[cii ra]

|579 La quarte tentacion dont le dyable tente l’homme en l’article de mort est impacience.

[cii rb] |580Quartement tente le dyable l’homme estant en l’article de la mort de impa[cii va]cience pour le faire murmurer contre Dieu. |581 Et dit, specialement a l’heure que le malade sent de plus grandes douleurs, en luy disant 

: |582 « O meschant, comment peulx tu souffrir une si griefve douleur qui est intolerable, qui ne l’as pas desservi, et si te est totalement inutille et sans proufit ! |583 Bien apparest que Dieu t’a relenqui quant en si grande douleur et affliction il te laisse sans reconfort. |584 Et, qui plus grevable est, il n’y a aucun qui soit compacient de ta douleur ne qui ayt pitié de toy, qui est contre toute raison. |585 Tu dois bien avoir grant despit en ton cuer quant mesme ta femme, tes enfans et prochains successeurs sont ceulx qui en leur pensee desirent et destineroyent voulentiers ta mort, principalement pour avoir ta succession, |586 combien que, de bouche et des yeulx plourans, ilz monstrent estre marris, ce qu’ilz ne sont pas. |587 Et n’y a cellui, tant beau signe d’amour qu’il te monstre, qui, aprés la separacion de ton ame, voulsist, pour toute ta substance que tu leur delaisses, logier et garder ton corps mort seulement par l’espace d’un jour, |588 dont tu dois estre moult courroussé [cii vb] et murmurer en ton cueur qu’il faille que si grande douleur te tiengne sans aucun reconfort. » |589 Par telles manieres ou semblables tente le dyable decepvoir le malade par impacience, qui est contre charité, |590 par laquelle nous sommes tenus aymer Dieu sur toutes choses et, pour l’amour de luy, pacientement souffrir et endurer toutes aversitéz.

|591 Nota quod morituris, et cetera.

|592 Icy met l’acteur de ce livre ung notable pour nous enseignier de nous disposer a la mort affin que, par impacience et murmure contre Dieu, ne soyons deceus, |593 disant que impacience ne advient point si souvent a ceulx qui meurent par longintude de jours et vieillesse, qui est mort naturelle, come a ceulx qui meurent par mort accidentelle, |594 comme de fievres, apostemes, epydemie ou aultre maladie perilleuse qui souventes fois attrappe et prent les plus fors, |595 qui de tant qu’ilz ont grant force sont plus agravéz en leurs maladies |596 et, par tant, aucunes fois par la vehemence du mal, insanient, forsenent |597 et deviennent demoniacles, impaciens et murmurans contre Dieu, |598 qui aucunes fois [ciii ra] n’est pas bon signe, car ce peult advenir par faulte de disposicion de conscience et par tentacion de dyable. |599 Dont dit saint Hierosme : |600 Si quis cum dolore egritudinem vel mortem patitur seu accipit, signum est quod sufficienter Deum non diligit |601 « Se aucun, dit saint Hierosme, seuffre en douleur et impacientement sa maladie ou reçoit mort en desplaisance et murmure, c’est signe qu’il ne ayme point suffisantement Dieu » |602 et, par tant, ne meurt point en vraye charité, |603 car, comme dit saint Pol : |604 Caritas paciens est, benigna est |605 « Charité est paciente et benigne. » |606 Et par ce exorte l’acteur de ce livre a ce disposer en planiere santé, protestant que, |607 quelque fantasie qu’on ayt par vehemente maladie, on vueille recepvoir la mort a bon gré et pacientement pour l’amour de Dieu.

[ciii rb] |608 Inspiracion et bon advertissement que l’ange donne contre impacience.

[ciii va] |609 Au contraire de ce que le dyable a persuadé et dit au malade pour le faire cheoir [ciii vb] en impacience |610 et ystre hors de l’amour de Dieu par faulte de charité et finablement perdre tous les biens que jamais peult avoir [ciiii ra] fais, l’ange lui donne enseignement au contraire et lui dit : |611 « O homme, oste ton courage de impacience, par laquelle le dyable, avecques toutes ses mortiferes et damnables instigacions, ne quiert autre chose que le detriment et perdicion de ton ame, |612 car par impacience et murmure l’ame est perdue ainsi comme par pacience elle est possedee. |613 Tesmoing saint Gregoire, qui dit : |614 Regnum celorum nullus mirmirans accipit |615  ‘Jamais, dit saint Gregoire, celluy qui murmurera contre Dieu ne parviendra au royaulme du ciel.’ |616 Et pourtant, dit l’ange, mon amy, ne te ennuye pas la grandeur ou prolicité de ta maladie, |617 laquelle, se bien tu la consideres, tu trouveras petite et legiere au regart de tes malfaictz. |618 Oultre, celle maladie que Dieu te envoye devant ta mort te peult estre ung purgatoire mais que tu la seuffres pacientement et en dois bien remercier Dieu, |619 car nous ne le devons pas seulement remercier des choses qu’il nous donne a nostre consolacion mais pareillement de ce que il nous donne a nostre affliction, |620 car, ainsi que dit saint Gregoire : |621 Misericorditer Deus temporalem adciiii rb]hibet severitatem ne eternam inferat ulcionem |622  ‘Dieu par misericorde nous envoye des severitéz et afflictions temporelles affin que pour noz demerites il ne vueille sur nous inferer vengance eternelle.’ |623 Saint Augustin aussi dit : |624 Domine, hic ure, hic seca ut in eternum michi parcas |625 ‘Sire Dieu, dit monseigneur saint Augustin, brule moy en ce monde icy, trenche moy et decope a ta voulenté affin que eternellement tu me pardonnes.’ |626 Et, pour tant, tribulacions en ce monde ne sont pas a refuser, |627 car, ainsi que dit saint Augustin : |628 Mala que nos hic puniunt ad Deum nos ire compellunt |629  ‘Les maulx et afflictions qui nous pugnissent en ce monde nous compellent et contraignent retourner envers Dieu.’ |630 Oultre, dit l’ange, le salut de l’ame n’est point approuvé a la possession des volentéz de la chair mais plus tost eternelle damnacion, |631 ainsi que dit saint Augustin : |632 Signum manifeste damnacionis est beneplacita assequi et a mundo diligi |633  ‘Signe de manifeste damnacion, c’est acomplir toutes ses coulentéz et estre aimé du monde.’ |634 Dit encor saint Augustin : |635 Mirabile est quod omnibus in eternum damnandis omnes lapides non surgunt in solacium |636 sed magis [ciiii va] mirum est quod omnibus in eternum salvandis omnes lapides non surgunt in periculum |637 ‘C’est, dit saint Augustin, merveille que toutes les pierres du monde ne ce lievent contre ceulx qui doyvent estre damnéz eternellement pour leur donner soulas, |638 mais encore est ce plus grant merveille qu’ilz ne se lievent contre ceulx qui doivent estre eternellement saulvéz pour leur donner tourment.’ |639 Pourtant, dit l’ange au pacient, mon amy, reppelle et regette de toy impacience comme peste venimeuse |640 et pren pacience, qui est le ferme escu |641 par qui sont depelléz et superéz tous les saincts, qui ont esté paciens jusques a la mort. »

|642 Nota, cum infirmus sentit, et cetera.

|643 Icy donne l’acteur ung enseignement au pacient tenté de impatience, disant que, toutes fois que le malade se sent tenté, en ce cas, il doit considerer combien impacience est nuisible, |644 qui inquiete l’homme et le subvertit de l’amour de Dieu, |645 si que l’esperit de Dieu ne peut sur luy reposer, comme il est escript : |646 Super quem requiescet spiritus meus [b] nisi super quietum et humilen corde ? |647  « Sur qui, dit Nostre Seigneur, reposera mon esperit si n’est sur le pacient paisible et humble de cuer ? ». |648 Secondement, il doit considerer que pacience est souverainement necessaire, ainsi que par plusieurs auctoritéz est prouvé. |649 Premier, par saint Pol, disant : |650 Paciencia vobis necessaria |651  « Pacience vous est necessaire. » |652 Nostre Seigneur aussy l’apreuve, qui dit : |653 Nonne oportuit Cristum pati et ita intrare in gloriam ? |654  « Ne a il pas convenu, demande Dieu le Pere, Jesucrist souffrir pacientement la mort et en ceste maniere entrer en sa gloire ? ». |655 Saint Gregoire aussi dit : |656 Nunquam servari concordia nisi per pacientiam valet |657  « Concorde et paix ne peult jamais estre gardee que par pacience. » |658 Secondement, pacience est utille pour la conservacion de l’ame, |659 dont dist Nostre Seigneur : |660 In paciencia vestra possidebitis animas vestras |661  « En vostre pacience, vous possedés voz ames. » |662 Saint Gregoire aussi dit : |663 Majoris meriti est adversa tollerare quam bonis operibus insudare : |664 « Chose de plus grant merite est souffrir et porter pacientement [cv ra] ses adversitéz que travaillier son corps jusques a la sueur en faisant autres bonnes euvres. » |665 Dit oultre saint Gregoire : |666 Sine ferro martyres esse possumus |667 si pacientiam in animo veraciter servamus |668  « Sans fers et sans tourmens corporelz exteriors, dit saint Gregoire, nous pouons estre martyrs |669 si veritablement nous gardons pacience en noz cueurs. » |670 Salomon aussi dit : |671 Melior est paciens viro forti |672  et qui dominatur animo suo expugnare urbium |673  « Meilleur est un homme pacient que ung homme fort de vertu corporelle |674  et cellui qui a puissance de dominer sur son couraige qu’il en soit ireux plus que celluy qui est expugnateur de citéz. »


579 Note : Une illustration pleine page, seules les quatre dernières lignes sont occupées par le texte sur deux colonnes.
586 Variante de W : ilz (aprés plourans) mq. ; accidentalle
596 Variante de W : deviennent folz demoniacles
598 Variante de W : qui par aucunes
600 Note : Jérôme (parfois attribué à Jean)
604 Note : Paul, Première Épitre aux Corinthiens, 13, 4
610 Variante de W : et yssir hors : Dieu nostre createur par deffaulte de ; au (aprés enseignement) mq.
613 Note : Grégoire Ier, Homeliae in Evangelia, XIX
616 Variante de W : tu le consideres
621 Note : Grégoire Ier, Epistula ad Marcellum, V
624 Note : Augustin, Enarrationes in Psalmos, XXXIII, II, 20
628 Note : Grégoire Ier, Moralia in Job, XXVI, 24
632 Variante de W : est (aprés damnationis) mq.Note : Pseudo-Eusebius Cremonensis, De morte Hieronymi ad Damasum, XXV
634 Variante de W : Augustin mirum est ; mirum est qua omnibus
635 Variante de W : est (aprés damnationis) mq.Note : Référence à Augustin non identifiée.
637 Leçon non conservée : merveveille – Variante de W : C’est a dire dit ; merveille est que
640 Leçon non conservée : sont debellez et
643 Variante de W : est invisible (qui)
646 Leçon non conservée : mon espereit si – Note : Esaïe, 66, 1-2
649 Note : Paul, Épitre aux Hébreux, 10, 36
653 Note : Luc, 24, 36
656 Note : Grégoire Ier, Moralia in Job, XXI, xxi, 33
660 Variante de W : vestras et en – Note : Luc, 21, 19
663 Note : Grégoire Ier, Homeliae in Evangelia, II, XXXV, 7
665 Variante de W : si (aprés damnationis) mq.
666 Note : Grégoire Ier, Homeliae in Evangelia, II, XXXV, 7
671 Note : Proverbes, 16, 32