|385 De vaine gloire, quarte temptacion.
|386 Quant le dyable d’enfer voit qu’il ne peut nullement oster la creature de charité ne la mettre par nulle voie en impacience et murmuracion contre Dieu |387 mais benignement et sans contredit reçoit et soustient pacientement les flagellacions et [b v r] corrections de son benoist Redempteur, |388 non pour tant ne cesse point la malignité cruenteuse du dyable et plaine de tourment ne sa perverse voulenté deceptive et falacieuse |389 mais vient et approuche cautement et malicieusement a la creature, l’esjouyssant par complacence et vaine gloire de soy mesmes, la quelle est orgueil espirituel. |390 Et, par telle vaine gloire et complacence, le dyable a infait, deceu et corrumpu plusieurs gens de religion et plusieurs devotz et bons catholiques |391 a cause des bonnes œuvres et operacions les quelles ilz congnoissoient en eulx mesmes sans en rendre a Dieu ne graces ne louenges.
|392 Et pareillement, a ceste heure, pour ce qu’il n’a peu faire denyer ne mettre la creature hors de la lumiere de la foy ne perdre la confidence et esperance, la quelle est totallement en son Dieu, ne aussi l’oster hors de charité, |393 il vient adonc mettre et darder a la creature telles cogitacions, disant ainsi : |394 « O creature raisonnable et de Dieu aymee, |395 tant tu es ferme en foy d’Eglise, |396 tant tu es forte en esperance de pardon |397 et aussi constante en la charité de ton Dieu ! |398 O ame devote, pense maintenant comme tu as tant bataillé contre moy et que tu m’as rebouté, |399 quel bien tu as fait |400 et de quelle vertu tu es revestue et quelle couronne en gloire t’est appareille ! » |401 Et plusieurs autres choses semblables, cuydant tousjours le decevoir en telle maniere.
|402 Mais contre ces choses et pour y resister nous dit Ysidore, tres noble docteur : |403 Non te arroges, |404 non te jactes, |405 non te violenter extollas |406 vel de te presumas. |407 Nichil boni tibi attribuas, |408 c’est a dire que de quelque bien de quoy il te souvienne que tu ne t’en orgueillisses point, |409 ne t’en vante point, |410 ne t’en eslieve point en vaine gloire |411 et ne presume rien de toy |412 et sy te garde bien que, les resistences les quelles tu as faictes encontre ton ennemy le dyable d’enfer, que tu ne les attribues pas estre de ta vertu ne de ton bien mais de la bonté de Dieu tant seulement, |413 car saches de certain que la creature pourroit tant prendre de complacence et vaine gloire de ces choses en soy mesmes que, a cause d’icelle vaine gloire, il seroit et pourroit estre perdu et eternellement dampné. |414 Et de cecy dit saint Gregoire : |415 Quisquis reminiscendo bona que gessit dum se apud se erigit, b v v apud auctorem humilitatis cadit, |416 c’est a dire que « S’aucun recorde les biens qu’il a faictz et s’il s’en eslieve en luy mesmes par orgueil et vaine gloire, icelluy chiet et trebuche devant le vray accroisseur de humilité ».
|417 Par quoy donc et a ceste cause, celuy qui est a mourir doit estre caut et soubtil encontre la soubtilleté du dyable, |418 en telle maniere que, s’il se sent estre tempté par orgueil et vaine gloire, il doit penser ses pechiéz et soy devant Dieu deprimer et humilier |419 et recorder qu’il ne sçait pas se, par chose qu’il ait faicte, il est digne de hayne ou d’amour par devers Dieu.
|420 Mais, affin qu’il ne desespere pas, il doit eslever son cueur a Dieu en ayant ferme esperance de sa misericorde, la quelle est sur toutes ses œuvres, |421 pensant en son cuer que notre tres loyal Dieu est verité infallible, |422 le quel en jurant a promis par son prophete, disant : |423 Vivo ego, dicit Dominus, |424 nolo mortem peccatoris, sed magis ut convertatur et vivat, |425 c’est a dire « Je vis, dit Nostre Seigneur, |426 sachéz de certain je ne veulx point la mort du pecheur mais j’aymes myeulx qu’il vive et se convertisse ».
|427 O ame devote et creature rasonnable, estoit il necessaire que luy qui est verité souveraine jurast par luy mesmes en ceste maniere, disant : |428 « Je vis ! »
|429 O promesse divine plaine de toute joye et de toute consolacion, certainement nul ne se doit desesperer de ta misericorde, |430 car tu la donnes a tous ceulx generallement qui te la demandent et te requierent aide de ta misericorde par cueur contrit et humilié !
|431 Prenons donc en ceste chose l’exemple de benoist saint Anthoine, auquel l’ennemy d’enfer disoit en ceste maniere : |432 « Anthoine, tu m’as vaincu et sourmonté, |433 car, quant je t’ai voulu humiliier, tu t’es contre moy exalté. »
|434 Face donc ung chacun de nous en ceste maniere, soit sain ou malade, et par ce point nous aurons victoire du dyable encontre toutes ses batailles, assaultz et malignitéz.
403 Note : Isidore de Séville, Synonyma, II, 20.
415 Note : Grégoire, Homeliae in Evangelia, IV, 1.
423 Note : Ézéchiel, 33, 11.
431 Note : Référence à Antoine partagée par la plupart des versions en latin et en langue vernaculaire, mais non identifiée.