|472 La tierce partie de ce livre est des interrogacions faictes aux mourans.

|473 Sache chacune personne que telles interrogacions doivent estre faictes a ceulx qui ont a mourir ainsi come il sera declairé en aprés, tant comme ilz ont encoire usage de raison et de parler, |474 affin et pour telle cause que, s’aucun est moins disposé a mourir qu’il ne doit, qu’i soit de bien en mieulx informé et en tel besoing conforté.

|475 Et, selon le glorieux docteur de l’Eglise monseigneur saint Anselme , les interrogacions doivent estre faictes en ceste maniere.

|476 Premierement : |477Frater, letaris quod in fide Christi morieris ? |478 C’est a dire « Mon frere ou mon amy, t’esjouys tu que tu meures en la foy de Jesu Crist ? » |479 Response : |480Etiam, |481 c’est a dire « Ouy, certainement. »

|482 En aprés : « Confesses tu pas que tu n’as pas sy bien vescu comme tu deusses ? » |483 Respon[c i r]se : |484 « Ouy, sans faulte ».

|485 – « Se tu avoies espasse de vivre, n’as tu pas voulenté de toy amender ? » |486 Response : |487 « Ouy, j’ay celle voulenté ».

|488 – « Croy tu pas que Nostre Seigneur Jesucrist, filz de Dieu, est mort pour toy ? » |489 Response : |490 « Ouy, certainement.

|491 – « Et, pour ce qu’il a voulu estre ainsy, ne luy en rens tu pas graces de tout ton cueur ? » |492 Response : |493 « Ouy, veritablement ».

|494 – « Ne croy tu pas que tu n’eusses peu estre sauvé se n’eust esté sa mort ? » |495 Response : |496 « Ouy, en verité. »

|497 Et, aprés telles responses les quelles iceluy malade te aura faictes, donne luy reconfort caritatif, en disant : |498 « Amy, donc, tant comme ton ame est encores a toy, rent luy graces tousjours de toutes les choses les quelles il luy plaist estre faictes |499 et met et constitue toute ta pensee toy confiant a la mort de ton Dieu sans nulle autre esperance avoir |500 et te commet tout a sa mort |501 et que tu en soies tout couvert |502 et aussi que tu soies en icelle mort tout envelopé ».

|503 Et, s’il advient, frere ou amy, que Dieu te veulle juger, dy ceste parole : |504 « Sire, je metz la mort de Nostre Seigneur Jesucrist entre moy et mes mauvais merites et entre moy et ton jugement, |505 car, certainement, Sire, je n’estriveray ne contendray autrement avec toy ».

|506 Et, aprés, s’il te dit que tu as acquis dampnacion, dy de rechief en ceste maniere : |507 « Je metz la mort de Nostre Seigneur Jesucrist entre moy et mes desmerites et aussi le merite de sa tres digne passion, le quel je deusses avoir eu. |508 Helas, je ne l’ay point ! » |509 Item die : |510 « Helas, Sire, je metz la mort de Nostre Seigneur Jesucrist entre moy et ton ire ».

|511 En aprés diz trois fois : |512 In manus tuas, Domine, commendo spiritum meum. |513 Redemisti me, Domine Deus veritatis, |514 c’est a dire : « O Sire Dieu de verité, qui a souffert mort pour moy et m’as racheté, |515 et commande en tes mains mon esperit, c’est assavoir mon ame ».

|516 Et luy doivent ramentevoir ceulx qui sont au tour de luy. |517 Et, s’il advient qu’il ne puisse parler, comme l’en voit souvent, aucun des assistens le die pour luy. |518 Et, en ceste maniere, il meurt tres aceurement, car il ne verra point la mort eternelle.

|519 Et les choses dessus dictes peuvent suffire pour le present et quant a la matiere de ceste tierce partie, qui est des interrogacions que l’en doit faire au mourans.


475 Note : Anselme de Cantorbéry, Cur Deus homo ?, (De interrogandi moribundis).
512 Note Psaumes, 30, 6.