[167v] |465 La cinqiesme temptacion est la trop grant affliction que l’en a es choses temporelles.

|466 Et ceste temptacion [168r] touche plus aux seculiers que aux religieux, car l’amour qu’ilz y ont eu par avant les remort, |467 et le dyable d’autre part vient qui leur met devant les biens temporelz, en disant : |468 « Le cœur te doit bien faire mal quant il fault que si tost tu habandonnes ta femme, tes enffans, tes amys, tes richesses et tes honneurs mondains ». |469 Et ainsi le va temptant pour le faire desvoyer de toutes bonnes cogitacions qu’il doit avoir envers Nostre Seigneur pour son salut.

|470 Et doit adonc recourir l’homme a Dieu quant telles vaines cogitacions ou temptacions luy surviengnent. |471 Et dois oultre penser que toutes les temptacions que le dyable nous baille ne sont que pour nous perdre et mener en dempnacion eternelle.

|472 Pour quoy les choses temporelles du tout delaisse et metz du tout au derriere, |473 des quelles la memoire ne te peut de riens prouffiter ne aider a ton salut mais destour[168v]ber d’iceluy. |474 Et soies memoratif de la parolle de Nostre Seigneur, disant a ceulx qui sont adonnéz et fichéz a tellez choses : |475 Nisi quis renunciauerit omnibus que possidet, non potest esse meus discipulus |476 « Celuy, fait il, qui ne renoncera a tout ce qu’i possede ne peut estre mon disciple ». |477 Et en oultre dit : |478 Si quis venit ad me et non odit patrem suum et matrem et uxorem et filios et fratres et sorores et adhuc animamque suam non potest esse meus discipulus |479 « Celuy qui vient a moy et ne hait ses pere et mere, sa femme, enfans, freres et seurs |480 et sa propre ame ne peut estre mon disciple ».

|481 Item, a ceulx renoncens aus dittes choses, dit : |482 Et omnis qui relinquerit domum vel fratres vel sorores aut patrem aut matrem aut uxorem aut filios aut agros propter nomen, meum centuplum accipiet et vitam eternam possidebit |483 « Celuy qui delaisset et [169r] habandonne sa maison, freres et seurs, pere, mere, sa femme et enfans ou ses heritaiges pour mon nom, cent doubles en recevera et si en aura et possedera la vie eternelle ».

|484 Remembre toy aussi de la povreté de Jhesucrist Nostre Saulveur, en la croix pour toy pendent. |485 Sa tres amee et benigne mere et ses tres chers disciples pour ton salut voluntairement delaissa et les habandonna.

|486 Considere aussi que tant de sainctes et devotes personnes en ceste renonciacion et contempnement des biens et choses seculieres les ont ensuyvy, dignes d’oÿr leurs tres haultes remuneracion : |487 Venite, benedicti Patris mei, |488 possidete regnim paratum vobis ab origine mundi |489 « Venez les benoistz de mon Pere, |490 possedés le regne celeste qui vous est appareillé dés le commencement du monde ».

|491 Soit empraint et noté en cœur : les choses [169v] et totallement les transsitoires boutéz arriere de toy comme venim |492 en mectant entierement ta voulenté a povreté voluntaire |493 et ainsi, par la promesse precedente, le royaulme des cieulx t’ofrera Dieu et l’obtendras, |494 affermant encore Nostre Seigneur Jhesus, disant : |495 Beati pauperes spiritu |496 quia ipsorum est regnum celorum |497 « Bien eureux sont les pouvres d’esperit, |498 car a eulx est le regne des cieulx ». |499 Se tu te commetz et metz totallement, il te done richesses pardurables et met et exprent en sa bonté toute ta confidence et salvacion.

|500 Et notéz que, quant le malade se sent tempté par avarice et amour des choses terriennes, |501 doit considerer que celle affection le fait separer et retraire de l’amour Dieu. |502 Tesmoing monseigneur saint Gregoire : |503 Tanto quis a superno amore disjungitur, quanto hic inferiis creaturis delectatur |504 « De tant est l’omme de l’amour souveraine et [170r] divine separé, d’autant que les personnes basses prent sa delectacion ».

|505 Aprés, pense que la voulentaire povreté fait l’omme bien eureux, car par elle l’omme possede le royaulme des cieulx. |506 Toutesfois, loable chose est que l’homme dispose des biens que Dieu luy a donné devant sa mort. |507 Il luy doit souffire et se contenter que simplement il en dispose tant pour le salut de son ame comme pour ceulx a qui ilz appartendront aprés luy, |508 aussi par maniere que plus il ayme sa conscience en la deschargant d’eulx que ses biens en l’aggravant par eulx. |509 Puis, quant il a disposé tant du corps que des biens temporelz, il doit laisser aler et eschever toutes cogitacions mondainnes et tant seullement se fermer a celles qui touchent le salut de son ame. |510 Sur quoy dit Scotus, au quart livre des Sentences : |511 « Se aucun malade, quant bient a mourir, prent [170v] vouloir de mourir en consentant pleinement a la mort et en portant pacientement la paine d’elle,  |512 il a desja satifait pour tous ses pechiéz veniaulx |513 et, qui plus est, porte encore avec soy aucune chose a satifaire pour les pechiéz mortelz ».

|514 Et pourtant, l’en ne peult myeulx faire que de confermer tousjours sa voulenté a la voulenté de Nostre benoist Sauveur. |515 Ilz sont toutesvoyes pluseurs qui ne veullent jamais oïr parler de la mort, combien qu’ilz se veent fort aggravéz et se pour aucune vaine esperance qu’il ont de guerrier de leur maladie. |516 Et telz malades sont perilleux et ont telle oultrecuidance mainteffois ilz s’en vont en mourant povrement tant au regart du monde que de Nostre Seigneur. |517 Et, ja soit ce que le dyable, par telles et autres semblables temptacions, nuyt [171r] et jour se parforce decevoir l’homme en toutes manieres qu’il peut, |518 il touteffois n’a nulle puissance sur l’homme tandiz qu’il aura usaige de rayson en soy, |519 disant sur ce l’Appostre : |520 « Dieu, qui est tres feal, ne souffrera pas que vous soyéz temptéz es choses que vous ne poéz, |521 mais il souffrera bien que en ce que vous pouéz, vous soiés temptéz », |522 affin que vous sontenéz les temptacions. |523 Sur quoy dit la Glose |524 que « Dieu est feal, |525 c’est a dire que Dieu est veritable es choses qu’il nous a promises, |526 car il nous donne grace de resister puissamment, voluntairement, fructueusement et parseveramment. |527 Il nous donne puisance affin que nous ne nous laissions point vaincre, grace affin que nous ayons merite, constance affin que nous vaincons et accroissement de vertu |528 affin que nous puissions son[171v]tenir et que pas ne deffaillons mais puissons vaincre, assavoir par humilité ». |529 Dont dit saint Augustin : |530 « Ceulx ne crievent nullement en la fournoise qui n’ont en eulx nul vent d’orgueil » |531 et, pour ce tout pecheur se doit humilier soubz la main de Nostre Seigneur et Dieu, qui est puissant, |532 affin qu’il puisse obtenir victoire moyennant son ayde en toute temptacion, en toute maladie, en toute tribulation, en toute douleur et angoisse jusques a la mort.


465Note : Une illustration sur une hauteur de 20 lignes  le texte reprend sur les 4 dernières lignes.
475Note : Luc, 14, 33.
478Note : Luc, 14, 26
482Leçon non conservée : vel uxores aut – Note : Matthieu, 29, 29
487Note : Matthieu, 25, 34
493Leçon non conservée : cieulx te fera Dieu
495Note : Matthieu, 5, 3
499Leçon non conservée : il te don r. p. et metz et
503Leçon non conservée : hic infirm c. – Note : Grégoire Ier, Homeliae in Evangelia, XXX
511Note : Jean Duns Scot, commentaires du Liber Sententiarum, 4
517Leçon non conservée : par force de cœur l.
520Note : Paul, Première Épitre aux Corinthiens, 10, 13
524Note : Glose de Paul, Première Épitre aux Corinthiens, 1, 9.
530Note : Augustin, Enarrationes in Psalmos, CI
532Note : Suivent 10 lignes en blanc.