|23 Le premier chapiltre qui est de la louenge de la mort et de la maniere de bien morir.

[145v] |24 Si comme dit le Philosophe en ses Ethiques, |25 Quamvis secondum Philosophum, tercio Ethicorum, omnium terribilium mors corporis sit terribilissima, morti anime nullatenus est comparanda. |26 La mort est chose terrible et la derniere de toutes les autres terribles, |27 mais toutesfois la mort de l’ame est de tant plus horrible et plus espouentable et detestable que n’est celle du corps, |28 de tant que l’ame est plus noble et plus precieuse que le corps. |29 Dont dit monseigneur saint Augustin : |30 Majus dampnum est in amiscione unius anime quam mille corporum |31 « Plus grant dommaige et plus grant perte est d’une ame morte et perdue que ce n’est de mille corps ».

|32 Et saint Bernard aussi dit : |33 Totus iste mondus ad unius anime precium estimari non potest |34 « Tout ce monde n’est nullement a comparager a la noblesse et dignité d’unne seulle [146r] ame ». |35 Et dit le Psalmiste : |36 « La mort des pecheurs entre les autres est tres mauvaise », |37 car, quant ilz meurent, ilz meurent en corps et en ame ensemble. |38 La mort du corps est la separation de l’ame et de luy, mais la mort de l’ame est separacion de Dieu et de elle. |39 Jheremie le prophete dit, secundo capitulo : |40 Duo enim mala fecit populus meus : me derelinquerunt fontem aque vive |41 « Mon peuple m’a deguerpy, qui suis la fontaine de vie ». |42 Et saint Augustin dit en son livre de La Cité de Dieu : |43 « L’ame est morte si tost que Dieu l’a habandonnee |44 si comme nous veons que le corps est mort si tost que l’ame l’a habandonné ».

|45 Or est ainsi que, si comme la mort des pecheurs est mauvaise, |46 « La mort des saintz est tres bonne », come dit et tesmoigne le sus nommé Psalmiste, « et est tousjours precieuse devant Nostre Seigneur ». |47 Je dy des saintz qui vaincquent l’amour de leur nature par regart de l’amour de Nostre Seigneur, [146v] qui est universel acteur et reparateur de nature humaine.

|48 Pourtant doncques, de quelque mort corporelle que telz saintz meurent, est tousjours precieuse. |49 Je ne dy pas seullement des saintz martirs ou eslus mais aussi des autres qui sont justes, assavoir des bons chrestiens |50 qui vainquent, en esperance de immortalité, la desperacion de ceste presente vie mortelle en mourant en Nostre Seigneur Jhesucrist en esperance de leur justificacion, |51 selon qu’il est escript par l’Apostre, disant : |52 « Jhesucrist est mort pour noz pechiéz et est resuscité pour nostre justificacion ». |53 Et, pour ce, se nous mourons avec luy, nous vivrons aussi avec luy.

|54 Puis encore di que non seullement la mort des saintz et des justes est precieuse |55 mais aussi celle des pecheurs, combien que mauvais soient, |56 c’est assavoir de ceulx qui meurent en contricion et repentence de leurs [147r] pechiéz et en vraye foy et unité de nostre Mere sainte Eglise. |57 Dont Dieu nous dit, par la bouche de son prophete Ezechiel, 2o et .xxxiiio. : |58 Si dixero impio « Morte morieris », et egerit penitenciam a peccato suo, vita vivet et non morietur |59 « Se bien je dy a aucun mauvais pecheur ‘Tu morras’ |60 et il fait penitence de son pechié, il ne mourra pas pourtant, mais vivre de vie ». |61 Et ce est a entendre selon le final Jugement, c’est a dire de la rigoureuse justice de la quelle Nostre Saulveur usera en son derrain Jugement. |62 Si pouons icy veoir comme Dieu change sa sentence, ja soit ce que son conseil permagne eternellement.

|63 Pourtant, comme dit l’apostre en l’Apocalipse : |64 Beati mortui qui in Domino moriuntur |65 « Beneureux sont les mors qui meurent en Nostre Seigneur », |66 car, comme il est recité ou quart chapiltre du Livre de Sapience, |67 « Se bien le juste est pre[147v]occuppé de mort, c’est a dire s’il meurt ainçois qu’il ait fait ou acompli sa penitence, il toutesfoys obtendra refrigere par grace », |68 car il sera mis en lieu remissible et venial, assavoir en purgatoire, qui est venial, et non pas en enfer, |69 pourveu que, en mourant, il supporte toutes temptacions et batailles de mort constamment et prudentement. |70 Platon dit : |71 Summa prudencia est continue mortem sepe premeditari |72 « Souverainne philosophie, c’est a dire souveraine saigesse, est avoir continue meditacion de la mort ». |73 Et le Saige aussi dit : |74 « La mort n’est autre chose que une yssue de prison ». |75 Sur quoy le Psalmiste concordant dit : |76 Educ de custodia animam meam, .xlio.co. capitulo, |77 « Delivre, Sire, mon ame de prison ». |78 La fin qui est fin de tout peril est deposicion de tres grant charge |79 et, pour ce, quant l’ame est deschargee du corps, elle est quitte d’une grant charge.

148r] |80 Les philosophes dient que l’ame au commencement de sa creacion, c’est quant elle entre au corps, va hors de soy, c’est a dire hors de sa nature, |81 car elle va de region non materiale, assavoir du ciel, a region materiale, assavoir du monde, ou quel elle demeure comme en exil, |82 car la region dont elle vient est pure et nette, sans chaleur, sans froideur et sans nulle corruption, et la region du monde est froide et chaulde et plaine de maladies et de toutes corrupcions.

|83 Et pour ce est il que la mort est terminacion de toutes maladies. |84 Elle est aussi evasion de mortiferes questions et de perilz. |85 Elle est consummacion de tous maulx. |86 Elle est dirrupcion des liens de ceste miserable vie mondaine. |87 Elle est solucion du droit de nature. |88 C’est le retour au pays. |89 C’est celle qui nous met en voye d’aler en gloire. |90 Ecclesiastes dit : |91 Dies mortis est melior die nativtatis, .viio. capitulo : |92 « Mieulx vault [148v] le jour de la mort que le jour de la nativité ». |93 Et ce est a entendre des bons tant seullement, car, quant aux mauvais, ne le jour de la nativité ne celuy de la mort ne se peut dire bon.

|94 Et, pour ce, le bon chrestien et aussi chascun pecheur qui est feal et a contricion et repentence de ses pechiéz ne doit jamais doubter la mort corporelle ou temporelle |95 ne se troubler nullement par regart d’elle, quelle que elle soit. |96 Aussi, en quelque maniere ou par quelque cause que elle vienne, on la doit actendre tousjours et recevoir de franche voulenté |97 en confermant sa voulenté a la divine voulenté |98 comme il en est tenu juste la parolle saint Mathieu, ou .vie. chapiltre : |99 Fiat voluntas tua sicut in celo et in terra |100 « Ta voulenté soit faitte en la terre si comme au ciel ». |101 Aussi par l’exemple Nostre Sauveur, qui dist : |102 Pater my, non mea voluntas sed tua fiat, [149r] |103 en faisant oroison au Jardin au temps de sa benoiste passion, |104 « Mon Pere, non pas ma voulenté mais la tienne soit faitte », |105 car chascune son action est nostre instruction.

|106 Et en ceste maniere se doit porter le bon chrestien s’il veult bien et seurement mourir, |107 disant ung saige : |108 Belle mori est bene mori |109 « Bien mourir est voulentiers mourir », |110 c’est a dire raysonnable voulenté, combien que ce soit impossible de voulenté naturelle, |111 car, comme dit saint Ciprien : |112 Carnem propriam nullus unquam odio habuit |113 « Nul ne eut jamais en haine sa char ».

|114 Comme doncques la mort soit a tous commune, tellement que par devoir et par droit faille tous mourir, quant et come et la ou il plaira a Nostre Seigneur, il nous doit tousjours trouver appareillez a son plaisir, |115 car sa voulenté est juste en chascun lieu, |116 disant Cassien en la Vie des sainctz Peres : |117 « Dieu est tres feal, car il dispense toutes [149v] choses, tant adversaires que prosperes, si comme lui semble qu’elles sont a nous plus prouffitables ». |118 Et si regarde et enseigne plus le prouffit de nous que nous meismes, |119 car il scet et voit ce qui nous est necessaire et nous maintesfois demandons nostre contraire. |120 Si est donc que, comme nous ne puissons enfuir nullement ne eschever ne muer la mort temporelle, |121 nous nous devons disposer et tousjours tenir prestz a la recevoir |122 volentairement |123 sans contradicion, |124 car, aussi comme dit Senecque : |125 « C’est bien sote sote chose doubter ce que l’en ne peut eschever ». |126 Puis dit encore : |127 « Se tu veulx fuir les choses aus quelles tu es estraint, il ne convient pas seullement que tu soies ailleurs que ou les choses sont que tu doubtes mais aussi fault que tu soies |128 aultre que tu n’es ».

|129 Affin donc que l’homme chrestien puisse bien et seurement mourir, |130 il se doit parforcier et premierement [150r] apprendre et entendre la maniere de savoir bien mourir. |131 Si dit ung saige : |132 « Qui veult savoir la maniere de bien mourir, il doit tousjours avoir le cœur et le couraige ententif aux choses supernelles |133 affin que, quant la mort adviendra, elle le treuve prest a le recevoir comme celuy qui actent l’avenement de son compaignon qu’il desire ». |134 C’est la science en la quelle non seullement les religieux mais aussi tous bons chrestiens doivent principallement estudier. |135 Et quant je di doivent, c’est pourtant que les religieux y sont tenus tant par rayson du vœu precedent de leur religion que par vigueur de la loy consequent de nature qui ordonne mourir. |136 Et les seculiers y sont tenuz par auctorité de la mesme loy, la quelle est telle que elle ne veult nul excuser, tant soit grant ou riche ou fort ou saige que mourir ne le faille.

|137 Le Philosophe dit, [150v] en son livres des Elenques, |138 que « Rayson naturelle bien deliberee congnoist et juge plustost eslire la mort que la mauvaise vie ». |139 Puis encores dit, ou quart livre de ses Ethiques, |140 que « L’en doit plustost eslire mourir que nullement faire chose qui soit contre le bien de vertu ». |141 Et ceste election se doit trouver en chascun qui est juste.

|142 Toutesfois, qui vouldra bien considerer la difference de ceste miserable vie a la vie eternelle, il congnoistra et jugera que, quant plus tost en yssons, tant plus est nostre prouffit, |143 car, aussi come en ce monde nous ne puissons demorer sans trebucher entre les vices bien souvent cent fois la journee, |144 ceulx doncques qui moins y demeurent sont ceulx aussi qui le moins de charge de pechiéz enportent avec eulx quant ilz s’en vont. |145 Et, pour ce, dit doncques le prophete ayant desplasance de plus y demourer : |146 « Hé my ! car ma demoree [151r] est prolonguee.  |147 Hé my ! que je suis encore eslongié du païs que tant desire. »

|148 Et, pourtant, tout bon crestien se doit tousjours disposer en toutes manieres a bien vivre et a bien mourir aussi, |149 tellement que, quant Dieu le vouldra appeler a soy, il soit prest de recevoir la mort avec desir.

|150 Exemple de saint Pol, disant : |151 « Je desire estre resolu, c’est a dire morir pour estre et vivre avec Jhesucrist ». |152 Et ainsi les choses dessus dicte souffisent a present quant a la science de bien mourir, et cetera.


25 Note : Aristote, Éthique à Nicomaque, III, 7.
30 Note : Augustin, De civitate Dei contra paganos, VIII.
33 Note : Bernard de Clairvaux, Meditationies devotissimae, III (De dignitate anima).
36 Note : Psaumes, 34, 22
40 Note : Jérémie, 2, 13
43 Note : Augustin, De civitate Dei contra paganos, XIII, II
46 Note : Psaumes, 115, 6
49 Note : Paul, Épitre aux Romains, 4, 25
52 Leçon non conservée : mas a.
55 Leçon non conservée : morte moriens et
58 Note : Ézéchiel, 33, 14-16.
64 Note : Apocalypse, 14, 13
67 Note : Livre de la Sagesse, 4-5
71 Note : Platon, Phédon, IX

74 Note : Augustin, De civitate Dei contra paganos, XIII, II
76 Note : Psaumes, 142, 8
91 Note : Ecclésiaste, 7, 1
99 Note : Matthieu, 6, 10
102 Note : Luc, 22, 42
104 Note : Luc, 22, 42
108 Note : Sénèque, Epistulae morales ad Lucilium, I,4
111 Note : Il s’agit en réalité de Paul
112 Note : Paul, Épitre aux Éphésiens, 5, 29
117 Note : Jean Cassien, Collationes patrum  in Scithico eremo commorantium, I, 6-11
125 Note : Sénèque, Epistulae morales ad Lucilium, CIV
127 Note : Sénèque, Epistulae morales ad Lucilium, CIV
133 Note : Henri Suso, Horologium Sapientiae, II, II.
138 Note : Aristote, Réfutations, I, V, 9 (exemple de syllogisme par réduction à l’absurde).
140 Note : Aristote, Éthique à Nicomaque
142 Leçon non conservée : il répété
146 Note : Psaumes, 120, 5.
149 Leçon non conservée : a foy il