|694 Des enhortacions que l’en leur doit faire.
|695 En ce chapitre est a veoir comme les malades sont a enhorter, car pou se trouvent |696 – pas ne diray seullement entre les seculiers mais aussi entre les religieux et autres personnes devotes – qui gaires se disposent a la mort si comme devroient et leur seroit necessaire, |697 car il n’y a celuy qui ne pense tousjours qu’il doit vivre plus longuement. |698 Et ce vient par induction du dyable, qui tousjours les entretient tant qu’il peut en ceste vaine esperance de plus longuement vivre pour les decevoir. |699 Dont aussi les pluseurs mourent miserablement sans disposer de leur biens, aussi sans avoir nulle repentence ne contriction ne confession de leurs pechiéz, |700 car ilz sont si oppresséz et troubléz de maladie qu’ilz n’ont en eulx nul enten[181r]dement ne nul sentement de rayson.
|701 Et, pour ce, si tost que aucun chiet en maladie quelle que elle soit, ceulx qui sont a l’entour, assavoir ses prochains parens, ses voysins ou amys, |702 le doivent incontinent enhorter en toute charité a disposer tant du corps que de l’ame sans actendre nullement du huy a l’endemain, pour eschever tout peril qui s’en pourroit ensieuvir, |703 car, comme nous avons par aucune decretale : |704 « La maladie du corps prent commencement de la langueur de l’ame ».
|705 Et, pourtant, le pape veult et commande expressement, en vertu de obedience, a tous medecins |706 qu’il enhortent et induisent les malades a se disposer et faire paix avec le medecin espirituel, c’est avec Nostre Seigneur, ainçois qu’ilz leur donnent aucune medecine corporelle. |707 Et, se aucun d’eulx fait [181v] le contraire, il peche mortellement, |708 selon que dit Hostiensis : |709 « Pour ce mesmement qu’il est desobeïssant au commandement de l’Eglise et luy est desfendue toute entree de l’eglise jusques a tant qu’il ait satiffait competement de sa transgression et negligence envers Dieu ». |710 Et encore leur deffent on, sur peine d’excommenyment, qu’i ne usent de nulle chose envers les malades qui cede ou prejudice du salut de leur ame. |711 Mais pou se treuvent au jour d’huy que y veullent avoir avertence. |712 Ains sont communement tous les hommes de ceste condicion qu’il quierent plustost la medecine charnelle qu’ilz ne font l’espirituelle. |713 Dont aussi les maulx nous adviennent que nous seuffrons pour noz pechiéz, |714 tesmoing le prophete qui dit : |715 « Il n’est nul mal en la cité que Dieu ne face. » |716 C’est a entendre du mal de la paine et [182r] non pas de la coulpe, |717 car nous en sommes encoulpé et il nous en donne la paine pour deserte.
|718 Et, pour ce, tout malade ou encore chascun qui est constitué en aucun peril doit estre induit et ravisé par les circonstans a faire paix espirituelle avec Dieu devant toutes choses |719 en demandant et recevant les sacremens de sainte Eglise devotement comme elle commande et que chascun bon catholicque doit faire. |720 Puis, quant il a disposé de l’ame, il doit disposer et ordonner du corps et de sa maison et des biens temporelz que Dieu luy a prestéz par testament, selon les bonnes usances et coustumes du pays. |721 Et si ne luy doit on jamais donner trop grant esperance de guarison, combien que plusieurs font au jour d’uy le contraire.
|722 Puis aussi sont aucuns que, quant ilz sont malades, ilz ne [182v] vouldroient jamais ouïr parler de la mort, |723 dont aussi advient bien souvent que ceulx qui sont a l’entour ne les osent adviser, |724 ains s’en vont et defailent aucunnes fois, soubz umbre d’aulcune consolation de plus longue vie, impourveument et miserablement au grant prejudice de leur salut.
|725 Pourtant donc, tout pacient doit estre enhorté par toutes voyes charitables a procurer par vraye contriction le salut de son ame. |726 Le quel aussi luy peut valoir et prouffiter au salut du corps, car, sans nul doubte, il en demourra aprés plus asseuré et plus consolé et moult plus reposable de couraige. |727 Et jamais ne doit on actendre, comme font les plusieurs, que les maladies soient aggravees, |728 car, comme dit saint Gregoire, |729 « Vraye contriction se treuve pou souvent a la fin ».
|730 Pareil[183r]lement dit saint Augustin, et ce mesme aussi ramentevoit le Maistre des Sentences, |731 que « La repentance que l’en a au derrain jour de ses jours a paine est veue souffire a obtenir salut |732 et mesmement en ceulx qui ont tout le temps de leur vie vesquu en pechiéz et oncques n’ont eu cure de garder les commandemens divins ne les vœux par eulx fais. |733 Et se, par adventure, ilz les ont aucunneffois gardéz, ce a esté faintisement et non pas de franche voulenté ne pour amour ne cremeur de Dieu. »
|734 Pourtant donc, quant l’en voit que telz malades labeurent en l’article de la mort, on les doit reconforter par toutes les parolles charitables que l’en peut mieux en les enhortant a prendre pacience et a avoir repentence. |735 Et doivent avoir les malades desplaisance volentaire de ce qu’ilz ont [183v] mal vescu par regart de venir a bonne fin.
|736 Et, par ce que les malades sont aucunes fois foibles de couraige, dont est peril qu’il ne tumbent en desesperation, |737 on leur doit ramentevoir les choses ou second chapiltre des Epistres pour leur donner couraige a esperance. |738 Puis encore les doit on enhorter qu’ilz vueillent morir comme vrais catholicques en les advertissant de la sentence d’excommeniemment |739 et comme ilz se doivent garder que nullement ilz ne soient comprins en elle pour le grant peril de leur ame que y fist. |740 Puis encore les doit on faire sousmettre en tout et par tout en l’ordonnance de nostre Mere sainte Eglise, affin de mieulx obtenir le merite de salut. |741 Et, se l’en voit qu’ilz ont aucun espace de vie et que la mort ne les oppresse trop fort, |742 on leur doit ramentevoir les oroy[184r]sons les quelles par avant, ou temps de leur santé, estoient acoustuméz de dire et les leur doit on lire devant eulx, |743 puis aussi les divins commandemens |744 affin que plus parfondement il y pensent et advisent s’il ont en aucuns deffailly ou erré par desprisance |745 et, se ainsi est que les malades ont vigueur de parler et bonne congnoissance, ilz doivent respondre aux oroisons et interrogacions que l’en leur fait, |746 assavoir de parolle se possible leur est ou autmoins de cœur, et donner aucun signe de consentement. |747 Et ainsi il souffist a leur salut.
|748 L’en doit toutesfois, tousjours qui peut estre bien advisé, que ces interrogacions se facent et se dient aussi ces oroysons ainçois qu’ilz perdent l’usaige de parler. |749 Et se, par adventure, l’en voit qu’ilz ne donnent [184v] pas nulles responses ne nulz signez souffisans selon les oroisons et interrogacions qui leurs sont faites, |750 adont l’en doit recourir au remede par la meilleur maniere que l’en peut en les advertissant plus expressement ne ne le doit on pas delaisser pour quelque paour qu’ilz ayent de morir. |751 Ains, si tost que l’en voit le peril de leur indisposition, on les doit advertir de la mort affin qu’ilz se retournent a Dieu.
|752 Il est moult chose plus juste que, en cremeur, on les reduye au chemin de salvacion que, par belles losenges ou aucunne dissolucion, on les delaisse en celuy de dempnacion. |753 Et aussi, certes, il n’est pas chose convenable a la religion chrestienne, ains est plus tost chose dyabolicque, que l’en doive receler le peril de mort a nul chrestien pour doubte qu’il ne se trouble d’elle. |754 Nous avons que Ysaÿe prophete es[185r]pouenta tousjours le roy Ezechias, qui malade estoit, jusques a mort et ce faisoit pour son salut, disant |755 qu’il mourroit, supposé que pas encores en deust mourir. |756 Pareillement, saint Gregoire espouenta son moyne de la mort au plus fort de sa maladie, par ainsi que nous lysons au quart livre de son Dyalogue.
|757 L’en doit aussi porter et presenter aux malades l’ymaige du crucifix et icelle tenir emprés eulx, assavoir en lieu qu’il la puissent veoir |758 et, par elle, contempler la passion de Nostre benoist Saulveur ou celle de la glorieuse Vierge Marie ou celle d’aucun saint que l’en scet qu’il ont plus eu, ou temps de leur sancté, en espicialle devocion.
|759 Puis encore doit on tousjours avoir emprés eulx l’eaue benoiste et si en doit on getter et arrouser aucuneffois tout autour de eulx |760 affin que, moyennant [185v] ycelle, les ennemis s’en aillent ou au moins eslongnent d’eulx. |761 Et, se le temps est si brief que l’en n’ayt espasse d’acomplir toutes les choses dessus dittes, l’en doit au moins faire et acomplir celles qui possibles seront.
|762 Mais toutesfois, entre les autres choses, l’en ne doit pas oublier les oroisons, les quelles s’adressent a Nostre benoist Sauveur Jhesucrist |763 ne ne doit on pas redduire a la memoire des paciens leurs femmes ne leurs enfans ne leurs richesses mondaines |764 si non en tant que chose soit necessaire. |765 Et, quant on a cause ou occasion de les ramentevoir, on le doit faire actemprement aussi, par maniere que nulle afflection ne les devoye de sa devocion envers Nostre Seigneur.
|766 Encore diray que, en ceste matere, qui est matere de necessité et de la derreniere de toutes autres, [186r] |767 l’en doit bien considerer et penser tous les pechiéz que l’en a fait et les sentences es quelles sont adjoingz les adverbes, |768 et ce pourtant que nous ne meritons pas par verbes mais par adverbes, si comme est escript ou livre qui est intitulé Liber theologice veritatis.
|769 Celuy qui a plaisir de bien et seurement morir sans peril |770 doit avoir aucune cure d’estudier deligemment l’art et la science de bien mourir a la disposicion de luy selon que dessus est dit, |771 tandy qu’il est en santé et non pas attendre que maladie le contraigne a l’apprendre ou estudier, |772 car aussi je te dis, mon beau frere, en vraye charité, que, quant la mort survient ou tant seullement quelque griefve maladie, |773 la devocion s’en passe ne ne se peut adonc trouver en homme guere grande.
|774 Pour tant donc, se tu ne veulx estre deceu en errer, ains, af[186v]fin que tu soyes et demeures plus seur, |775 prens devocion et persevere en elle et, moyennant elle, purge et nettoye ta conscience et te dispose avec Nostre Seigneur tandy que tu as temps de santé et usaige de rayson et que tu es seigneur de toy et de tes œuvres. |776 Haa, que plusieurs ont esté et chascun jour se treuvent qui tant actendent que, en actendant, leur actente les deçoit, |777 car ilz cuident aucunesfois que la mort soit bien loing, la quelle se treuve a la porte par la quelle les fault passer hastivement sans pouoir nullement reculler !
|778 Et, pour ce, mon beau frere, prens garde et te rens soigneux que pas ainsi ne t’en adviengne. |779 Et ne se doit nul esmerveiller de ceste enhortacion, car, quant vient a la derniere necessité, |780 c’est a dire quant a l’article de la mort, sa force est si grande et si dangeureuse et si tres perilleuse |781 que, se possible es[187r]toit, tous ceulx de la cité, quant aucun vient a mourir, se deveroient assembler a venir a luy pour le reconforter et enhorter a bien morir, si comme advient en aucunes religions, |782 car, quant le religieux qui est malade est pres de la mort, l’en sent aucuneffoys donner sur la table ung grant coup tellement que chascun le peut ouïr. |783 Et, lors, tous les religieux et religieuses, se aucunnes en y a, se lieuvent ou delaissent toutes œuvres et s’en viennent au malade et de droitte tire pour le reconforter et enhorter a bien mourir.
696 Leçon non conservée : et répété
709 Note : Grégoire VII, Décrétale Cum infirmitas.
710 Note : Après malades, et biffé.
711 Leçon non conservée : j. duhy
720 Leçon non conservée : a dispse de
725 Leçon non conservée : enhorte pour toutes v. c. voyes a
729 Note : Référence à Grégoire Ier non identifié.
730 Leçon non conservée : ramentoit
731 Note : Pierre Lombard, Liber Sententiarum, XX.
737 Leçon non conservée : des escriptes pour – Note : Paul, Deuxième Épitre aux Corinthiens, 1, 7.
747 Leçon non conservée : a son salut
754 Note : Ésaïe, 38, 1.
756 Note : Grégoire Ier, Dialogi, IV.
768 Leçon non conservée : liber theutonice – Note : Hugo de Argentina, dictus Ripelin, Compendium theologicae veritatis, faussement attribué à Albert le Grand.
770 Leçon non conservée : disposicion dell selon