|198 La tierce temptation que fait le dyable au malade : de impatience.
|199 Tiercement, le dyable tempte l’omme par impatience, la quele s’engendre de grande maladie, disant : |200 « Pourquoy tu, meschant, sueffres ceste grieve dolour qui est intolerable a toute creature et a toy du tout inutile ? |201 Ne aussi par tes dessertes tu ne dois pas avoir tant de doleur, |202 car il est escript |203 que ‘Es paines doit estre faitte plus benigne et gracieuse interpretation’. |204 Et, avec ce, qui est chose plus grieve, il n’est aucun qui ait compassion de toy, qui est contre raison et faire ne se [8v] doit, nul ne doubte, |205 car, combien que les amis ayent de toy compassion de bouche, toutesfois ilz, de toute leur pensee, desirent instaument ta mort pour avoir les biens qui aprés ta mort demourront. |206 Et, qui plus est, l’ame de ton corps departie, a pou vouldront tes hoirs herbegier icellui par l’espace d’un jour pour toute ta substance qui leur est demouree. »
|207 Par telz et samblables enhortemens qui tendent a impacience et qui directement sont contre charité, |208 par la quele nous sur toutes choses sommes tenu d’amer Dieu, se efforce le dyable mener l’omme ad ce qu’il perde ses merites. |209 Notes que cellui qui doit morir a souvent moult grant doleur corporelle, |210 principalement pour ce qu’ilz ne meurent point de mort naturele, |211 si comme l’experience l’enseigne manifestement, |212 car les aucuns meurent souvent par mort accidentale, comme de fievres ou d’apostumes ou d’autres maladies grieves et longues, |213 par leur mauvais gouvernement. |214 Les queles maladies sont souvent cause que les personnes ne sont pas disposees a bonne pacience [9r] et prendre en gré la mort, |215 ains murmurent et par impacience renoyent et despitent celui qu’ilz deveroient evoquier et appeler comme cellui qui leur est souverain medecin et au corps et a l’ame. |216 Et a ce les amaine le dyable affin que leur fin soit tele comme a esté leur vie. |217 Ceste chose a souvent esté veue en pluiseurs, dont c’est dommage irreparable. |218 Pour quoy il appert que telz hommes deffaillent en charité, |219 comme tesmoigne monseigneur sainct Jheromme, disant : |220 « Se aucun sueffre grant doleur en sa maladie ou en sa mort, c’est signe qu’il n’a pas amé Dieu souffisanment ». |221 Et sainct Pol dist : |222 « Charité est paciente et benigne. »
|223 Bonne inspiration que donne l’angele de pacience contre la precedente temptaiton de impacience.
|224 Contre la tierce temptacion que le dyable a fait au malade de impacience donne l’angele inspiration, disant : |225 « O homme, tourne toy et si oste de impacience ton coraige, par la quele le diable, par ses morteles instigations, ne quiert [9v] autre chose que le detriment de ton ame, |226 car par impacience et murmure l’ame se pert ainsi comme par la pacience on la possesse et retient, |227 tesmoing sainct Gregoire, qui dist : |228 ‘Nul murmurant puet avoir le royaume des cieulx.’ |229 Toy doncques, n’ayes regart a ta maladie qui t’est moult legiere au regart de ce que tu as deservi par tes demerites et ne te vueilles ennoyer |230 comme elle te soit comme un purgatoire devant la mort, |231 voire se tu le porte paciemment pour l’onneur de Dieu comme il appartient, sans murmure, |232 car il n’est pas seulement aggreable ne necessaire de porter les choses qui sont a consolation |233 mais aussi de porter paciemment les choses qui sont d’affliction, |234 comme dist sainct Gregoire : |235 ‘Nostre Seigneur envoie a l’omme misericordieusement la severité temporele affin qu’il ne enchiee en la vengance eternele et tourment pardurable.’ |236 Et monseigneur sainct Augustin dit a ce propos : |237 ‘Sire Dieu omnipotent, soit ton plaisir de moy ici bruler et tourmenter affin que me pardonnes eternelement.’ [10r] |238 Ne te vueilles doncques troubler des tribulations de cest monde, car ilz te demonstrent que tu ne dois relenquir ne delaissier Jhesucrist, |239 comme dist sainct Augustin : |240 ‘Les maulz qui nous punissent en ce monde nous constraingnent aller a Dieu.’ |241 Ainsi donques le salut de l’ame n’est pas es plaisances de la char mais plus tost eternele dampnation. |242 Jouxte sainct Augustin, qui dit : |243 ‘Le plus manifeste signe de dampnation est quant l’omme joÿst de tous ses plaisirs et est amé du monde.’ |244 Et derechief il dit : |245 ‘Et se donne merveilles que les pierres ne s’eslievent en solas de ceulx qui doivent estre eternelement dampnés, |246 mais aincoires se donne il plus grant merveilles que icelles meismes pierres ne s’eslievent ou peril et detriment de ceulx qui doivent eternelement estre sauvés.’ |247 Enchasse doncques et deboute de toy impacience comme pestilence violente et contagieuse |248 et prens pacience, tres fort escu par le quel tous les ennemis de l’ame sont legierement surmontés, |249 et regarde le tres pacient Jhesucrist et tous les sains martirs jusques a la mort. |250 Notes que, quant le malade se sent tempter [10v] par impacience, il doit premierement considerer qu’elle est moult nuisible a l’omme, |251 car, par lui troubler et couroucier, il se depart de Nostre Seigneur, |252 comme il meismes dist : |253 ‘Sur qui reposera mon esperit fors sur cellui qui est paisible et humble de cuer.’ |254 Il considere secondement que pacience est et doit estre gardee par grand sollicitude premierement, car elle est neccessaire. |255 A ce propos dit sainct Pol : |256 ‘Pacience vous est moult neccessaire a parvenir ou royame des cieulx.’ |257 Et David dist |258 qu’il convenoit a Jhesucrist souffrir la mort et ainsi par celle pacience entrer en sa gloire. |259 Et sainct Gregoire dist : |260 ‘Jamais concorde ne se puet garder fors par pacience.’ |261 Secondement, car elle est prouffitable, |262 comme dist Nostre Seigneur : |263 ‘En vos paciences vous possiderés vos ames.’ |264 Et sainct Gregoire dit : |265 ‘Porter choses adverses est de plus grant merite que de soy traveillier en bonnes euvres.’ |266 Et oultre dist : |267 ‘Sans fer, c’est a dire sans l’effusion de nostre sang, nous pouons bien estre martirs |268 se vraiement nous portons en nostre corage pacience.’ |269 Et Salomon dist |270 que ‘L’omme patient [11r] est meilleur de l’omme fort. |271 Et cellui qui domine son corage est plus fort de cellui qui assault par batailles les cités.’ »
200 Leçon non conservée : g. dlour qui ; toute reeature et
203 Note : Boniface VIII, De Regulis Juris, regula 49
205 Variante de Q : toutefois
209 Variante de Q : Notez
220 Note : Référence à Jérôme (ou parfois à Jean) non identifiée
222 Note : Paul, Première Épitre aux Corinthiens, 13, 4
224 Variante de Q : fait a malade
225 Variante de Q : quierent
228 Note : Grégoire Ier, Homeliae in Evangelia, XIX
229 Variante de Q : ayez
235 Note : Grégoire Ier, Homeliae in Evangelia, XIX
237 Note : Grégoire Ier, Epistula ad Marcellum, V
240 Note : Grégoire Ier, Moralia in Job, XXVI, 24
243 Note : Pseudo-Eusebius Cremonensis, De morte Hieronymi ad Damasum, XXV
245 Note : Pseudo-Eusebius Cremonensis, De morte Hieronymi ad Damasum, XXV
246 Variante de Q : doivent eternelement estre
253 Note : Ésaïe, 66, 1-2
256 Note : Paul, Épitre aux Hébreux, 10, 36
258 Note : Luc, 24, 26
260 Note : Grégoire Ier, Moralia in Job, XXI, xxi, 33
263 Note : Luc, 21, 19
265 Note : Grégoire Ier, Homeliae in Evangelia, II, XXXV, 7
266 Variante de Q : En oultre
267 Note : Grégoire Ier, Homeliae in Evangelia, II, XXXV, 7
270 Note : Proverbes, 16, 32