[36r]

|375 Complaincte du pecheur qui se treuve es latz de la mort et en voie de dampnation.

|376Helas, helas et plus que helas, moy tres meschante creature chetive, qui en angoisse et amertume de corps et d’esperit me treuve seul sans nul secours quelconques |377 et ne sçay creature au monde a qui, veu le grant dangier ou je suis presentement, je puisse ny ose avoir fiance nulle dont avoir ou esperer puisse allegement, |378 car mes parens et amys, a qui avoye toute fiance, sont ceulx qui, jusques a ce dangereux et douloreux pas de mort duquel je suis pris et surpris come au trebuchet, me ont, par une subtille maniere de traïson, conduict accompaigné en ryz et jeux |379 sans me donner congnoissance de l’horrible angoisse en quoy me sens presentement enveloppé en corps et en ame, auquel latz je couroye avecq eulx !

|380 O moy tres malhereuse creature ! |381 Pour quoy ne consideroye je, alors que en santé estoye, l’horrible dangier et cruelle angoisse |382 qui vient a toute creature mortelle et mesment aux pecheurs quant il approchent les traces de la mort, es quelles douloureusement je labeure ! |383 Certes, [36v] bien debvoye considerer, si le monde ne le dyable ne m’eussent bendéz les yeulz du cueur moy estant en prosperité, |384 combien que tousjours doubtoye de la mort ouyr parler et recremoye la ouyr nommer et ne sçavoie ymaginer ne aultruy veoir mourir sans ayde et destressé. |385 Or me sens d’elle assailly presentement comme en traïson et seursault et ne puis fouyr pour me mucer, |386 car en si grant angoisse me sens de tous costéz assailly que en riens, fors qu’a ma douleur, ne puis entendre |387 et si me seroit tres neccessaire que au salut de ma povre ame je entendisse, qui est en danger de habiter es griefves habitations d’enfer. |388 Et oncq parfaictement une seulle heure de bien en mon vivant ne vouluz faire ny entendre, cuydant tousjours y venir assez a temps quant je sentyroie la fin approcher de ma mort. |389 Or apperçoy veritablement que trop me suis abusé, |390 car je suis de douleur, d’angoisse, de paour et d’esbahyssement confondu tellement que a nulle chose salutaire ne puis nullement entendre. |391 Et aussy apperçoy bien que a jeu perdu n’a que muer ne que dire. |392 Helas, chetive creature que je suis ! |393 Comment [37r] ay je despendu et consumé le temps sy innutillement, qui est sy precieux pour mon salut et estoit prest. |394 Et, tousjours, au contraire de luy j’ay ouvré et faict tant de maulx que de Dieu, de saincte Eglise |395 ne de tous ses commandemens n’ay tenu compte mais les ay despriséz : |396 veux briséz, penitences enfrainctes, promesses faulces, deffences faictes au contraire, |397 dont remors de conscience a mon cueur murdry et rongé tellement d’aultre part que ycelle seulle douleur m’est griefve assez pour prandre la mort. |398 Sy j’estoie en santé dont, pour la paour des choses dessus dictes, mon ame s’efforce de demeurer dedans le corps, mais durement elle est contraincte de vuyder. |399 Helas, povre creature, quant je considere que suis allé hors de la voye de mon salut qui est estroicte, come apperçoy maintenant, je treuve large la voye de dampnation que tiennent plusieurs. |400 O chetive creature, si de present avoye ung seul jour de temps que gastent moult de creatures innutilles maintenant ainsy come j’ay faict le myen, |401 veritablement je promectroye a Dieu mon Createur de promtement, doulcement et de vraye penitence [37v] prendre d’iceulx jours perduz et faire le salut de mon ame, |402 car il m’est advis que riens ne me seroit a gouverner et ung blanc denier en plus que de dix mille florins, qui oncques en mon vivant ne m’ay sceu gouverner. |403 Et, pour ce, je congnois que peu me seroit, au salut de mon ame, ung seul jour, |404 veu que en cent jours ne feiz oncques fors que tous maulx. |405 Helas, bien douloureusement j’apperçoy que vie sans ame devient hastive mort. |406 Mort est medecine a la creature, |407 car celluy qui moingz vit moingz empire et aussy moingz accroist de pechéz. |408 O povre creature que je suis, bien doiz mauldire les faux et horribles delitz et mauvais soulas qui tant de temps m’ont duré quant, pour les grans delectations mondaines, je suis en voye de dampnation, |409 car j’apperçoy bien que seray cruellement tormenté et me semble que c’est folie de couvoiter longuement vivre sinon employer son temps au service de Dieu parfaictement. |410 O povre creature que je suis, que ne consideroie je le temps que faire le pouvoye. |411 O creature raisonnable, que m’ont vallu lors les grans [38r] travaulx mondains et grandes afflictions, les delictz charnelz, mes habitz et pompes desordonnees ! |412 Helas, je me debvoye bien orner, engraisser et parer, qui suis viande aux vers et aux dyables d’enfer et ay laissé au dernier de mes jours tresbucher ma povre ame |413 qui debvoit estre presentee par les sainctz anges de paradis au souverain Createur et Redempteur du monde, qui pour nous a voulu souffrir mort au monde sy angoisseuse ! |414 Helas, pouvre creature que je suis, bien doiz haÿr ma vie quant, pour toy servir et complaire, je me treuve en si cruelle affliction desordonnee et en la hayne perpetuelle de mon souverain Dieu, qui tant cherement m’a aymé ! |415 Helas, que n’ay je consideré les honneurs, compaignies et faveurs mondaines que si fort m’ont aveuglé et mené en cest horrible dangier ! |416 Bien doy mauldire l’heure que nasquiz oncq au monde|417 quant, par trop aymer et hanter les delitz mondains comme d’avoir nourry mon corps souefz, qui n’est que ung tison d’enfer, |418 maintenant et par moy mesmes j’ay perdu tous les biens de grace de mon Createur, |419 qui est parfaicte vie sans fin, sans [38v] faulte et sans envye, et aussy la compaignie de tous les bienheuréz du ciel, qui est sy noble que amour et charité. |420 Il est toute commune, sans partie, combien que je apperçoy, maintenant que c’est trop tard, de a bon droict me treuver en tel dangier que pour si peu de temps que j’ay vescu si soigneusement et travaillé mon corps, |421 veu aussi que je pouvoye acquerir la seureté de mon salut en vivant tousjour en la craincte de mon Createur |422 et aussy que, aprés ma mort que sy tost voy venir, je eusse eu perpetuel soulas, deduict, lyesse et joye sans sfin. |423 O povre creature detestable, je voy bien que maintenant commencent a venir les grans tormens miserables en peine eternelle et me deffault au besoing tout mon sens tant du corps comme de l’ame. |424 Et, premierement, je congnois que ma langue tres fort se lye et se prent au palays, dont me fault le parler. |425 Par quoy ne puis exprimer ne pronuncer le dueil et angoisse que je sens au cueur d’ennuy et de desplaisir. |426 Et aussy les yeulx qui se descouvrent et roullent et s’enflent, d’aultre part, pour la grant destresse habondant, qui ne peuvent [39r] plourer ne gemir. |427 La face se change et pallist. |428 La couleur s’amortist et ternist. |429 Le nez s’estoupe et applatist. |430 La bouche seiche et bee. |431 Les dens noircissent et desjoignent. |432 Les levres tiennent et fendent. |433 La gorge, enrouee, escume et roulle. |434 Les nerfz se rompent, tendent et se descouvre. |435 La poictrine, seiche, se soublieve et haulce pour faire plus grant lieu au cueur qui enfle et tend a crever. |436 La chair par tout se souliefve et sue. |437 Helas, quelle horrible, cruelle et extreme angoysse que je sens maintenant par tous mes membres. |438 Helas, j’ay le ventre vuydz et abbatu, la soye du doz toute seiche, les os et tous les costes s’apperent pour conter, |439 le sang s’enfuyt, les vaines se muent, le poux tressault, le feu estainct, le sens luy default, l’ame decline. |440 Helas, chetive creature, que n’ay je eu tousjours se mirouer devant moy, devant mes yeulx, en la veue de ma memoire ! |441 Et que ne consideroye je la tres griefve amertune de mort et ses pechéz et maulx qui procedent et ensuyvent icelle, |442 pour la douleur desquelles ne treuve nul repoz, assiz ne estandu ny [39v] aultrement, tant soye mis sur costé a aultre. |443 Ainçois, de toutes pars commance tellement mon corps a decliner et faillir que dés maintenant se prent a puyr come viande a vers, si que moy mesmes a paine me puis je odorer ne sentir. |444 Et, d’aultre part, mon ame est en angoisse inextimable, |445  car clarement elle apperçoit tous ses delitz, vouloirs et pensees, dictz, faictz, euvres et voyes sy legierement passees qu’i ne luy semble qu’ung songe de tout le temps qu’elle a vescu |446 au regard de la perhempnité et paine pardurable qu’elle voit devant elle au temps ad venir que jamais ne fauldra. |447 Et, nëautmoingz, clerement apperçoy toutes ses opperations, iniquitéz et mauvaistiéz. |448 Par quoy l’ame s’efforce de les mucer et absconcer. |449 Mais le corps luy respond : |450 « Nous somme tes engendreures et forméz de toy. |451 Pourtant, je ne te laisseray point, |452 ains yray avec toy au Jugement et t’accuserons au souverain Juge |453 et luy dirons comme souventes fois toy mesmes te es temptee et luy dirons le lieu, le temps et les circonstances qui te pourront nuyre grandement |454 et aussi [40r] comme tu n’a voulu obtemperer a ses bonnes operations et inspirations, ains les a dechassees et les messaiges qu’i t’avoit envoyés pour ton salut. » |455 O creature chetive et toute desolee, come je sens par tous les costéz et dedans et dehors de moy, c’est assavoir croistre et agrandir mes maulx et mes destourbes ! |456 Mais c’est a bon droict, car moy mesmes qui, a mon escient et contre le jugement de Dieu et de raison, me suis honny et souillé pour luy avoir desobeÿ. |457 O mes parens et amys, que ne sçavois je, lors que je vous hantoye, ce que je sçay et ce que je sens maintenant, |458 car je ne vous eusse pas ainsy creu ne aymé, ains me fusse esforcé de tout mon cueur complaire a Dieu, mon Creatuer ! |459 O povre creature, je apperçoy bien maintenant de moy ainsy lamenter, |460 car en amertune et horrible destresse et affliction me fault du monde departir et tresbuscher avecq les ennemys d’enfer qui m’attendent en la perpetuelle mansion plaine de douleur et de eternelle horreur, |461 mais, d’abondant, je te supplie et requier de tres bon cuer que enhortes et charges ceulx qui mes lamentations ont ouyes, |462 aulquel [40v] je prie mon Createur qu’ilz ayent tousjours devant l’esconsideration des gemissemens et pleurs que fait la porvre ame, |463 car faulte de remors de conscience a esté cause de ma dampnation pour les maulx que j’ay faitz. |464 Et aussi plusieurs fois a peché contre le benoist Sainct Esprit et me suis mis hors de la grace de mon Createur et la lumiere de congnoissance de mon salut. |465 Et, desobeïssant a mon ange et maintes fois, ay mesprisé ceulx qui bonne vie me monstroient et le bien m’enseignoient. |466 Helas, povre creature, que ne congnoissoye je bien ceulx qui le bon conseil me donnoyent, |467 ce que j’ay voulu fouyr et prins le mal qui tousjours se mectoit au devant de moy ! |468 et, par ce, maintenant et de rechief, j’apperçoy bien l’horribleté merveilleuse qui tout entour de moy sont les dyables d’enfer qui me vueillent destruyre et devorer, |469 lesquelz, par hydeux signes et horribles menasses, crient et brayent entour moy pour me tourmenter, |470 qui ont les faces si detestables, laydes et difformes que, sans plus parler, le regard d’iceulx assez est cause d’yssir hors du sens [41r] et desesperer et mectre l’ame hors du corps et faire partir. |471 Et, a l’aultre costé, je voy mon bon ange, lequel n’ay voulu croyre, tout triste et doulant et courroucé et loing de moy, qui me faict pouvre semblant de salut. |472 De mon ame ne de moy reconforter ne luy chault, ains me laisse aggrapir et souffler des ennemis d’enfer ausquelz moy estant en santé j’ay voulu obeÿr. |473 Et, mesmement, je voy dessus moy le hault et souverain Juge de tout le monde qui comme tout forcené, |474 qui par sa glorieuse face se courrouce et espouente de la pouvre creature qui a encouru l’indignation du benoist Createur de tout le monde. |475 Et as encouru son yre, lequel tant de biens de grace t’avoit donnéz et, de jour en jour, a prolongé sa grant misericorde en attendant a luy servir, |476 affin que devers luy me retournasse, ce que riens n’ay voulu faire. |477 O cruelle sentence irrevocable et sans nul respit que quant je considere le temps, les jours et les grans delaiz |478 que tant m’a prestéz pour l’amendement de mon salut en actendant [41v] tousjours l’endemain, qui me sont failliz ! |479 Et maintenant me trouve que ne feiz oncques bien |480 et, pour ce, je suis en telle angoisse et si cruelle destresse que exprimer ne le sçauroie. |481 O pouvre creature, quelle horrible sentence que pourter me fauldra ! |482 Et toutesfois soubstenir le me conviendra, |483 car force m’est que je l’endure, combien que desja voy et apperçoy les borreaulx d’enfer sans nulle pitié quelconques qui m’attendent les bras croiséz pour me tormenter perpetuellement, |484 car dessoubz moy je apperçoy et sens mon enfer et ma cruelle compaignie et mon douloreux et tenebreux lieu, |485 auquel sont tenebres espesses pour me pugnir au feu qui est sans flame et sans clarté nulle, pueur horrible pire que souffre, douleur come d’enfanter sans jamais cesser, |486 criz, braiz et gemissemens sans pouvoir pleurer, meschiefz et destresse a tousjours perpetuellement sans jamais finer la endroit. |487 Helas, pouvre creature, si dire l’osoye, les blasphemes de Dieu maugreer Dieu et despiter Dieu si tres cruellement que merveil[42r]le, |488 car j’apperçoy bien que chascum qui y est avec ses maulditz ennemys, qui sont sans repoz nul sinon que pour tormenter tousjours les ames, |489 par quoy leurs douleurs se renouvellent de jour en jour. |490 Comme je puis apercevoir que ceulx avecq lesquelx nagueres j’estoye cheoient en peché, qui, par grant hayne et maltallant, m’attendent pour estre pugniz et tormentéz perpetuellement avecq eulx. |491 Et sont assiz entre serpens, couleuvres, dragons, escorpions et toutes bestes venimeuses en sy grant habondance que sans nombre. |492 La endroit est la mort desiree, mais elle est viande sans mourir, car la convient mourir sans mourir. |493 O cruel et horrible lieu et estable pour moy et pour tous aultres pecheurs. |494 Comme ses angoisses de ma maladie et amertumes accroissent mes maulx et douleurs. |495 O mauldicte soit l’heure que oncques au monde je nasquiz, quant telle angoisse me fault souffrir ! |496 O pouvre creature desordonnee, que n’ay je pourveu au salut de mon ame, [42v] veu le temps et l’heure que faire le pouvoye, affin que fusses seigneur de joye perpetuelle ! |497 Helas, helas, chetive creature, comme je suis battue de tormens pardurables ! |498 O mauldicte soys, ame qui en si cruel lieu me faiz aller ! |499 Et aprés toy le corps tireras, que a tes faulx delitz accomply t’ay accompaigné et perdu la joye pardurable. |500 O la myenne mauvaise voulenté, qui oncques ne cessas d’engendrer toutes angoisses, dont je me trouve pour tousjours meus en paine eternelle ! |501 O vous, montaignes et rochiers, prenéz pité de moy et vous laisséz cheoir sur moy pour moy confondre et absconcer de la face du Juge, qui tant m’est terrible a veoir et regarder, |502 et me tuéz affin que celle plus ne sente dessus, ne dessus ne desoubz, devant ne derriere, a dextre ne a senestre, dehors ne dedans ! |503 O tristesse, horribleté de tormens et angoisse cruelle et detestable qui pour moy sont appareilléz ! |504 O vous, creatures formees a la semblance de Nostre [43r] Saulveur Jhesucrist, prenéz en vous exemple sans aulcunement attendre huy ne demain, |505 affin que incontinant delaisséz ses qui maynent les pouvres creatures a si cruelle et horrible fin |506 et se lavent et nectoyent par vraye pure confession et penitence salutaire et appreignent aultrement a mourir, |507 car vous pouvez bien sçavoir que les jours des hommes et de chascune personne sont briefz comme umbre de soleil |508 et ne sçait nul, de quelque estat qu’i soit, si Dieu luy donnera grace de vivre jusques au lendemain. |509 Et, toutesfois, en iceulx jours, on peult acquerir la joye eternelle, qui est sans fin ou peine infinie qui sont ordonnéz devant la constitucion du monde. |510 Et prie et requiers a ung chascum, en tant qu’il luy touche, prendre sur se mirouer advis affin d’acquerir la joye pardurable, |511qui est sine fine in secula seculorum. |512Amen. |513Finis.


375 Note : Une illustration pleine page sur le 35r et sur le 35v
394 Leçon non conservée : ouvrer
399 Leçon non conservée : aller
405 Leçon non conservée : haplographie : mort pour mort Mort
408 Leçon non conservée : durer
420 Leçon non conservée : travailler
422 Leçon non conservée : eusse en perpetuel
423 Leçon non conservée : commencet
441 Leçon non conservée : ensuyvant
454 Leçon non conservée : envoyer
456 Leçon non conservée : avoir obeyr
465 Leçon non conservée : enseignoit
470 Leçon non conservée : destetables ; d’iceulx est cause assez est cause d’yssir
487 Leçon non conservée : maugreez
490 Leçon non conservée : cheoit
492 Note : Entre sans mourir et O, sans biffé.
509 Leçon non conservée : qui et sans
513 Note : Suivent 3 lignes laissées en blanc.