|436 De la souvenance des choses temporelles, quinte temptacion.

|437Aprés est presentee la quinte temptacion, la quelle infait et corrumpt principallement les seculiers et charnelz, |438 comme [b vi r] trop grande occupacion des choses temporelles et exteriores, |439 c’est a dire envers sa femme et ses enfans et envers ses amys et mondaines richesses et autres choses les quelles ilz ont en leur vie aymé trop desordonnement, |440 car, certainement, qui veult bien et sceurement mourir, il doit totallement contempner toutes choses temporelles et exteriores et les mettre hors de sa pensee et affection ainsi comme s’ilz n’eussent oncques esté et soy voluntairement du tout commettre a Dieu.

|441 Car, selon ce que l’Escot nous dit : |442Si quis infirmus, cum se jam videt mortuum, velit bene mori, plene consentiat morti ac si pro se elegisset penam mortis, |443 c’est a dire que « Quant aucun malade voit qu’il est ja prest a mourir, s’il veult bien mourir, il se doit plainement consentir a la mort ainsi comme s’il eust esleu pour luy icelle paine ». |444 Et, ainsi, en soustenant pacientement la mort, il fera satisfaction de tous ses pechéz veniels et non pas seullement des venielz, |445 mais encoire plus il aydera aucunement a satisfaire pour les mortelz.

|446 Par quoy il appert que ceste chose est tres utile et du tout necessaire, en tel article de necessité, conformer sa voulenté a la voulenté divine, ainsi qu’il fault en toutes choses. |447 Mais saches que, a grant paine et bien tart, nul seculier ou charnel et mesmes nul religieux ne veult a la mort exposer |448 et, qui plus est, de telle choses ne veullent rien ouÿr. |449 Mesmes quant ilz sont frapéz de la mort, ilz espoirent eschaper et evader. |450 La quelle chose je prometz selon ce que dit Isaÿe le prophete estre tres dangereuse et plaine de grant peril a tout bon crestien.

|451 Toutesfois, il est a noter que le dyable, en toutes les temptacions devant dictes, ne pourra vaincre l’omme en quelque maniere que ce soit |452 et aussi, en nulle chose qu’il face, l’omme ne luy donnera consentement s’il n’est ainsi que, tant comme l’omme a esté en sa franchise et usage de raison, qu’il se soit voulu a luy consentir voluntairement, |453 la quelle chose est a eviter, non pas seullement a tout bon crestien mais aussi a tout pecheur, de quelque abondance et plenitude de pechéz qu’il soit plain.

|454 Et, pour ce, dit bien l’Apostre ce qui ensuy : |455 Fidelis est Deus qui non pacietur vos temptari supra id quod potestis, sed faciet eciam cum temptacione proventum ut possitis sustinere, |456 c’est a dire que « Nostre Dieu est tres loyal, le quel [b vi v] ne souffrira point que vous soiéz temptéz sur la chose la quelle vous ne pouéz porter |457 mais aussi vous fera aide et soulegement avec la temptacion |458 affin que la puisséz soustenir ». |459 Et dit la Glose sur ce mot : |460 Fidelis est Deus, |461 qui signifie « Dieu est loial », |462 c’est a dire qu’il est vray en ses promesses, le quel nous donne grace de resister puissamment, prouffitablement et perseveramment que nous ne soyons vaincus |463 et affin que nous dessevrons grace, et nous donne constance affin que nous vaincons. |464 Faciet proventdum, |465 c’est a dire « il vous donnera augmentacion de vertus |466 affin que vous puisséz soustenir la temptacion et que vous ne defailléz en icelle mais que vous ayéz victoire, la quelle est faicte par humilité ».

|467 Et de cecy dit monseigneur saint Augustin : |468 Illi non crepant in fornace qui non habent ventum superbie, |469 c’est a dire que « Ceulx les quelz ne sont point enfléz du vent d’orgueil ne crevent point en la fournaise d’enfer ».

|470 Et, pour ceste cause donc, le petit homme et povre pecheur se doit humilier soubz la puissante main de Dieu. |471 Et, se ainsi il le fait, il pourra obtenir de ses ennemys victoire par la grace et aide de Nostre Seigneur et sera deffendu jusques a la mort et gardé en toutes temptacion, enfermité, douleur et tribulacion de tous maulx.


442 Note : Jean Duns Scot, commentaires du Liber Sententiarum, 4
450 Note : Ésaïe,  38, 1.
455 Note : Paul, Première Épitre aux Corinthiens, 10, 12.
460 Note : Glose de Paul, Première Épitre aux Corinthiens, 10, 12.
468 Note : Augustin, Enarrationes in Psalmos, CI.