[La quarte temptation]

|89 Et quant le deable voit qu’il ne puet faire devier ung bon catholique en la foy ne cheoir en desespoir ou impacience, il presente a la creature estant ou lit de la mort trois couronnes. |90 La premiere de fin or quant il ramentoit a la creature les biens et vertuz qu’elle a faitz en sa vie, affin qu’elle s’en orguillisse. |91 La seconde couronne est d’espines quant il monstre et ramentoit les richesses et biens que on a acquis en ce monde, affin d’avoir regret de les laissier. |92 Et sont les biens de ce monde bien nomméz espines, car tant plus on en a et plus picquent et font mal a l’ame quant on ne use bien d’iceulx. |93 La tierce couronne est d’estrain et ordure.

[39r] |94 C’est quant le deable tempte la personne de sa beauté, force, puissance et habilité, |95 sicques il offusque la personne par tele maniere que son entendement ne juge point que tout vient de Dieu, qui est bien grant pechié mortiel, |96 car nul, tant soit grant, soit pape, empereur, roy, duc ou conte, doit estimer que de soy et de nul autre ou par ses vertuz ou de son bien ait les biens, richesses, vertuz, beauté, puissance, force et autres qualitéz qu’il a. |97 Se autrement le fait, il peche mortelment et est orgueil.

|98 L’omme ou la femme estans ou lit de la mort et qui ont teles temptations soubz umbre des vertuz qui peuent estre en eulx doivent dire et penser a l’encontre d’icelles : |99 « Mon Dieu, mon Pere, mon Createur, tu m’as donné beauté et je l’ay mal emploiee. |100 Tu m’as donné richesses et j’en ay mal usé. |101 Tu m’as donné tous [39v] mes membres entiers et de tous j’ay mal usé : des yeulx, faulx regartz ; des ouyes, mal de mon prouchain ; |102 de ma bouche, parler sur autrui ; des mains, fait larrecins, meurdres, prendre femmes a force ; des piéz, aller en lieux deshonnestes et laissier l’Eglise. |103 Je te prie, vray Dieu omnipotent, vueil les moy pardonner et extendre ta misericorde sur moy, la quelle est par dessuz toutes tes vertuz et oevres. » |104 Ainsi, en eslevant son cuer a Dieu, il lui adresse, car il ne veult la mort de nul pecheur mais qu’il se convertisse et reconnoisse sa faulte. |105 Vray est que, se Judas qui le trahi aprés qu’il eust recogneu son péchié, qui fut plus grant que l’en seroit commettre, eust requis misericorde a Dieu, |106 il n’est point de doubte qu’il ne lui eust pardonné, mais desesperance le fist pendre et aprés dampner perpetuelment. |107 Par rigueur, on n’a riens de Dieu, mais sur toutes choses fault estre humble et hardiement [40r] batailler contre le deable |108 comme mon seigneur saint Anthoine, au quel ledit ennemi dit : |109 « Anthoine, tu m’as vainquu : |110 quant je t’ay voulu exaulcier, tu t’es humilié |111 et, quant je t’ay voulu humilier, tu t’es exaulcié. »


109 Note : Référence à Antoine partagée par la plupart des textes mais non identifiée.