justicier de tout le monde. |[119] Se l’ame voit que Nostre Seigneur la vueille jugier, die ce qui s’ensuit : |[120] « Vray Dieu, mon Createur, fay de moy, qui suy ta creature, tout ton plaisir. |[121] Autrement ne vueil contendre avec toy, si non qu’il te plaise [v° ] mettre ta douloureuse mort et passion entre moy et ton Jugement. » |[122] Se nostre Seigneur dist icelle avoir desservi dampnation, die de rechief : |[123] « La mort de toy, qui es mon Dieu, par la quelle tu m’as une foiz racheté d’enfer, soit entre moy et mes pechiéz et le grant merite de ta tres digne passion soit en lieu des merites que je deusse avoir. » |[124] Et apres di : « Mon Dieu Jhesucrist, metz ta mort entre ton ire et moy. » |[125] Et, ce dit, trois foiz die In manus tuas, Domine, et cetera, et autres oroisons a la devotion des creatures, a la louenge de Nostre doulx Sauveur qui nous doint bien vivre et bien mourir et son paradis a la fin. Amen.