[a vi r]

|173 La seconde partie de ce livre est des temptacions faictes aux mourants.

|174 Et premierement de la foy.

|175 Sachent toutes creatures, hommes et femmes, les quelz ont a passer de ce monde en l’autre, comme il soit ainsi qu’il n’est nul qui ne gouste la mort |176 il est assavoir pour tout vray que ceulx qui sont constituéz a mourir ont a celle heure telles temptacions de nostre adversaire l’ennemy d’enfer que oncques en leur vie n’eurent a congnoistre. |177 Entre les quelles en y a cinq principales |178 des quelles la premiere est de la foy |179  pour ce que elle est le fondement et commencement de tout salut.

|180 Et, pour ce congnoissant icelle chose, le glorieux apostre saint Pol disoit : |181Fundamentum aliud nolo ponere nisi id quod prius positum est, |182 c’est a dire « Il n’est point en puissance de mettre fondement plus ediffiant en salut que celluy le quel j’ay mys ». |183 Et, a celle cause, iceluy mesmes apostre nous le dit et tesmoigne par cest escript, c’est assavoir |184Sine fide impossibile est placere Deo, |185 c’est a dire que « Sans foy, il est impossible de plaire a Dieu ». |186 Et de cecy dit saint Augustin : |187Fides est omnium bonorum fundamentum et humane salutis inicium, |188 c’est a dire que « La foy est le fondement de tous biens et commencement du salut humain. »

|189 O creature raisonnable et ame devote, ayes donc la foy et croy ces choses et doubte le dit de saint Jehan escript au .iii. chapitre de sa Canonique, disant : |190 Qui non credit, jam judicatus est, |191 c’est a dire que « Celuy qui ne croit et a ferme foy, il est ja venu au jugement et est jugié ».

|192 Et pourtant, nostre adversaire, sachant la grande vertu et preeminence de la foy, |193 la force aussi que elle a de resister encontre luy et congnoissant que sans icelle nulle creature ne peut estre sauvee et que par elle on a aide et secours, |194 pour telles causes, autant comme il peut, il met paine, de toute sa puissance, de pervertir et tourner l’omme hors de la foy quant il est au labour de la mort |195 ou, au moins, il luy presente aucunes choses soubtilles par les quelles il le puisse decevoir, c’est assavoir par aucunes folles erreurs les quelles il met aux creatures maintenant, |196 comme croire par heresie autrement qu’on ne doit et autres telles folles choses, esquelles il met grant paine affin de faire pervertir l’omme hors de la foy.

a vi v] |197 Et, pour celle malicieuse chose et soubtil efforcement, le bon et loial crestien ne doit pas seullement croire les articles de la foy |198 mais, avecques ce, est tenu croire fermement en toutes choses par tous les ditz de la saincte Escripture sans nul obstacle ou difficulté. |199 Et, s’il est ainsi qu’il ne les entende pas sainement, comme plusieurs ne sont pas clers, il suffit pour son salut, a l’encontre de la malice du dyable d’enfer, les croire en telle maniere que ilz sont entendues |200 et selon ce que saincte Eglise rommaine presche et exhorte et comme elle croit. |201 Et aussi se doit elle commettre et rendre subjecte a vouloir mourir aux constitucions et ordonnances d’icelle, |202 car, autrement, sans nulle doubte, des aussi tost que, en aucune de ces choses devant dites, iceluy mourant commence a crier ou a defaillir, |203 aussi tost trebuche et chiet de la sente et adresse de vie et de salut.

|204 Mais tu dois savoir sans nulle doubte, pour ce que aucuns pourroient troubler leur entendement de telles choses, |205 que, combien qu’il soit ainsi que le dyable d’enfer mette en la memoire du mourant celles temptacions subsequentes et ensuyvantes, |206 touteffois il est assavoir et dois fermement croire que en nulles d’icelles ne te peut faire nuysance s’il n’est ainsi que, quant tu estoies en ta franchise et liberal arbitre de ton entendement bien disposé et sans contrainte, tu luy eusses aucune adhesion faicte ou aucun accort, |207 car autrement il ne te peut rien, se ce n’est par toy, a cause que, quant tu as peu resister contre luy tu ne l’as pas fait.

|208 Et, se tu l’as contredit a ton pouoir et as fait ce qui en toy estoit, maintenant saches de certain que Dieu te donnera resistence de luy |209 pour ce que, de toy maintenant, tu ne le peux faire et dois avoir en ton benoist Dieu a celle heure une grande esperance de secours et croire fermement qu’il ne souffrira point que le dyable puisse envers toy aucune chose. |210 Car, ainsi que dit le prophete David |211 Non privabis bonis eos qui ambulant in innocencia : beatus homo qui sperat in te, |212 c’est a dire « O Sire, benoist est celuy qui met son esperance en toy, car tu ne le priveras pas de tes biens ». |213 C’est a entendre que, s’il l’appelle en sa necessité, qu’il luy secourra et donnera son aide, |214 car, aussi comme celuy mesmes prophete dit |215 Prope est Dominus omnibus invocantibus eum, omnibus qui inb i rvocant eum in veritate, |216 c’est a dire que « Dieu le Createur est pres a tous ceulx qui le demandent en vraie necessité ».

|217 O creature raisonnable et ame devote, espere et aies confidence en ton doulx et begnin Createur et luy recorde et met devant luy ce qu’il a promis par la bouche de son prophete |218 en disant le dit de l’Escripture devant dicte : |219 « Sire Dieu, je croy que tu es pres et regardes noz necessitéz. |220 Je te appelle et demandes ton aide en verité et honneur de toy ; |221 secours moy en ceste chose en la quelle tu congnois ma grant misere, |222 car je sçais certainement que de nul autre ne puis estre delivré. »

|223 Ainsi donc, tout bon catholique et vray crestien esperant en la Providence de Dieu ne doit craindre de doubter en quelque chose les erreurs, les illusions ne toutes les persuasions du dyable, |224 car il est en toutes ses promesses deceptible et menteur selon ce que la verité de la saincte Evangile nous tesmoigne, disant : |225 Mendax est et pater ejus, |226 c’est a dire que « Le dyable est mensongier et pere de mensonge ».

|227 O ame devote, persevere fermement en la vraie unité et vertueuse obedience de nostre mere saincte Eglise et ainsi dois mourir.

|228 Mais, selon ce qu’il est acoustumé en d’aucunes religions estre fait, il est tres utile que le Symbole de la foy, c’est assavoir le Credo, soit dicte et les articles declairéz a haulte voix |229 plusieurs fois devant ceulx qui sont en la bataille de la mort |230 affin qu’ilz soient en courage plus fortz et plus fermes, plus vertueux et plus constans et aussi que les ennemys se mettent en fuyte, les quelz ne peuent jamais icelles articles ouyr.

|231 Et, avecques ce, pour avoir greigneure constance et plus ferme, principallement doit estre au malade la foy de noz anciens peres tres loiaulx a Dieu enarree et declairee, |232 come a foy de Abraham, son amy, le quel crut a ce qu’il luy fut dit, qu’il auroit ung filz nommé Ysaac, |233 au quel airoit a donner benediction, le quel filz multipliroit en la terre come les estoilles se multiplient au ciel. |234 Et, non obstant que son aage feust passee et de sa femme aussi, croians a la puissance de Dieu plus que a la defaulte de nature, comme il avoit esté promis ainsi fut fait. |235 Et, en aprés, en ensuyt a Abraham benediction. |236 Et aussi la foy de Ysaac, son esleü, le quel crut a la promesse qui luy fut faicte de Dieu, |237 disant [b i v] que, toutes les regions et contrees qu’il avoit acordees a son pere Abraham, icelles possideroit et multipliroit de sa semence et, aprés luy, a ses enfans donneroit benediction. |238 En aprés, semblablement, de Jacob, son bien aymé, le quel crut et adjousta foy a la promesse de Dieu, quant il cheminoit par la terre en la quelle il dormoit, |239 qui luy dist qu’il luy donneroit et a sa semence et qu’il la multipliroit ainsi comme la pouldre de la terre par toutes les parties du monde, |240 c’est assavoir en orient, en occident, en septentrion et en mydi, et qu’il seroit son protecteur et defenseur en toutes ses necessitéz. |241 Et en celles promesses tous y ont adjousté foy sans nulle deviacion et ainsi leur a esté fait et tenu par la vertu de la foy, |242 ainsi qu’il est mis et desclairé d’Abraham au livre de Genese, au .xviiie. chapitre, quant il dit qu’il sera pere de plusieurs gens, et de Ysaac, au .xxvie. chapitre, et de Jacob, au .xxviiie. d’icelluy livre.

|243 Et aussi au malade doit estre rememorisee la foy des payens et infideles, comme, par foy, ilz sont venus a baptesme, |244 et pareillement la foy des apostres, des martirs, des confesseurs, des vierges et de plusieurs autres innombrables. |245 Et la cause est tres bonne, car tous les anciens et semblablement ceulx de maintenant par foy ont pleu moult a Dieu, |246 car, comme il est dit devant, il y a en foy double utilité. |247 La premiere est vraye foy et c’est celle qui croit toutes choses impossibles estre possibles quant a l’entendement. |248 Et de ceste tesmoigne l’Evangile par la bouche de Dieu, en disant : |249 Omnia sunt possibilita credenti, |250 c’est a dire que « Toutes choses sont possibles a celluy qui les croit ». |251 La seconde est vraye foy, la quelle nous impetre toutes choses, |252 ainsi que Nostre Seigneur dit en l’Evangile : |253 Quicquid orantes petitis credite, quia accipietis et fiet vobis, |254 c’est a dire, mes amys, « Croyéz de certain que, se vous me demandéz quelque chose, que vous l’auréz ».

|255 Et ces choses dictes suffisent quant pour la premiere temptacion qui est de la foy.


181 Note : Paul, Première Épitre aux Corinthiens, 3, 11
184 Note : Paul, Épitre aux Hébreux, 11, 6
187 Note : Augustin, De Fide et Operibus, I, 15, 24.
189 Leçon non conservé: .vii.
190 Note : Jean, 3, 18
202 Leçon non conservé: aucune des ces
211 Leçon non conservé: innoscencia – Note : Psaumes, 83, 13
215 Note : Psaumes, 144, 18.
224 Note : Jean, 8, 44
232 Leçon non conservé: n. Jacob – Note : Genèse, 21-24
239 Leçon non conservé: qui manque
242 Note : Genèse, 18, 26-28 ; 21-12-13; 27, 27-29.
249 Note : Marc, 9, 23.
253 Note : Marc, 11, 24.